Le Sénat veut mettre le paquet contre la fraude sociale

Le Sénat veut mettre le paquet contre la fraude sociale

30.05.2016

Action sociale

Alors que des départements tentent de durcir les conditions de contrôle des allocataires du RSA, la commission des affaires sociales du Sénat a adopté une proposition de loi qui muscle sérieusement les moyens donnés à la lutte contre la fraude sociale. Même si le texte a peu de chances d'être adopté définitivement, il pourrait inspirer le programme de la droite en 2017.

Certains appelleront cela un ballon d'essai. La commission des affaires sociales du Sénat vient d'adopter une proposition de loi (PPL) "visant à améliorer l'accès aux droits et à lutter contre la fraude sociale" qui doit passer en séance publique ce 31 mai. Le même texte a été déposé à l'Assemblée nationale et attend une date d'examen. Cette initiative concertée annoncée en octobre dernier est l'oeuvre du sénateur (Les Républicains) Eric Doligé, bien connu pour ses propositions de "rationalisation" dans l'action sociale, et du député Edouard Courtial, président (LR) du conseil départemental de l'Oise (1).

Contexte politique particulier

Cette initiative parlementaire intervient dans un contexte politique particulier marqué par deux faits majeurs. D'une part, les relations entre l'Etat et les départements sont particulièrement tendues sur la question de la renationalisation du RSA, et plus largement sur les marges d'autonomie financière de ces collectivités. D'autre part, certains conseils départementaux entendent durcir les conditions d'octroi du RSA, soit en le conditionnant à la réalisation de quelques heures de travail d'intérêt général, soit en renforçant le contrôle des allocataires. Le conseil départemental du Haut-Rhin se distingue en étant actif sur les deux tableaux : cet hiver, il s'était fait connaître en annonçant que chaque allocataire devrait, sauf cas de force majeure, effectuer sept heures de travail hebdomadaire. Tout dernièrement, des allocataires du RSA dans le Haut-Rhin se sont émus de recevoir des services départementaux la demande expresse de leur envoyer leurs derniers relevés bancaires. Son voisin du Bas-Rhin a, de son côté, précisé qu'il avait recours à cette pratique depuis trois ans.

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"Un système de protection sociale à bout de souffle"

Que dit la proposition de loi des deux parlementaires ? Dans l'exposé des motifs, il est affirmé que "le système de protection sociale, par essence universel et généreux, est à bout de souffle". L'une des causes de cette fragilité serait liée au phénomène de la fraude sociale (englobant tous les types de prestations). Selon les chiffres 2013 de la Délégation nationale de lutte contre la fraude (DNLF), cités dans la PPL (2), celle-ci dépasserait les 630 millions d'euros sur un total de 3,8 milliards d'euros.

Dans les objectifs assignés à leur texte, les parlementaires précisent qu'ils souhaitent que "les modalités de contrôle ne portent pas atteinte aux droits des bénéficiaires et s'inscrivent dans les dispositions décidées par le législateur en vue d'éviter tout risque de dérive". En clair, il vaut mieux faciliter un peu les moyens de contrôle des départements plutôt que ceux-ci prennent des initiatives "sauvages", comme c'est, par exemple, le cas en Alsace.

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Deux groupes d'allocataires

Les parlementaires Courtial et Doligé reviennent sur la philosophie du RSA. Celui-ci est orienté vers une mission d'insertion ; or, constatent-ils, "une part non négligeable des bénéficiaires du RSA est malheureusement en très grande difficulté du fait de pathologies difficilement surmontables et/ou d'un éloignement vis-à-vis de la société qui ne saurait trouver une réponse dans le dispositif actuellement en vigueur." Ils envisagent dès lors que les allocataires du RSA soient scindés en deux groupes. Ceux qui ne présentent pas de possibilité d'insertion seraient exclusivement pris en charge par des dispositifs d'Etat avec une approche davantage sanitaire que sociale ; les autres, ayant "des possibilités d'insertion sociale et professionnelle", seraient toujours sous la responsabilité des départements.

