[Législatives] Pouvoir d'achat, travail, dialogue social : notre comparatif des programmes

[Législatives] Pouvoir d'achat, travail, dialogue social : notre comparatif des programmes

26.06.2024

Représentants du personnel

A quelques jours du premier tour des élections législatives, nous vous proposons une infographie comparant les propositions des principales listes sur le plan social (pouvoir d'achat, dialogue social et instances représentatives, etc.) précédée d'une analyse des enjeux.

Si la Ve République a déjà connu des dissolutions (sous la présidence De Gaulle, qui remporte les élections après les grandes grèves de Mai 68, sous la présidence Chirac, qui les perd en 1997), celle que nous vivons paraît pourtant inédite. Inédite du fait de la brièveté de la campagne, qui n’a permis ni une réelle élaboration des programmes (voyez vous-même dans l'infographie comparative ci-dessous) de la part des partis politiques tous pris de court – y compris dans la majorité présidentielle, ni un débat public satisfaisant à la hauteur des enjeux du moment (comment agir pour réduire le nombre et la gravité des accidents du travail, comment "améliorer" les conditions de travail et la santé mentale des salariés que de nombreux indicateurs jugent inquiétante, comment favoriser la montée en gamme du tissu économique afin de tirer le pays et les salaires vers le haut, comment assurer l’avenir de nos régimes de protection sociale, quelle adaptation de notre modèle économique et social au défi environnemental, etc.).

La possibilité de voir accéder au gouvernement un parti d’extrême droite après le 7 juillet 2024, ce que la France n’a pas connu depuis la seconde guerre mondiale et le régime collaborationniste de Vichy, ajoute à cette dramatisation. Bien qu’elles soient aussi traversées par le vote RN devenu le premier parti politique dans plusieurs catégories socioprofessionnelles (lire notre infographie), la plupart des organisations syndicales, ainsi que de nombreuses associations, jugent que l’arrivée du RN à Matignon représenterait un danger pour la cohésion sociale (le discours hostile sur les étrangers entraînant une désinhibition du racisme), les libertés publiques et l’action collective revendicative. A cet égard, force est de noter que le Rassemblement national n’a pas cessé ces dernières semaines de lisser ses propositions, à l’exception notable du volet sur l’immigration, avec des mesures jugées par de très nombreux juristes contraires au principe d’égalité, et donc a priori inconstitutionnelles (lire notre article).

Un débat public confus

L’imprévisibilité du résultat, et le risque réel d’absence de majorité absolue, participent à la confusion, renforcée par le caractère houleux des débats, les divisions délétères (éclatement des Républicains à droite, bataille pour le leadership à gauche sur fond d’accusations d’antisémitisme), les positionnements et calculs ("Emmanuel Macron a tué la majorité présidentielle", a dit son ancien Premier ministre, Edouard Philippe) qui succèdent à des élections européennes déjà très tendues, le tout dans un contexte budgétaire difficile pour l’Etat (le déficit public a atteint 5,5% du PIB fin 2023).

L’élection devrait donc représenter une rupture par rapport à la situation de majorité relative dont bénéficiait Emmanuel Macron depuis 2022, après un premier quinquennat "protégé" par une majorité parlementaire absolue et peu encline à se distinguer de l’exécutif, comme on l’a vu avec les ordonnances de 2017, guère amendées par les députés.

Désormais, le fait de ne plus pouvoir à nouveau dissoudre l’Assemblée pendant un an désarme quelque peu le président face aux députés, qui gardent eux la possibilité de voter une motion de censure qui renverserait un gouvernement choisi malgré eux par le président. Et l'on a vu sous les précédentes cohabitations que le gouvernement pouvait agir (c’est sous la présidence de François Mitterrand que Jacques Chirac a conduit de nombreuses privatisations et supprimé l’impôt sur la fortune ; c’est sous la présidence de Jacques Chirac que Lionel Jospin a lancé les 35 heures et le Pacs).  "Pour la première fois sous la Ve République, une dissolution aboutirait (..) à ce qu’une majorité (..) puisse dicter le nom du Premier ministre au président de la République, mais aussi que cette majorité puisse refuser au chef de l’Etat la poursuite de son mandat", estime même le constitutionnaliste Jean-Pierre Camby dans le Monde.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Mais revenons au fond et, pour ce qui nous concerne, aux thèmes liés au travail. Comme on le voit dans notre tableau comparatif ci-dessous, les propositions économiques et sociales faites pour ces législatives par trois des quatre blocs principaux en lice s’inscrivent, à des degrés divers, dans une forme de continuité de la politique suivie depuis 2017 par l’exécutif, si l'on excepte la question des tarifs de l'énergie et de son coût pour les finances publiques.

