Les faits religieux, un défi managérial

Les faits religieux, un défi managérial

01.10.2018

Action sociale

Les établissements sociaux et médico-sociaux se confrontent à la montée du fait religieux au contact de leurs publics ou de leurs salariés. Faute de formation et d'information, ces questions les embarrassent souvent. L'Association nationale des cadres du social (Andesi) a organisé une journée de formation pour aider les managers à construire des réponses dans le dialogue.

« Quand les faits religieux s'expriment au sein des établissements sociaux et médico-sociaux, c'est l'embarras qui domine chez les professionnels et équipes de direction. Ces questions sont donc souvent gérées à l'affectif, avec plus ou moins de souplesse selon ses propres convictions religieuses ou laïcardes ».

Invité par l'Association nationale des cadres du social (Andesi) à une journée consacrée à ce sujet délicat, le sociologue à l'université Paris 13 et chercheur à l'Iris, Daniel Verba, expliquait le 21 septembre, combien il importait que les professionnels le prennent au sérieux. « Il y a dans le croire quelque chose de profondément inscrit dans l'humain, ce n'est donc pas à mépriser », a-t-il insisté, rappelant que la croyance relève d'une aspiration personnelle, d'une discipline de soi et aussi d'un désir d'affiliation. « Les travailleurs sociaux devraient toujours l'avoir en tête, notamment lorsqu'ils exercent auprès d'adolescents qui revendiquent soudain une appartenance ou la pratique d'un rituel ».

Crispations identitaires

Mais comment trouver un bon positionnement sur ces thématiques, dans notre société sécularisée et traversée de crispations identitaires, où le regard sur les religions restent globalement péjoratif, les relations aux autres de plus en plus racialisées, et la notion de laïcité pas toujours bien maîtrisée ?

« Distinguer religion et religiosité permet d'être plus à l'aise avec la question, a poursuivi le sociologue, insistant sur le fait qu'on ne rencontre jamais des religions, mais des personnes qui les font exister. Cela permet de voir que toutes les religions sont parcourues de courants très divers, et de ne pas trop alimenter les fantasmes selon lesquels tous les fidèles d'une religion marcheraient du même pas ».

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L'outil juridique

Reste que des questions concrètes se posent dans les institutions, soit qu'elles émanent du public accueilli, soit des professionnels eux-mêmes, lorsqu'ils demandent des aménagements pour raisons religieuses ou qu'ils imposent au sein de l'espace de travail des signes marqués de religiosité – chacun a en tête l'affaire ultra médiatisée de la crèche Baby-Loup.

Une hyper-médiatisation qui révèle sans doute plus les inquiétudes et tensions profondes qui traversent la société française autour des faits religieux, qu'une véritable hausse du nombre de conflits en institution. « Les statistiques existantes montrent qu'il n'y en a pas plus en entreprise. En revanche, c'est la tension sur ces sujets qui augmente », a précisé le président de l'Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco. D'où l'importance de disposer d'outils pour penser ces questions.

Cela passe bien sûr par la loi et la jurisprudence. « Le cadre juridique est assez clair, il est important de relire la loi de 1905, et de se saisir des multiples guides existants, notamment ceux de l'Observatoire de la laïcité », a indiqué Daniel Verba. L'Observatoire peut d'ailleurs être sollicité tant pour obtenir des réponses à des questions spécifiques que pour bénéficier de formations. L'Andesi elle-même s'est lancée depuis plusieurs années dans la thématique et dispose d'une équipe qui dispense des formations dans les établissements. Néanmoins, a averti le maître de conférence en sciences de gestion à l'Université François Rabelais (Tours), Denis Malherbe, si une montée en qualification sur le sujet est nécessaire, le risque est pour les professionnels et dirigeants, de « tomber dans un juridisme désincarné ».

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Trouver des compromis acceptables

Concernant spécifiquement les faits religieux tels qu'ils émergent au sein des organisations, il propose quatre principes d'orientation pour les aborder : tout d'abord, de les accepter comme un défi managérial, de comprendre quelles légitimités sont mises en tension dans ces demandes, de co-construire des normes communes par le dialogue et l'apprentissage au contact de ces situations, et enfin de passer d'une logique de traitement des faits religieux – c'est-à-dire d'une simple gestion circonstancielle – à une posture de management de la diversité religieuse.

Cette quatrième étape n'est possible que dans la durée, à mesure que l'institution accumule l'expérience de situations qu'il a fallu penser et accompagner afin de trouver des « compromis acceptables ». Ceux-ci supposent que l'écoute de la situation individuelle ait pu avoir lieu, mais avec le souci de ne pas entraver la finalité des missions professionnelles de l'organisation, de respecter une équité entre les salariés. L'institution pourra alors « animer une réflexion sur les retours d'expérience des différents acteurs de l'organisation », afin de construire des repères communs puis les institutionnaliser. Sans cette implication et cette expérience, « produire une simple charte ne sert pas à grand chose », a averti Denis Malherbe.

C'est donc un défi humain qui attend les dirigeants et les chefs d'équipes, pour éviter de tomber dans le refus ou l'acceptation systématique, dans des réponses aléatoires ou arbitraires, mais tenter au contraire à chaque fois de trouver une réponse qui fasse sens.

 

Pour aller plus loin : Faits religieux et laïcité dans le secteur socio-éducatif, sous la direction de Faïza Guélamine et Daniel Verba, Dunod, 2018.

Laetitia Darmon
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