Les grévistes du JDD demandent à l'exécutif et au législateur de garantir l'indépendance des rédactions

27.06.2023

Représentants du personnel

Lors d'une soirée-meeting au Théâtre Libre à Paris, hier soir, Marylise Léon (CFDT) et Sophie Binet (CGT) ont soutenu "le combat collectif" des journalistes grévistes du Journal du Dimanche (JDD). Les sociétés des journalistes du JDD et de Paris Match, opposées aux choix managériaux et éditoriaux de Vincent Bolloré, en appellent au gouvernement et au législateur pour garantir par la loi l'indépendance des journalistes et des rédactions.

actuEL-CSE / BD

Plusieurs centaines de personnes, dont des personnalités médiatiques et intellectuelles (Erik Orsenna), syndicales (Marylise Léon et Sophie Binet) et politiques (Clémentine Autain, Bernard Cazeneuve), rassemblées un mardi soir dans un théâtre parisien pour défendre une certaine idée de la liberté de la presse et de la démocratie : c'est l'étonnant spectacle offert hier soir boulevard Sébastopol par l'association Reporters sans frontières (RSF) et la rédaction du Journal du Dimanche (JDD), un affichage solidaire qui contraste avec le relatif silence ayant entouré, il y a plus de 6 ans, la prise de contrôle d'une chaîne de télévision, i-télé, par Vincent Bolloré (lire notre article).

Cette ONG, Reporters sans frontières, et cette rédaction du JDD constituée en une SDJ, une société des rédacteurs (*) jugent en effet très dangereuse  la nomination, à la tête de la rédaction du JDD, de l'ex-directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune, qui a notamment soutenu la candidature d'Eric Zemmour lors de la dernière présidentielle. Elles y voient la volonté de Vincent Bolloré, qui contrôle via Vivendi la branche média de Lagardère et donc le Journal du Dimanche, de transformer un journal généraliste au ton plutôt modéré paraissant le dimanche en une publication véhiculant des idées très conservatrices voire d'extrême droite. Et ce en mettant de côté la recherche de la vérité factuelle, comme le craint Christophe Deloire, le secrétaire général de Reporters sans frontières : "La liberté de la presse n'est ni de droite, ni du centre ni de gauche, nous lançons un appel pour l'indépendance éditoriale du journalisme".

Les précédents d'i-télé et d'Europe 1

Cette crainte d'un assujetissement du journalisme aux stricts intérêts et croyances de l'actionnaire est fondée sur des précédents : chez I-Télé, Europe 1 et Paris Match, la prise de contrôle par le milliardaire breton s'est accompagnée d'un changement sans ménagement des responsables des rédactions mais aussi des lignes éditoriales (avec des Une souvent controversées), les sociétés de journalistes se montrant impuissantes à contrer cette prise en main (lire notre article).

Une journaliste de Paris Match, Caroline Fontaine, a ému hier soir les travées du théâtre en racontant, parfois au bord des larmes, les conséquences pour elle de son opposition à Vincent Bolloré et son engagement comme membre de la Société des journalistes de l'hebdomadaire. Après avoir confié l'amour porté à son métier et à son journal, Caroline Fontaine a dit comment elle avait été licenciée il y a deux mois, après avoir reçu son courrier lors d'un arrêt de travail, un licenciement dont elle s'apprête à contester la réalité du motif devant les prud'hommes. "Comme membres d'une société de journalistes, nous ne sommes pas des salariés protégés", a-t-elle souligné en appelant néanmoins ses confrères et consoeurs du JDD à "mener le combat". 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Des idées de changements législatifs

Devant l'impuissance des SDJ mais aussi des actions syndicales, et alors que Vincent Bolloré continue d'affirmer ne jamais prendre de décisions politiques, les journalistes du JDD et du Paris Match, appuyés par Reporters sans frontières, ont réclamé hier soir à l'exécutif et au législateur des mesures garantissant l'indépendance des journalistes et des rédactions.

Comment ? C'est l'économiste spécialisée dans les médias, Julia Cagé, qui a livré sur scène les propositions les plus précises : imposer aux actionnaires des titres qui souhaitent bénéficier du taux réduit de TVA et des aides publiques à la presse de prendre des dispositions octroyant une forme de contrôle par la rédaction des journalistes de leur responsable éditorial. Elle suggère également que l'Arcom (l'Autorité de régulation de l'audiovisuel qui a succédé au CSA) conditionne l'accès aux fréquences au fait pour les éditeurs de chaînes de télévision de donner un droit de regard des rédactions sur leur direction. "Ce sont des outils dont il est facile de se saisir. Agissez !" a lancé Julia Cagé à l'adresse des politiques. 

Bernard Cazeneuve et Clémentine Autain s'engagent

Certains des politiques présents hier soir ont repris la proposition, comme Bernard Cazeneuve, l'ancien Premier ministre qui avait enregistré un message vidéo, ou David Assouline, député PS de Paris, sans oublier l'écologiste Marine Tondelier et Clémentine Autain. La députée de LFI (Nupes), après avoir non sans humour remarqué que le JDD n'était pas tendre avec son mouvement politique, a annoncé que son groupe travaillait à une proposition de loi dans le sens souhaité par l'économiste mais aussi dans le but de réduire la concentration des médias. Sans aller aussi loin, le député Modem Laurent Esquenest-Goxes a plaidé pour des états généraux de la presse afin d'aborder la concentration des médias, tout comme la députée Renaisssance Violette Spillebout.

La CGT et la CFDT ensemble sur scène

Hier soir, les deux secrétaires générales des deux premiers syndicats français, Marylise Léon et Sophie Binet, étaient côte à côte sur scéne pour défendre les grévistes du JDD, chacune avec ses mots. Sophie Binet, qui a déjà refusé d'être interviewée par C-News au motif que cette chaîne ne fait pas un travail d'information objectif, a été très applaudie en distinguant la propagande et la communication ("Nous connaissons, car nous en faisons !") de l'information ("Nous en avons besoin"), la secrétaire générale de la CGT n'hésitant pas à voir dans le changement de direction éditoriale du JDD "une préparation de la prise de pouvoir de l'extrême droite". 

"Il n'y a pas de fatalité", a lancé de son côté Marylise Léon en insistant sur "le combat collectif" que représente le besoin de maintenir actif dans une société démocratique le contre-pouvoir que représente la presse. 

 

(*)  L'objet d'une SDJ est plus étroit que celui d'un syndicat. Il ne concerne a priori pas les intérêts matériels qui sont souvent les points les plus investis par les syndicats (salaires, conditions de travail, etc.) mais la défense des droits moraux de ceux qui produisent l'information. En effet, la SDJ vise à rassembler un maximum de journalistes ou de rédacteurs d'une rédaction dans le but de défendre leur indépendance éditoriale et de veiller au respect de la charte de déontologie des journalistes. 

 

► La Société des journalistes du JDD a lancé avec la CGT une caisse de soutien à la grève.

Bernard Domergue
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