Dans cette rentrée, comment évolue la politique des entreprises à l'égard du télétravail ? Assiste-t-on à un retour en arrière de la part de certaines entreprises ? Comment le CSE peut-il aborder cet enjeu ? Les réponses de Laëtitia Léon et de Françoise Bruna-Rosso, expertes auprès des CSE et spécialisées dans la prévention des risques professionnels, qui viennent de rédiger pour Secafi un guide "Agir pour un télétravail de qualité" (*).
Où en sont les entreprises françaises en matière de télétravail ?
Après l’engouement très fort qui s’est produit, le télétravail est entré dans les mœurs, du moins bien sûr pour la partie des salariés qui peuvent télétravailler, et il faut rappeler que c’est loin de représenter la majorité des travailleurs.
Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est que certaines entreprises estiment être allées trop loin. C’est le cas de sociétés de services intellectuels et d'entreprises de services numériques, mais aussi des sièges sociaux de grandes entreprises. Elles avaient déjà l’habitude du travail à distance, avec des équipes sur différents points du territoire et à l’étranger, et elles ont donc choisi, notamment pour réduire leurs coûts immobiliers, d’accentuer encore le télétravail, qui s’est souvent accompagné d’une organisation en flex office. Mais leurs managers ont aujourd’hui du mal à faire revenir les salariés sur site. Or le télétravail a un impact sur le collectif du travail : pour partager les compétences, intégrer les jeunes, pour innover, il faut aussi travailler ensemble en présentiel. Le présentiel favorise l'efficacité collective et renforce le lien social. Par exemple, répondre à un appel d'offres en réfléchissant tous ensemble dans une pièce s'avère plus créatif et efficace que de tenter de le faire chacun chez soi devant un écran ! Quand on est ensemble dans une salle, on fait des schémas, on dessine, on teste des hypothèses, on réagit de façon spontanée : les interactions et les retours d'expérience sont beaucoup plus riches que lorsque chacun est en visio devant un écran, surtout lorsque les participants coupent leur caméra !
Pour cette recherche de performance collective et de croissance, elles pourraient y venir. En attendant, ce qu'elles font déjà actuellement, c'est rappeler les règles fixées par accord à leurs salariés, comme un nombre donné de jours télétravaillés, par exemple, et à les faire respecter.
Car ces règles ont fini par ne plus être appliquées, faute de contrôle de la part des entreprises dans le suivi de leur accord de télétravail. Il y a ainsi de fréquents dépassements du nombre de jours télétravaillés prévus par accord. J’ai vu une entreprise afficher sur un écran, à l’entrée des locaux, un rappel des règles de télétravail : 4 jours sur site par mois. Cela semble déjà peu comme temps de présence, mais certains salariés ne venaient plus du tout dans l’entreprise.
Certaines entreprises se posent la question, mais de là à en faire une tendance générale, non. D’ailleurs, une entreprise qui a réduit grâce au télétravail le nombre de ses mètres carrés ne va pas inverser la tendance. Il y a plutôt une réflexion de l’organisation présentielle des locaux. C'est l'occasion pour les entreprises de s'interroger : pourquoi ne pas prévoir des bureaux en position debout pour réduire la sédentarité ? Des salles où l'on peut écrire sur les murs ? Recréer des petites salles de 3 à 5 personnes qui manquent souvent dans les entreprises ?
Non, pas forcément, mais souvent. L’existence du télétravail est fréquemment présentée comme un argument pour passer en flex office. D’ailleurs, les discours des entreprises sont contradictoires. Elles peuvent prêcher davantage de présentiel, mais décider pour des raisons de coût de fermer toute une période (canicule, Jeux Olympiques, etc.) ou, par exemple, le vendredi.
C’est très compliqué pour les CSE, car ils sont eux-mêmes confrontés aux avis différents des salariés sur le sujet. Et ils sont eux-mêmes confrontés à un dilemme : être ou ne pas être, en tant qu'élus, en télétravail ? D’autre part, la question que les CSE doivent se poser, c’est, bien sûr, la finalité d’une mise en place du télétravail, et ses effets sur les salariés. Par exemple, si une majorité ou deux tiers des salariés se satisfont de deux jours de télétravail par semaine, pour d’autres, comme les salariés reconnus comme travailleurs handicapés ou les aidants familiaux, ce ne sera pas adapté. Ces éléments de contexte social doivent être pris en compte et défendus par les représentants du personnel. Mais attention aussi au phénomène "loin des yeux, loin du cœur"...
L’homme est un "animal social". Lorsqu’un salarié est très souvent en télétravail, il est beaucoup moins connu des managers qui, en revanche, voient régulièrement passer devant leur bureau d'autres salariés, avec lesquels ils vont prendre un café et partager davantage de "off".
