Les prud'hommes pourraient devenir des "tribunaux du travail"

Les prud'hommes pourraient devenir des "tribunaux du travail"

10.07.2022

Représentants du personnel

Le président de la République demande au ministre de la Justice d'engager à partir du 18 juillet une concertation avec l'ensemble des acteurs du monde judiciaire sur la base des propositions du rapport des états généraux de la justice, remis vendredi à Emmanuel Macron. Le chef de l'Etat dit vouloir prendre des mesures dès la rentrée mais aussi engager des chantiers plus longs. Le rapport suggère de transformer les prud'hommes en tribunaux du travail et de modifier la procédure pour favoriser la conciliation et réduire les délais de jugement. Explication et réactions.

Remis au président de la République vendredi 8 juillet, ce rapport de 250 pages se présente comme un état des lieux et un ensemble de propositions faisant suite aux états généraux de la justice tenus d'octobre 2021 à avril 2022. Il décrit une justice "au bord de la rupture" et aborde de multiples aspects, la justice administrative n'étant toutefois pas traitée. 

Un changement de nom 

Nous nous intéressons ici au volet concernant la justice prud'homale (Ndlr : pages 186-189 du rapport général et pages 95-102 du rapport spécialisé, lire en pièce jointe). Le rapport ne préconise pas ce qu'on appelle l'échevinage, c'est-à-dire la fin d'une justice paritaire qui serait remplacée par des juges professionnels. Mais il appelle les partenaires sociaux à tenir compte des "difficultés profondes" de la justice prud'homale et il livre des recettes que certains conseillers prud'hommes pourraient assimiler à une sorte de contrôle ou d'encadrement de leur action par l'institution judiciaire et les juges professionnels. 

Les auteurs du rapport proposent d'abord de transformer les conseils des prud'hommes (CPH) en "tribunaux de travail".

But de ce changement de nom ? "Signifier clairement leur rôle juridictionnel et décisionnel, les valoriser et améliorer la compréhension de leur rôle pour les justiciables". Ce changement s'accompagnerait du rattachement des conseils aux tribunaux judiciaires, "sans modification de leur fonctionnement paritaire", leur tutelle échouant au seul ministère de la justice, le ministère du travail n'étant donc plus compétent. 

"Un nouvel équilibre procédural"

Les délais de traitement, jugés trop longs, pourraient être améliorés avec "un nouvel équilibre procédural" qui valoriserait "la conciliation" (le taux de conciliation se limite à 10%) : "Ainsi, la mise en état (Ndlr :  phase de la procédure écrite au cours de laquelle se déroule l'instruction du contentieux) devrait être suivie avec une aide accrue du greffe et le bureau de conciliation devra être constitué de juges du travail spécialisés sur ces fonctions". 

Les modes alternatifs de règlement des différends sont préconisés 

 

 

Le rapport, qui recommande que le parquet s'intéresse davantage à la justice prud'homale, évoque un travail commun avec les barreaux "pour contractualiser la gestion procédurale des audiences du tribunal du travail". Il s'agit, une fois encore, de favoriser la conciliation : "Au terme de la mise en état, chaque affaire portée devant le tribunal du travail devrait ab initio (Ndlr : depuis le début) être orientée soit vers la conciliation, soit vers une audience paritaire, soit vers une audience de départage" (Ndlr : audience conduite par un juge professionnel).

Les "MARD" (modes alternatifs de règlement des différends) sont également avancés comme une solution. Les auteurs reprennent l'idée de "mettre en œuvre la pratique de la césure du procès avec médiation intégrée permettant au juge de ne trancher que la question de procédure ou de droit principale et de redonner aux parties la maîtrise de leur procès en trouvant un accord sur les conséquences de la décision du juge". 

En outre, chaque président d'un tribunal du travail devrait établir un état des lieux des stocks et des délais de traitement et élaborer un "plan de réduction". Le rapport fixe comme objectif de "retrouver un délai moyen de jugement d'un an à brève échéance". 

Le greffier ferait la mise en état

Le rapport critique le taux important d'appel frappant les décisions prud'homales (59,7%), même si cela paraît propre à toutes les juridictions liées au travail étant donné la conflictualité des affaires en jeu. Il pointe aussi le faible taux de confirmation des jugements en appel (28,3%). Il en déduit qu'il faut davantage former les conseillers (1), et leur donner l'appui d'équipes "d'aide à la décision" qui pourraient accompagner les juges du travail.

