Les écoles de travail social opèrent leur virage numérique

Les écoles de travail social opèrent leur virage numérique

12.04.2019

Action sociale

Directeur des études à l’Institut régional du travail social (IRTS) des Hauts-de-France, Yann Regard, nous explique comment la pratique pédagogique des centres de formation doit s’adapter pour capter l’attention d’étudiants, très connectés, dont le profil évolue. E-learning, FOAD, classe inversée... il détaille avec conviction les atouts du virage numérique.

TSA : On assiste aujourd’hui à une mutation de la formation, de quel ordre est-elle ?

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Yann Regard : Je retiens trois éléments de contexte. Le premier tient à l'évolution de la réglementation : la machine s’est mise en route avec la loi du 5 mars 2014 et ses décrets d’application qui ont opéré une réforme de la formation professionnelle. Ce fut en quelque sorte l’année zéro de la « formation ouverte et à distance » (FOAD) puisqu’à partir de là les OPCA [organismes paritaires collecteurs agréés] ont pu financer ces actions.

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Autre élément : le profil des étudiants évolue, la moyenne d’âge est de plus en plus jeune et l’attention difficile à capter, notamment en cours de droit ou de psychologie. Il faut donc trouver de nouveaux modes d'apprentissage pour ces étudiants qui sont souvent très connectés, pendant les cours, à Facebook ou à leur messagerie via le téléphone, l'ordinateur ou la tablette.

Dernier élément : le plan d'action en faveur du travail social d'octobre 2015 dit que les établissements de formation en travail social (EFTS) doivent se mettre au distanciel et au e-learning. C'est donc une injonction et un cadrage national de se mettre au numérique, repris d'ailleurs par les conseils régionaux.

Vous êtes donc convaincu que la FOAD et l'e-learning peuvent aider à faire évoluer la pratique pédagogique ?

Oui, mais attention l’objectif est avant tout pédagogique, avant d'être technique ! Nous cherchons à capter l’attention. En quelque sorte, nous disons aux jeunes : "On va détourner ces machines que vous maîtrisez si bien à des fins pédagogiques".

L'e-learning des années 90/2000, qui proposait des plateformes de ressources, a plutôt été un échec car seuls les plus motivés s’en sortaient. La pratique consistant le plus souvent, pour les écoles, à mettre en ligne une pile de PDF in extenso, en disant "je fais du e-learning", ce n’est pas du tout cela. Sept heures de cours, pour retenir quoi ? Il fallait sortir de ce schéma.

Nous proposons aujourd'hui, non pas des plateformes de ressources, mais des plateformes d'apprentissage. A l’IRTS Hauts-de-France, nous avons repris le principe de classe inversée : ce n’est plus l’école traditionnelle, où l'enseignement se fait en classe et les devoirs à la maison. Désormais, les cours théoriques sont mis en ligne et visionnés à domicile, les étudiants peuvent en prendre connaissance tranquillement, à leur rythme. Et les devoirs, c'est-à-dire la mise en application et en situation, se font en cours. Lors d’un deuxième temps, appelé remédiation, le formateur peut alors reprendre et développer en présentiel, les points qui le nécessitent.

Vous avez donc adapté vos contenus de formation ?

Aujourd’hui, nous proposons en effet des plateformes d’apprentissage en essayant de rendre les contenus attractifs, efficaces et synthétiques. Nous nous sommes formés au "motion design" (graphisme animé) et réalisons des interventions filmées et des synthèses épurées. Il est important de bien distinguer deux choses : la FOAD et le e-learning. La FOAD, ou "blended learning", c'est une formation globale et hybride combinant présentiel et distanciel (avec de la visioconférence). Le e-learning (uniquement du distanciel) n’est qu’une composante de la FOAD.

Vous avez entrepris un gros travail de formation du personnel de votre IRTS ?

Oui, il aura fallu 18 mois pour 140 jours de formation mais au final nous sommes parvenus à former 100 % du personnel, soit 150 salariés, dont 70 formateurs en interne. Nous ne sommes pas plus malins que d’autres mais nous avons la chance d’avoir des équipements, un plateau de tournage, des effectifs qui nous permettent de faire des économies d’échelle et des investissements que d'autres ne peuvent pas se permettre. Notre IRTS est l'un des plus gros de France avec 5 000 apprenants répartis sur cinq sites et couvrant tous les diplômes. Aujourd’hui nous avons 120 modules de formation en ligne sur notre plateforme dénommée Enfis (espace numérique de formation en intervention sociale). Nous proposons 10 % d'e-learning dans l'ensemble de nos formations.

Sollicités pour dupliquer noter modèle, nous intervenons dans le cadre de "Challenges HDF" pour former d’autres écoles et, si besoin, leur fournir une plateforme numérique. Des établissements et associations gestionnaires font aussi appel à nous pour former leurs salariés et élaborer avec leur expertise de professionnels de terrain des capsules de formation adaptées sur des sujets comme les mineurs non accompagnés (MNA) ou l'autisme par exemple. C’est une invitation nationale à mutualiser nos ressources et à sortir de l’entre-soi dans le travail social tout simplement pour le rendre plus visible.

Vous préférez le terme d’apprenant à celui d'étudiant, en quoi est-ce différent ?

Oui, c’est un changement de vocable. On dit que les enseignants apprennent, c’est faux. L’acte d’apprendre, c’est l’étudiant qui le fait. J'utilise aussi cet acronyme que j'aime bien pour résumer notre démarche : ANCRE pour Andragogie (pédagogie à destination des adultes) Numérique Captivante à partir de Ressources Efficaces et de Remédiation.

Comment ont réagi vos étudiants à ce changement d’approche ?

Au début, ils ont essuyé les plâtres. L’écueil est souvent le suivant : les formateurs se saisissent de l'outil et veulent l'investir au maximum de son potentiel. Comme ces capsules de droit, réalisées sur un thème cinématographique avec de la musique... c’était bien mais peut-être un peu trop poussé. Au fil des années, cette technicité a cédé la place à l’efficacité de fond. Il faut un mariage entre la pédagogie et la technique. Voilà pourquoi, l’ensemble de nos séquences sont évaluées : « Avez-vous compris le fond, les notions clés ? Quelle note mettez-vous à ce cours à distance ? » On obtient une note moyenne de 8,89 sur 10.

De toute façon, nous progressons sans cesse. La FOAD n’est pas un long fleuve tranquille : on connaît l’objectif, mais rien n’est ficelé, le projet s'écrit en cheminant et il change constamment !

 

Tous les articles de notre série sur "le travail social à l'heure du numérique" sont rassemblés ici (lien à retrouver sur le site de tsa, dans la colonne de droite, rubrique "Dossiers").

Propos recueillis par Linda Daovannary
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