Les personnes en télétravail peuvent se retrouver moins bien évaluées, moins promues, que celles qui sont plus souvent présentes. Les élus doivent être vigilants sur ces questions, ne serait-ce qu’en alertant les salariés. On sait bien, d’autre part, que le télétravail expose aussi les salariés à davantage de fatigue visuelle et mentale, sans parler d’un risque physique lié à la sédentarité.
En tant qu’expert, nous vous répondrons que les causes d’une personne en souffrance au travail doivent être d’abord cherchées dans l'organisation du travail. Le télétravail peut engendrer des facteurs de souffrance : productivité accrue, manque de lien social, défaut de régulation écrit ou oral avec son manager ou ses collègues, pas de pause ni de rituels sociaux, perte du sentiment d'appartenance, etc. Il y a aussi quelque chose de plus profond tenant au sens du travail. Rester chez soi pour travailler, cela paraît très bien sur le papier, mais quel sens cela a-t-il si les relations professionnelles diminuent ?
Difficile à dire. Dans les grands groupes, il peut y avoir un accord pour un meilleur forfait, et tenant compte des coûts pour le salarié. Mais même dans certaines grandes entreprises, le télétravail peut être encore présenté par la direction comme un avantage qui n’a pas à être compensé. Pourtant, l’employeur est soumis à l’obligation générale de prendre en charge les frais engagés par le salarié pour un télétravail régulier ou occasionnel, mais cette règle n’est pas absolue. Là encore, il faut négocier (**).
Les élus n’ont pas souvent le droit, qui peut être prévu par accord, d’utiliser les mails professionnels des salariés, c'est donc compliqué ! L’utilisation du local CSE, avec des permanences, reste pratique pour voir les salariés, leur parler, y compris à l’occasion de la distribution de chocolats ou de bons cadeaux. C’est l’avantage de ne pas tout traiter par le numérique et les mails. Du point de vue d’un maintien de la proximité entre élus et salariés, basculer vers la numérisation totale des activités sociales et culturelles n’est pas souhaitable.
Pour le dire de façon un peu abrupte, le télétravail n’est pas une conquête sociale, c’est une forme différente d’organisation du travail. C'est ainsi qu'il faut l'aborder dans une négociation. Elle peut avoir des tas d’avantages pour la qualité de vie, bien sûr (moins de temps dans les transports, etc.), mais il y a aussi un versant négatif à traiter dans les accords. A nos yeux, le télétravail ne doit pas être l’unique modalité d’organisation du travail. Les temps collectifs doivent exister et être organisés.
Il y a bien sûr la question de l’indemnisation journalière, on l’a vu. Mais un point très important est le contrôle réel de la charge de travail du télétravailleur. Quelqu’un peut recevoir chez lui des demandes de plusieurs managers, surtout dans les organisations matricielles, sans que personne ne soit au courant de ce cumul de travail. Certaines sociétés technologiques utilisent des outils pour suivre les temps de connexion des équipes, et d’utilisation des mails, afin de vérifier que le cadre légal ou celui prévu par accord n’est pas dépassé. Mais il faut dire que les accords prévoient trop peu la vérification de l’application des dispositions négociées et de leurs effets (nombre d’événements collectifs, par exemple). Nous ne pouvons également que conseiller de prévoir dans ces accords une politique de prévention, de la santé physique (attention à la sédentarité) et mentale. Cela peut passer par la formation (apprendre aux cadres à manager le télétravail) et l’inscription de points d’examen du Duerp (document unique d’évaluation des risques professionnels) et du Papripact (programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail). Distribuer des livrets recommandant aux salariés de se lever toutes les demi-heures, ce n'est pas suffisant !
Pour recruter dans certains métiers en pénurie, en effet ! Une entreprise qui a du mal à trouver des profils dans sa zone géographique aura intérêt à intégrer le télétravail dans sa stratégie de recrutement pour élargir sa recherche et ses chances de trouver de bons candidats.
(*) Ce guide a été écrit par Laëtitia Léon avec l’appui de Françoise Bruna-Rosso et d’Estelle Richard, expertes auprès des CSE et spécialisées dans la prévention des risques professionnels. Pour le télécharger, cliquez ici
(**) Le principe d’une prise en charge par l’employeur des frais de télétravail est par exemple rappelé dans l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020, mais la jurisprudence a exclu toute prise en charge pour un salarié ayant pris l’initiative de télétravailler. Le mieux est donc de négocier les modalités de cette prise en charge. Rappelons que l’Urssaf exonère de cotisations sociales un forfait de prise en charge de frais de télétravail de 10€ par mois pour 1 jour par semaine, 20€ par mois pour 2 jours, 30€ par mois pour 3 jours.
CSE et délégués syndicaux :
quelle complémentarité sur le télétravail ?
|
---|
|
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
Nos engagements
La meilleure actualisation du marché.
Un accompagnement gratuit de qualité.
Un éditeur de référence depuis 1947.
Des moyens de paiement adaptés et sécurisés.