"Au vu du taux élevé de départage de certains CPH (conseils de prud'hommes), peut-on lire, l'institutionnalisation de réunions régulières entre les juges du travail et les magistrats professionnels, de première instance et de cour d'appel, au-delà du recours à la procédure de départage, apparaît souhaitable". Le sous-rapport préconise également de "rendre obligatoire une motivation des décisions de départage".

Cette réforme consisterait aussi à renforcer et à valoriser le rôle des greffiers, qui devraient être davantage formés. Ces derniers se verraient en effet directement chargés d'opérer la mise en état des dossiers, "en référant au juge du travail en cas de difficulté", voire la rédaction des jugements. 

Des CPH supprimés

Enfin, le rapport préconise de revoir l'organisation et la carte des prud'hommes en France, sachant que 63 CPH ont déjà été supprimés en 2018 (2). Les auteurs suggèrent ainsi de remplacer "la répartition contraignante par section" (Ndlr : commerce, industrie, activités diverses, etc.) par une organisation par chambre qui, dans les grands tribunaux du travail, pourrait correspondre à une certaine forme de spécialisation par type de contentieux". Il est du reste déjà possible pour les conseils de créer de telles chambres. Le sous-rapport sur la justice au travail, qui insiste sur l'adaptation des moyens humains et financiers en fonction des conseils, recommande plus directement la suppression des sections agriculture et encadrement. 

Le paradoxe de l'évolution actuelle

Notons que les prud'hommes ont connu plusieurs changements ces dernières années. Depuis la loi (Macron) de 2015, la procédure de saisine est désormais écrite et assez exigeante, ce qui a pu dissuader des citoyens de défendre leur droit devant les conseils : la moyenne française de recours au juge du travail (7,4 pour 1000) est très inférieure à la moyenne européenne (10,6 pour 1000), mais cela s'explique aussi par une moindre présence des élus du personnel dans les entreprises.

En outre, l'imposition aux juges d'un barème de dommages et intérêts pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse, depuis 2017, et la rupture conventionnelle, ont contribué à diminuer le nombre d'affaires traitées par les conseils (-55% entre 2009 et 2020 !) sans pour autant régler la question de la lenteur de certains rendus de jugement.

Les partenaires sociaux, dans une position commune, ont d'ailleurs réclamé davantage de moyens pour la justice du travail à l'occasion des états généraux et donné des pistes assez différentes des préconisations de ce rapport (lire notre article). Reste à savoir comment ils réagiront à ces propositions qui suscitent déjà certaines critiques. Ainsi, Dominique Holle, président du CPH de Clermont-Ferrand, se montre-t-il très réticent au sujet des modes alternatifs de règlement : "Oui à la conciliation, mais attention à une forme de médiation qui se produirait à l'extérieur des prud'hommes et qui serait payante". 

 

(1) Les conseillers prud'hommes désignés depuis 2018 doivent obligatoirement suivre une formation initiale : 2 jours en présentiel et 3 jours à distance (lire notre article).

(2) En 2019, 66 CPH traitent moins de 200 affaires par an, avec une moyenne de 128 affaires.

 

Savine Bernard, du SAF (syndicat des avocats de France)  :
"Ces propositions risquent de renforcer
la gentrification des prud'hommes" 

 

Savine Bernard est responsable de la commission du droit social du Syndicat des avocats de France (SAF). Contactée vendredi, elle nous livre une lecture très critique du rapport sur la justice prud'homale autour de 3 points :

« Un. Je ne vois dans ce rapport aucune mesure concrète permettant de renforcer les moyens humains et financiers des conseils. Or nous vivons une évolution paradoxale : le contentieux a beaucoup baissé (nous sommes passés de 163 000 saisines en 2014 à  86 000 saisines en 2020) mais les délais de jugement n'ont cessé d'augmenter (11,3 mois en 2004 et 22 mois en 2018 voire 31 mois en cas de départage) (...)

Deux. On veut supprimer des CPH ayant peu d'affaires, mais sans en créer là où il y a des besoins pour tenir compte des évolutions économiques et sociales. C'est ignorer que la baisse des saisines n'affecte pas de façon égale les salariés et les conseils. Désormais, un quart des saisines est concentré sur 5 CPH ! Pourquoi ? Parce que les conditions de saisine entraînent une gentrification de l'usage des prud'hommes, où l'on trouve de plus en plus de cadres âgés. Supprimer des CPH, c'est encore aggraver cette situation d'inégalité.

Trois. Le rapport va jusqu'à confier au greffier ou à un assistant la préparation et la rédaction du jugement, et évoque des outils algorithmiques, comme si cette rédaction pouvait se faire sur la base de modèles-type ou d'algorithme ! ».

 

 

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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