Ensemble (Renaissance, Horizons, Modem, UDI, soit la majorité présidentielle), les Républicains et le RN entendent soutenir le pouvoir d’achat des salariés par la poursuite de la politique d’exonération de cotisations sociales et de la politique de stabilité ou de baisse d’impôts, le RN allant jusqu’à promettre l’absence d’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans (lire notre article) tandis qu’Ensemble mise sur une prime de partage de la valeur portée à 10 000€ par an et mensualisée et sur un nouveau calibrage des exonérations de cotisations pour inciter les employeurs à augmenter les salaires (lire notre article).

A l’inverse, le Nouveau Front populaire (qui agrège la France insoumise, le PS, le PCF et les écologistes) mise sur une augmentation substantielle du Smic (+14%). Ce "choc", dont le patronat dénonce par avance les effets négatifs sur l'emploi, serait compensé par des mesures ciblant les PME, ont assuré Eric Coquerel (LFI) et Boris Vallaud (PS). Et il s'accompagnerait d'une l'indexation des salaires (lire notre article), et d'une conférence sociale sur les salaires et les qualifications (lire notre article).

L’on voit ici toute la complexité de la question des revalorisations salariales : une hausse du Smic pose la question des grilles conventionnelles, sachant que l’Etat n’a guère les moyens de contraindre les entreprises privées à augmenter les salaires. Outre l’abrogation de la réforme des retraites, sujet sur lequel le RN reste toujours assez flou, le Nouveau Front populaire prévoit davantage de prélèvements (y compris sur la participation et l’intéressement) et une plus forte progressivité de l’impôt sur le revenu, et il promet (comme le RN) l’abrogation de la réforme de l’assurance chômage.

Peu d'éléments sur les IRP

Sur le terrain des institutions représentatives du personnel (IRP), peu de propositions ont été faites, alors que le bilan des ordonnances de 2017 a été dressé de multiples fois, et que les demandes des organisations syndicales sont bien connues (suppression de la limitation à 3 mandats successifs, instauration obligatoire de représentants de proximité, par exemple). Le Nouveau Front populaire se distingue en promettant un retour au CHSCT, c’est-à-dire à une instance représentative du personnel autonome dédiée aux questions de santé, sécurité et conditions de travail. Non détaillée, cette proposition s’accompagne de la promesse d’inscrire le burn out (ou épuisement professionnel) dans le tableau des maladies professionnelles, la coalition de gauche voulant aussi renforcer les prérogatives des CSE et le nombre des salariés présents dans les conseils d'administration des entreprises.

De son côté, Ensemble promet la tenue d’une conférence sociale pour élaborer un plan de lutte contre les accidents du travail.

Quant au dialogue social proprement dit, hormis des proclamations d’intention, il est très peu présent dans les programmes, alors que la période récente a été marquée par de grandes crispations sociales (émeutes urbaines de l’été 2023, réforme des retraites, Gilets jaunes, etc.) et que le Conseil économique, social et environnement (CESE) vient de rappeler les vertus d'une méthode passant par "un dialogue apaisé et le respect des différences et des divergences". 

Une question demeure toutefois : la promesse de "simplification administrative", formulée à droite, au centre et à l’extrême droite, cache-t-elle, comme le craint le Cercle Maurice Cohen, de nouvelles réformes du droit du travail et de la négociation collective ? En février dernier, un rapport parlementaire avait suggéré une hausse radicale des seuils sociaux pour certaines obligations pesant sur les employeurs comme la création du CSE (de 50 à 250 salariés), la fourniture de la BDESE (base de données économiques, sociales et environnementales) seulement à partir de 1 000 salariés…

 

 

 

 

Bernard Domergue
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