Un RSA plus difficile à obtenir...

Dans le détail, que propose cette PPL ? Le droit au RSA serait ouvert plus difficilement puisqu'il faudrait que toutes les pièces soient réunies au préalable. Actuellement, expliquent les auteurs, certains renseignements sont fournis a posteriori, voire jamais, et les remboursements d'indus sont particulièrement difficiles à obtenir. Les ressortissants d'un pays de l'Union européenne devraient attendre un an de résidence avant de pouvoir le percevoir (il est actuellement de trois mois). Autre disposition restrictive : une personne démissionnaire de son emploi (hors période d'essai) devra attendre 6 mois avant de toucher le RSA.

... et plus facile à interrompre

Le RSA serait, en revanche, plus facile à interrompre. Actuellement, explique la PPL, chaque dossier doit passer au préalable en équipe pluridisciplinaire. Les parlementaires souhaitent que "la sanction s'applique dès la survenance du non-respect des droits et devoirs en conservant une présentation du dossier en équipe pluridisciplinaire a posteriori." Mais, ils ne disent pas ce qu'il se passerait si celle-ci contredisait la décision initiale de la sanction. Le droit au RSA serait-il rétabli immédiatement ?

Des possibilités de contrôle renforcé

Les deux parlementaires entendent également renforcer les capacités de contrôle des allocataires par les départements. L'accès aux documents, notamment en provenance des fournisseurs d'eau et d'électricité, serait facilité. Toutes les vérifications pourraient être faites "sur la détention par l'allocataire et ses ayants-droits d'un patrimoine immobilier ou de produits financiers dans un pays étranger".  Les agents départementaux seraient déliés de l'obligation de secret professionnel. Une mesure explosive alors que les travailleurs sociaux s'inquiètent déjà des violations de la vie privée des personnes accompagnées via l'échange d'informations...

Possibilité d'exiger une contrepartie

Reste une dernière question - de taille : quelle contrepartie faut-il (ou peut-on) exiger du bénéfice du RSA ? Entre la proposition de loi initiale et la version retenue par la commission des affaires sociales, les choses ont quelque peu évolué. Au départ, les deux parlementaires conditionnaient le RSA à la réalisation d'heures de travail d'intérêt général (excluant donc, précisent les auteurs, "les activités du secteur marchand"). Dans le texte qui va être soumis aux sénateurs le 31 mai, ce serait simplement une possibilité donnée à la collectivité, pas une obligation.

Une source d'inspiration pour la droite ?

Que va devenir ce texte une fois adopté par la Chambre haute ? Il est probable que l'Assemblée ne s'en saisira pas, ou, s'il est présenté lors d'une niche parlementaire de l'opposition, qu'il sera rejeté. Pour autant, il pourrait très bien ressortir à la faveur des scrutins présidentiel et législatifs de 2017. Les deux parlementaires préviennent d'ailleurs : "Les finances publiques doivent ainsi entrer dans une logique d'efficacité afin de dégager les moyens nécessaires au service des plus démunis". Au regard de l'objectif affiché, deux questions se posent : les moyens mis en oeuvre pour traquer une fraude sociale qui reste limitée (3) ne seront-ils pas presque aussi importants que les sommes qu'on espère récupérer ou économiser ? Cet accent mis sur les abus ne risque-t-il pas d'accroître la stigmatisation des pauvres et par là-même les phénomènes de non-recours qui restent forts ?

 

(1) Une autre proposition de loi voisine a été déposée par le député Eric Ciotti, président (LR) du conseil départemental des Alpes-Maritimes.

(2) Curieusement, le chiffre cité ne se retrouve pas dans le bilan établi par la DNLF qui parle d'une "fraude aux prestations sociales détectée par les organismes de sécurité sociale" de 327 millions d'euros en 2013. Soit presque moitié moins que le chiffre avancé !

(3) La fraude au RSA concernerait environ 2 % des allocataires.

Noël Bouttier
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