Les enfants placés prennent la parole lors d'un meeting

Les enfants placés prennent la parole lors d'un meeting

14.03.2019

Action sociale

Grande première française : les jeunes placés par l'ASE se sont mobilisés lors d'un meeting à Paris. Devant quelques élus très impliqués, ils ont réclamé une vraie prise en charge allant au-delà des 18 ans. Ils demandent un droit au contrat jeune majeur jusqu'à leur autonomie complète. Le secrétaire d'Etat Adrien Taquet lancera avant l'été un "pacte pour l'enfance".

La voix hésitante, l'émotion à fleur de mots, Catherine, la trentaine, dit en introduction qu'elle aurait pu s'appeler "Robinson". Des années plus tard, elle n'est toujours pas remise de sa sortie brutale du dispositif de protection de l'enfance. Avec des mots élégants, pleins de poésie, elle raconte. "Concernant le logement, comme disait Boris Vian, "Je voudrais pas crever / Sans avoir regardé / Dans un regard d'égout." A 18 ans, j'ai pu jeter un regard dans un regard d'égout. Sans argent, sans soutien, sans garant." Plus loin dans son intervention, après avoir remercié des personnes qui l'ont aidé à passer à l'épreuve, Catherine ajoute qu'elle est autiste Asperger.

Autre témoignage, celui de Gabrielle, 17 ans.

 

 

"A 18 ans, on est encore un enfant"

Des témoignages comme ceux de Catherine et Gabrielle, les trois à quatre cents participants au rassemblement organisé par le collectif "La rue à 18 ans" dont fait partie l'association Repairs ! (qui se définit comme "un réseau d'entraide entre pairs qui s'adresse aux sortants de foyers et de familles d'accueil") ont pu en entendre des dizaines. Cette libération de la parole des ex-enfants placés se déploie depuis quelques années, à l'instigation notamment de Lyes Louffok dont le témoignage "Dans l'enfer des foyers" (2014) a éveillé des consciences. Justement Lyes Louffok (lire son interview dans tsa) met les points sur les i dès l'ouverture des échanges : "De trop nombreux enfants placés savent ce que signifie d'être maltraités, parfois même agressés sexuellement. D'autres, le jour de leurs 18 ans, se retrouvent à la rue. A 18 ans, on est encore un enfant."

Entre les gouttes du malheur

Pendant deux heures, les témoignages vont se succéder, tous les plus poignants les uns que les autres. Certains ont pu passer entre les gouttes du malheur, telle Fouzi (photo) dont la formation en école de commerce a été financée par l'ASE. Très impliquée dans Repairs ! Val-de-Marne, elle insiste pour que "la parole se libère" et que se crée "des lieux nouveaux". Il faut donc sortir de la situation d'invisibilité sociale qui a longtemps prévalu. Estimant avoir eu de la "chance", cette jeune femme très dynamique a réfléchi sur les sorties sèches de l'ASE. "Des pays comme l'Argentine ou 27 Etats américains ont obtenu ce que nous demandons", ajoute-t-elle.

Droit de faire des études ?

La question des études est très fréquemment évoquée. Hakan raconte qu'il a dû arrêter ses études puis contracter un prêt étudiant. "L'ASE m'a dit que coûtais trop cher", rapporte-t-il. Stéphane, 30 ans, confie combien il lui a été difficile de faire trois ans d'étude pour devenir assistant social. "Mon contrat jeune majeur s'est arrêté à 21 ans en plein milieu de mes études", glisse-t-il. De nombreux témoignages ont montré que les enfants placés sont souvent orientés vers des filières courtes, même s'ils sont intéressés par des formations de quatre-cinq ans.

La galère du logement

La question du logement est également centrale. La fondation Abbé Pierre a d'ailleurs consacré un chapitre de sa dernière étude annuelle aux sortants de l'ASE. Responsable des études à la fondation, Manuel Domergue rappelle que 18 % des jeunes de 18 ans sans contrat jeune majeur se retrouvent à la rue dans l'année qui suit." Vivre dans l'instabilité a de lourdes conséquences pour stabiliser son chez soi. Elina Dumont qui a raconté son histoire dans "Longtemps j'ai habité dehors" (Flammarion), témoigne : Être à la rue à 18 ans, sans logement, c'est des difficultés pour tout : pour ouvrir un compte bancaire, les patrons ne vous embauchent pas, c'est une vraie catastrophe. Vous ne vous en sortez pas." Elle même n'a pu entrer dans son premier appartement qu'à 44 ans...

