Le revenu de base ne sera pas expérimenté

Le revenu de base ne sera pas expérimenté

01.02.2019

Action sociale

Grande déception pour les 18 départements qui souhaitaient expérimenter sur leur territoire le revenu de base : la majorité parlementaire a rejeté cette proposition du groupe socialiste. En désaccord sur l'inconditionnalité du revenu de base, le gouvernement entend se concentrer sur son projet de revenu universel d'activité qui va commencer à être discuté en 2019.

"La France traverse l'une des plus graves crises sociales qu'elle ait connu depuis l'après-guerre. Celles et ceux qui en sont les premières victimes ont exprimé au grand jour leur désespoir parfois, leur colère souvent et leur exigence de justice sociale toujours." Ainsi commence l'exposé des motifs de la proposition de loi (PL) socialiste "d'expérimentation territoriale visant à instaurer un revenu de base". Celle-ci est issue d'un long travail de réflexion, de consultation et de validation scientifique effectué par 18 départements à l'instigation de la Gironde (lire notre article de présentation).

Deux évènements

Depuis le dépôt de la PL à l'Assemblée, il s'est produit deux événements qui modifient la donne : l'émergence du mouvement des Gilets jaunes et le lancement le 15 janvier du Grand débat national. Les orateurs socialistes qui défendent cette PL n'ont pas manqué de rappeler à la majorité la nécessité d'être plus à l'écoute des territoires et des corps intermédiaires. Mais cela n'a pas suffi : la motion de rejet de cette PL a été adoptée. Reprenons le fil de cette matinée.

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Poser une première pierre ambitieuse

Ce 31 janvier au Palais Bourbon, c'est la journée réservée à l'examen des propositions de loi du groupe socialiste : cinq textes sont sur la table, dont celui sur le revenu de base et celui sur une école vraiment inclusive. Avec une cinquantaine (au départ) de députés dans l'hémicycle, on démarre avec celui qui a été le plus médiatisé concernant le revenu de base. Le député de l'Ardèche Hervé Saulignac, rapporteur du texte, montre que notre système actuel est à bout de souffle : "procédures administratives lourdes, rupture du droit, travailleurs sociaux découragés". Estimant que "la lutte contre la pauvreté est le parent pauvre de nos politiques", il demande qu'à "défaut de tout réformer, on pose une première pierre ambitieuse." Le rapporteur insiste sur les points nouveaux du texte : l'ouverture de ce revenu aux 18-25 ans, l'inconditionnalité de l'aide (pas de contrepartie exigée en matière de recherche d'emploi) et l'automaticité du versement. Pour essayer de faire pencher la balance, il rappelle la déclaration du président de la République enjoignant les territoires à expérimenter.

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Pas d'accord avec l'inconditionnalité

Pour lui répondre, la secrétaire d'Etat Christelle Dubos enfile d'abord les généralités ("penser les solidarités de façon radicalement nouvelle", "reconstruire les liens entre Français") avant de répondre sur le fond à la PL socialiste. Oui, dit-elle, plusieurs des constats sont partagés : "Votre réflexion sur la simplification des aides est juste et légitime". Elle indique ainsi que le chantier d'allégement des déclarations sociales sur le principe de "Dites-le nous une fois" devrait aboutir en 2020. Revenant sur le revenu universel d'activité (RUA) annoncé par Emmanuel Macron en septembre dernier lors de la présentation de la stratégie pauvreté, elle a précisé qu'une loi serait discutée en 2020. Le RUA se différencie du revenu de base sur un point essentiel : l'inconditionnalité. Pour la représentante du gouvernement, le revenu de base dissuaderait la recherche de travail et affaiblirait la mission d'accompagnement social et professionnel.    

