Les Gilets jaunes (et roses), reflet de la nouvelle économie de services

Les Gilets jaunes (et roses), reflet de la nouvelle économie de services

12.03.2019

Action sociale

Depuis près de quatre mois, chaque samedi est le théâtre d'un défilé de Gilets jaunes dans la plupart des villes de France. La fondation Jean Jaurès propose une analyse stimulante sur le recrutement de ce mouvement insolite parmi les nouveaux métiers de la société post industrielle : caristes pour les hommes, métiers du care (service à la personne) pour les femmes.

Les observateurs des Gilets jaunes l'ont constaté : ce samedi 9 mars, pour l'acte 17 des Gilets jaunes, des femmes en gilet rose se sont jointes très fréquemment aux défilés, en premier lieu à celui des Champs Elysées. Il s'agit d'assistantes maternelles qui protestent contre la réforme en cours de discussion de l'assurance chômage qui mettrait fin au cumul emploi-chômage en cas d'activité réduite (lire l'article). Pourquoi se sont-elles fondues dans ce mouvement ? De quoi témoigne cette convergence de luttes, sur le papier distinctes ?

 

 

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Mais qui sont les Gilets jaunes ?

Pour la fondation Jean Jaurès, le sondeur Jérôme Fourquet (Ifop) et le journaliste Jean-Laurent Cassely proposent un éclairage intéressant sur la composition sociologique des Gilets jaunes et sur leurs motivations (lire notre premier article en décembre). Selon une enquête de début décembre (au pic du mouvement), un quart des ouvriers et des employés, mais aussi des indépendants (agriculteurs, artisans, petits patrons) se déclaraient Gilets jaunes. "Ces populations ont fait front commun, ce qui est assez inédit", notent les auteurs. Dans le même temps, les cadres supérieurs, les professions intellectuelles et intermédiaires adhèraient à ce mouvement dans des proportions deux fois moindres.

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Salariés invisibles

Les auteurs expliquent qu'un des critères discrimants majeurs est le fait d'exercer un métier pénible. "Parmi les personnes qui accomplissent des tâches ou des gestes répétitifs, qui montent des charges lourdes, qui sont soumises à des horaires décalés ou de nuit, qui travaillent debout ou sont exposées au bruit ou aux intempéries, 29 % se définissent ainsi comme Gilets jaunes contre seulement 12 % parmi celles n'exerçant pas ce type de métier", soulignent-ils. Moins qualifiés, moins payés, moins considérés, ce sont les "salariés invisibles" qui ont massivement endossé le Gilet jaune.

Les caristes en première ligne

Et ces salariés qu'on aurait en d'autres temps assimilé au prolétariat, sont les produits directs de la nouvelle économie de services qui s'est développée sur les ruines de la société industrielle. Le cariste (conducteur de chariot dans les entrepôts de logistique) est l'emblême de cette nouvelle économie. Ce métier de cariste est exposé à un tas de risques professionnels, sans compter la précarité des contrats.  

Les multiples reportages faits sur les occupations de ronds-points ont souvent fait apparaître la présence de ces ouvriers. Il n'est d'ailleurs pas anodin que la porte du ministère de Benjamin Griveaux a été défoncée par un chariot élévateur le 5 janvier dernier. De façon très symptomatique, trois des vingt personnes qui ont fait l'objet d'une comparution immédiate le 10 décembre dernier à Paris étaient des caristes...

De gros contingents pour les services à la personne

Les femmes sont également très présentes dans cette nouvelle économie du service. Elles sont femmes de ménage, caissières en supermarché ou s'occupent de personnes dépendantes. "Les plus gros contingents d'employées, expliquent les auteurs, se retrouvent dans les secteurs des services à la personne qu'il s'agisse des services directs aux particuliers pour les femmes de ménage et les nounous (aide à domicile et assistante maternelle), des services aux entreprises (agent d'entretien) ou du soin apporté aux autres dans les institutions (aide soignante en hôpital ou en ehpad, agent de service dans les collectivités)." Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely auraient pu utilement citer la grève dans les Ehpad de début 2018 qui marquait le réveil de populations habituées jusque-là à subir et ce mouvement peut être perçu comme un signe avant-coureur de la mobilisation des Gilets jaunes.

Des métiers non délocalisables et peu automatisables

Cette mutation de notre économie vers des services faiblement qualifiés et payés avait été décelée voici dix ans par la journaliste Florence Aubenas lors d'une plongée au long cours (1) qui avait débouché sur le livre Le quai de Ouistreham. Dans la Basse-Normandie au passé industriel marqué (Moulinex), elle s'était vu proposer successivement du ménage dans un fast food, dans des bureaux, dans un centre de vacances et finalement dans les toilettes des ferries en partance pour l'Angleterre. Les deux auteurs montrent qu'à la pénibilité physique, les femmes travaillant dans ces secteurs sont soumises à une pénibilité particulière, émotionnelle.

Dans Le Monde diplomatique (janvier 2019), Pierre Rimbert juge que ces femmes sont "indispensables mais aussi non délocalisables et peu automatisables car ils [les emplois, NDLR] exigent un contact humain prolongé et ou une attention particulière portée à chaque cas." Elles auraient donc un certain pouvoir d'influence dans les territoires qu'elles commenceraient à exercer. Avec ou sans Gilet jaune.

 

(1) En décembre 2018, Florence Aubenas a réalisé une enquête fouillée sur les Gilets jaunes pour Le Monde.

Noël Bouttier
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