Rupture affective

Derrière tout cela, il y a la rupture, souvent brutale, avec la famille d'accueil. C'est très difficile pour le jeune, mais aussi pour ses parents "adoptifs". Vice présidente de la Fédération nationale des assistants familiaux, Michèle Babin explique : "On s'occupe d'enfants placés pendant des années. Un jour, on nous dit : il faut qu'ils partent, ils ne sont plus pris en charge. On est désespérés."

Le Cese s'en mêle

Alors que faire ? La situation est urgente car de nombreux jeunes sortants de l'ASE sont actuellement happés par des réseaux criminels (prostitution, trafics divers). Et comme l'explique Michèle Créoff (photo), vice-présidente du Conseil national de protection de l'enfance (CNPE), le nombre de contrats jeunes majeurs a reculé de 6 % depuis 2016, ce qui signifie plus de sorties sèches.

Vice-président du comité économique social et environnemental (Cese), Antoine Dullin rappelle que le Cese a voté en juillet dernier un avis "Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l'enfance" comportant une série de préconisations, notamment un "parcours d'accompagnement vers l'insertion assorti d'une garantie de ressources" et un "fonds de solvabilisation des restes à charge en foyers de jeunes travailleurs", etc. (voir l'avis). Il se félicite que certaines propositions du Cese puissent être repris par le secrétaire d'Etat Adrien Taquet (Llire encadré).

Batailles parlementaires

Le combat des enfants placés sortant de l'ASE n'est loin d'être isolé. Deux parlementaires, un homme, une femme, une députée, un sénateur, se sont engagés fortement. C'est le cas de la députée Perrine Goulet (LREM), elle-même ancienne enfant placée qui a été chargée d'une mission d'information sur l'ASE à l'Assemblée. Elle aussi plaide pour le vote de la proposition de loi déposée par Brigitte Bourguignon visant à rendre obligatoire le contrat jeune majeur pour tout jeune de l'ASE. "Jamais les deux chambres ne se sont mobilisées ensemble". En effet, le Sénat a constitué un groupe de travail sur la protection de l'enfance. Son président Xavier Iacovelli (PS) estime qu'il faut faire pression auprès de son député pour qu'il soutienne la proposition de loi Bourguignon.

Réflexion globale

Par-delà la question des jeunes de 18 ans sortant de l'ASE, certains voudraient qu'on élargisse le champ en s'intéressant au système global de la protection de l'enfance. Julien, un éducateur du Maine-et-Loire, s'indigne que l'agrément pour les pouponnière se fasse pour six berceaux alors qu'une assistante maternelle ne peut s'occuper que de trois enfants au maximum. "On veut avoir au moins un éducateur pour cinq enfants. Aujourd'hui, c'est en moyenne un pour douze."

 

Initiatives politique

Après les initiatives des deux chambres sur la protection de l'enfance, le gouvernement se décide à bouger. Le Premier ministre vient de confier à Brigitte Bourguignon, présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée, une mission sur la prise en charge des jeunes majeurs sortant de l'ASE. Elle devra notamment établir un état des lieux des pratiques des départements en matière d'accompagnement de ces jeunes.

Parallèlement, le nouveau secrétaire d'Etat Adrien Taquet a dévoilé à nos confrères de La Croix ce qu'il comptait faire. En juin, il devrait présenter un "pacte pour l'enfance" comportant trois volets importants : l'accompagnement à la parentalité, la lutte contre les violences faites aux enfants et les enfants placés. Sur les MNA, il annonce que l'Etat versera aux départements une aide de 6 000 € par jeune pris en charge après la phase d'évaluation.

 

Action sociale

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Noël Bouttier
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