"Une avancée modeste mais réelle"

Le représentant de l'UDI, Paul Christophe, se rejouit de l'idée d'expérimentation, même s'il énonce quelques désaccords avec le projet : "Cela risque de relancer le débat sur l'assistanat", en pointant le principe d'inconditionnalité. Le porte-parole de la France insoumise, Jean-Hugues Ratenon, explique que le projet lui semble "très timide" mais qu'il représente "une avancée modeste mais réelle". Pierre Dharéville, député communiste, explique avec force que "la loi du mérite, c'est la victoire de quelques-uns contre tous les autres". Il soutient cette PL et ses intuitions fortes sur l'automaticité des droits et l'inconditionnalité de l'aide. Le parlementaire des Bouches-du-Rhône se dit cependant méfiant vis-à-vis de la fusion des allocations (par peur que certains y perdent).

Plus de temps pour l'accompagnement

Au nom du nouveau groupe Libertés et territoires (1), Jeanine Dubié (une ancienne assistante sociale) exprime tout le bien qu'elle pense de cette proposition de loi. "S'il y a moins de contrôle, les travailleurs sociaux peuvent davantage se consacrer à l'accompagnement", assure-t-elle. Elle estime que cette expérimentation pourrait alimenter la réflexion du gouvernement sur le RUA.

Des démarches contraires

La tonalité est totalement différente avec la porte-parole de La République en marche, Fadila Khattami. Elle estime que "notre démarche est contraire à la vôtre", expliquant que la visée est de renforcer l'accompagnement. Chahutée à plusieurs reprises, la représentante du parti majoritaire préfère "investir massivement dans les ressources humaines" en rappelant que "200 000 offres d'emploi ne sont pas pourvues.

Laisser l'expérimentation se faire

Le Républicain Stéphane Viry propose une argumentation en deux points : un désaccord avec plusieurs pré-supposés du revenu de base comme l'ouverture à partir de 18 ans ("ce serait un mauvais signal pour les jeunes") ou l'inconditionnalité au nom de la centralité de la valeur travail ; une volonté de laisser les territoires expérimenter, constatant que "le président a exprimé son intérêt pour l'expérimentation, mais que peu aboutissent". Pour le Modem, enfin, Michèle de Vaucouleurs estime qu'il faut une contrepartie avec un suivi du bénéficiaire. Elle s'interroge sur les allocations qu'il faudrait fusionner. "Il faut une étude d'impact pour qu'il n'y ait pas de perdant", assure-t-elle. 

Feuille blanche... ou pas

Divers députés s'expriment ensuite, avec une teinte souvent plus polémique. Boris Vallaud (PS) dénonce "la surdité, le sectarisme" du groupe LREM en rappelant le sérieux de la démarche des 18 départements qui ont recueilli 15 000 contributions citoyennes. Mireille Robert (LREM) estime que l'ADF est réticente à cette idée du revenu de base et que le RUA sera généralisé avant la fin du quinquennat. Une idée que conteste le rapporteur de la PL Hervé Saulignac : "Votre timing est rocambolesque. Si la loi sur le RUA est votée en 2020, vous l'appliquerez quand ?" Il ironise également sur le fait que le gouvernement arrive sur ce dossier avec une feuille blanche. "Nous n'arrivons pas avec une feuille blanche avec le revenu de base." Et de gronder : "C'est un simulacre de débat politique."

Motion de rejet adoptée

Restait ensuite les différents groupes à s'exprimer sur la motion de rejet déposée par le groupe LREM. Tous les groupes, à l'exception de celui-ci et du Modem, s'expriment contre cette motion qui est tout de même adoptée par 64 voix contre 49.

Le revenu de base ? Ce n'est pas fini !

Quelques minutes plus tard, les présidents Gleyze (Gironde) et Troussel (Seine-Saint-Denis) ne cachaient pas leur déception, voire leur colère. "C'était un spectacle affligeant, estime Stéphane Troussel. Je suis choqué par les arguments de la majorité contre les départements". "Nous n'allons pas ranger dans notre cartable notre projet, assure cependant Jean-Luc Gleyze. Nous nous en resservirons lors de la concertation sur le RUA." En attendant, la volonté de l'exécutif de se rapprocher des élus et des corps intermédiaires aura connu un sérieux faux pas lors de ce débat parlementaire.

 

(1) Groupe parlementaire constitué en 2018 et rassemblant des députés venant d'horizons divers : régionalistes, radicaux de gauche, centristes, écologistes...

Noël Bouttier
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