Les deux cultures professionnelles des "généralistes du social"

Les deux cultures professionnelles des "généralistes du social"

09.01.2019

Action sociale

Le département de Seine-Saint-Denis a confié à deux sociologues le soin d'aller à la rencontre des travailleurs sociaux travaillant en polyvalence de secteur. Il apparaît clairement que se développent des phénomènes d'usure et d'insatisfaction liés notamment à la montée des problèmes sociaux. L'étude distingue clairement deux cultures professionnelles différentes.

"Pour aller à l'essentiel, nous dirons que les "jeunes" professionnels s'usent à force de s'investir dans la mise en oeuvre des dispositifs et que les "anciennes" s'usent à force de chercher, contre les évolutions du métier allant vers une plus grande bureaucratisation, à maintenir le coeur de leur activité". Ainsi résumé, voilà la trame (principale, mais pas exclusive) de cette étude conduite par l'observatoire de l'expérimentation et de l'innovation locales, dépendant de la Fondation Jean Jaurès, dans le département de Seine-Saint-Denis dirigé par Stéphane Troussel (PS). Plus exactement, cette étude conduite par les sociologues Nicolas Duvoux et Pauline Mutuel s'est intéressée au travail réalisé dans les 33 circonscriptions de service social, dans ce qu'on appelle la polyvalence de secteur. Laquelle voit chaque année plus de 360 000 passages dans ce département où près d'une personne sur trois vit en-dessous du taux de pauvreté.

Représentations différentes, valeurs communes

Quelle représentation les agents ont-ils de leur mission, de leur métier ? Qu'est-ce qui explique la montée des phénomènes d'usure voire de découragement ? Comme énoncé plus haut, les sociologues ont mis à jour deux représentations différentes de la profession même si les valeurs sont communes. Dans le premier cas, le travail social est associé au militantisme, avec la volonté de combattre les injustices. Dans le second, le travail social est davantage articulé avec l'exercice de droits nouveaux et la notion de carrière professionnelle n'est pas un tabou.

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Nouveaux publics

Dans le détail, 62 entretiens ont eu lieu, principalement avec des agents des circonscriptions mais aussi avec des responsables de deux directions départementales. Il apparaît que les travailleurs sociaux sont de plus en plus amenés à prendre en charge de nouveaux publics : travailleurs pauvres, familles monoparentales, retraités... L'attitude de certaines de ces personnes a profondément évolué : elles viennent pour obtenir une réponse à une question précise et se déclarent non intéressées par un accompagnement global.

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Travail de prévention sacrifié

L'étude fait état, sans surprise, d'une grande fatigue des travailleurs sociaux qui "évoquent l'extension des besoins sociaux et de la demande des publics, tandis que les réponses institutionnelles ne croissent pas dans les mêmes proportions." Elle insiste sur les conséquences chronophages des plans de dématérialisation impulsés par les administrations sociales. En bout de course, ce sont les assistants sociaux qui sont sollicités pour répondre à un mail, pour constituer un dossier. Les situations d'urgence se multiplient dans certaines circonscriptions, si bien que le travail de prévention des situations à risque est sacrifié. Les visites à domicile, utiles pour les publics âgés, se font dès lors plus rares, ainsi que les actions collectives.

Sentiment d'un travail mal fait

Les "généralistes du social" que sont les professionnels en polyvalence de secteur ont pointé divers écueils auxquels ils se heurtent. Ils sont souvent confrontés à un manque de solutions face aux problèmes soulevés, à une multiplicité des dispositifs et un développement d'une logique gestionnaire (avec production de statistiques) associée au new public management, etc. Face à ces difficultés se développe le sentiment d'un travail mal fait qui heurte l'éthique des professionnels. Là encore, les deux approches du travail social - qui renvoient pour partie à un clivage générationnel - divergent dans leur appréciation de la situation. "Les "anciennes" expriment le sentiment d'un oubli du métier, de ses principes et pratiques fondamentaux", mettant en cause l'approche bureaucratique, le guichet. Les jeunes professionnels mettent en avant un autre type de militantisme qui cherche à promouvoir "un horizon régulateur, juridique ou normatif devant protéger ou améliorer les conditions dans lesquelles s'effectue [le travail social]".

Risque de culpabilisation des bénéficiaires

Dans cette situation de plus en plus contrainte, les astuces des professionnels se développent. Au titre de ce bricolage, sont cités le forcing auprès des partenaires, la sollicitation multiple et simultanée de partenaires pour obtenir une aide, la mise en place d'échéanciers de remboursement, etc. 

Les professionnels de terrain regrettent une absence de discours fort du niveau institutionnel. "La collectivité n'a pas de message suffisamment fort pour soutenir les professionnels dans leur vocation à faciliter l'accès aux droits des populations", souligne le rapport. En l'absence de cette expression, les travailleurs sociaux fragilisés pourraient être amenés à culpabiliser les usagers. Là encore, les deux cultures professionnelles ont un positionnement différent par rapport à ce manque de pilotage central. "Les "jeunes/nouvelles" ont plutôt tendance à déplorer un déficit de cadre tandis que les "anciennes/vieilles" se méfient de la dimension gestionnaire de l'encadrement", explique l'étude. 

Disparités territoriales

Ce travail met aussi en avant les grandes disparités d'une circonscription à l'autre. Dans certaines, on distingue un pôle accueil d'un second destiné à l'accompagnement ; ailleurs sont mises en place des permanences d'accueil. Le management diverge également : ici, il est participatif, là peu encadrant, ici encore directif et descendant. Le traitement de l'urgence, des astreintes n'est pas le même d'un endroit à l'autre.

D'autres professions dans les circonscriptions

Parmi la vingtaine de préconisations qui concluent cette étude, on retrouve la demande d'une meilleure adéquation des moyens aux besoins du terrain. Il est souhaité d'avoir des circonscriptions pluridisciplinaires avec l'intégration d'autres professions sociales, comme les conseillers en économie sociale et familiale (CESF), les conseillers conjugaux et familiaux, les psychologues, etc. Sur les difficultés liées à la dématérialisation, le rapport propose la création d'un lieu d'accueil pour les personnes en besoin et que les administrations telles que la Cnaf, la Cnav mettent à disposition des travailleurs sociaux des lignes téléphoniques privilégiées.    

Commentant cette étude, le président du conseil départemental Stéphane Troussel estime que "c'est là [au niveau des départements] que se poursuivent les réflexions entre réalité du quotidien et vision innovante, pour construire les politiques sociales de demain, à l'image du projet de revenu de base porté par 18 départements."       

Noël Bouttier
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