Plusieurs dispositions de la loi sur le maintien de l'ordre lors des manifestations, adoptée définitivement par le Parlement mardi dernier, suscitent l'inquiétude des organisations syndicales, à commencer par l'interdiction administrative et préventive du droit de manifester. Le Conseil constitutionnel va devoir trancher.
"C'est une loi de circonstance. Notre plus grande crainte, c'est que ces outils juridiques dangereux soient utilisés demain par un gouvernement autoritaire" : ainsi Frédéric Souillot, secrétaire confédéral FO en charge des questions juridiques, résume-t-il la position de son syndicat quant à la proposition de loi relative au maintien de l'ordre dans les manifestations, souvent appelée "loi anti-casseurs" par ses détracteurs.
Ce texte suscite en effet les craintes partagées des organisations syndicales qui ont appelé les sénateurs à ne pas adopter définitivement ce texte qui avait suscité les réserves d'une minorité de députés En Marche. Peine perdue : en séance publique le 12 mars, les sénateurs ont voté le texte dans les mêmes termes que celui déjà adopté par les députés, un scénario qui paraissait pourtant peu probable le mois dernier. Ce vote rend définitive l'adoption de cette proposition de loi venant du groupe Les Républicains. Son application ne peut toutefois pas être immédiate. Ce texte doit encore être promulgué par le Président de la République. Or celui-ci, comme d'ailleurs deux groupes de députés et de sénateurs, a saisi le Conseil constitutionnel : tant que les Sages n'ont pas dit si tout ou partie de ces dispositions sont conformes à la Constitution, le texte ne s'applique pas.
Cette loi ne comporte que dix articles. Focus sur les points critiques, avec les commentaires sur chaque point du syndicat FO.
L'article 6 transforme la contravention (de 1 500€ maximum) qui sanctionne actuellement la dissimulation du visage, au sein ou aux abords d'une manifestation, en un délit punissable d'un an d'emprisonnement et de 15 000€ d'amende. Est visée la personne qui dissimule volontairement "tout ou partie" de son visage "sans motif légitime" alors qu'elle se trouve dans une manifestation, ou à ses abords immédiats, "au cours ou à l'issue de laquelle des troubles à l'ordre public sont commis ou risquent d'être commis".
Selon la commission des lois du Sénat, "il appartiendra donc au parquet d'apporter des éléments de preuve tendant à établir que la personne mise en cause n'avait pas de motif légitime de se couvrir le visage". Ce nouveau délit "permettra l'interpellation d'individus dangereux qui seront ainsi empêchés de commettre des troubles à l'ordre public à l'occasion d'une manifestation", explique le Sénat en se fondant sur les auditions de représentants de la police et de la gendarmerie.
En 2017, l'Etat a recensé seulement 15 contraventions pour dissimulation du visage sur la voie publique.
► Pour FO, cette rédaction laisse une place trop large à l'appréciation : "Le port d'une casquette lors d'une manifestation pourrait-il être sanctionné ? Les manifestations culturelles et sportives sont-elles concernées ? Qu'est-ce qu'être "aux abords" d'une manifestation ?"
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
L'une des dispositions les plus contestées est l'article 3. Cet article donne pouvoir au préfet d'interdire par arrêté à une personne de participer à une manifestation, avec, en cas d'infraction, une peine de 6 mois de prison et 7 500€ d'amende. Cette interdiction peut être élargie "à toute autre manifestation concomitante sur le territoire national ou à une succession de manifestations", pour une durée allant jusqu'à un mois, dès lors "qu'il existe des raisons sérieuses de penser que la personne (..) est susceptible de participer" à ces manifestations. En outre, la personne peut se voir obligée de répondre, au moment de la manifestation, "aux convocations de toute autorité" désignée par le préfet, avec, en cas d'infraction, une peine de 3 mois de prison et 7 500€ d'amende.
Cette privation de liberté, qui peut donc potentiellement viser l'ensemble du territoire national, n'est donc pas ici décidée par un juge, à l'issue d'un débat contradictoire, comme cela est déjà possible, mais par l'autorité administrative, qui dépend du gouvernement. La condition posée est que la personne visée "constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public" du fait de ses agissements précédents "à l'occasion de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l'intégrité physique des personnes ainsi qu'à des dommages importants aux biens ou par la commission d'un acte violent". La personne visée peut donc n'avoir pas déjà été condamnée pour des faits de violence. L'administration semble donc ici la seule juge, via les rapports de police sur les manifestants dangereux et les casseurs, du bien-fondé d'une telle mesure d'interdiction, ce que critiquent les défenseurs des libertés. De son côté, l'Exécutif entend se donner les moyens de prévenir des actes de violence comme ceux commis lors des manifestations ou rassemblements des gilets jaunes en décembre à Paris, les parlementaires rappelant qu'une personne faisant l'objet d'une telle interdiction pourra toujours s'adresser au juge administratif pour la faire annuler.
Si le Sénat a approuvé cet article, sa commission des lois s'est néanmoins interrogée sur la constitutionnalité de plusieurs points. Les sénateurs ont des doutes sur le caractère "suffisamment précis et restrictif" de la notion d'"agissements". Mais aussi sur l'extension du champ d'application temporel et territorial de la mesure d'interdiction de manifester, une extension "dont le caractère proportionné, jusqu'à un mois, de la durée de la mesure, pourrait ne pas être pleinement assuré". Pourquoi le Sénat a-t-il approuvé néanmoins ce texte ? Parce qu'il a reçu, dit sa commission des lois, "des garanties apportées par les services du ministère de l'intérieur notamment quant au nombre réduit de personnes concernées", la mesure ne devant cibler, promet le gouvernement, que les personnes les plus violentes, soit "quelques centaines seulement sur le territoire national". Tout en admettant que "la nécessité de préserver l'ordre public dans l'attente d'une décision judiaire puisse justifier une interdiction de manifester à titre préventif", la commission des lois de l'Assemblée avait elle-aussi jugé que le fait de privilégier une procédure préventive en lieu et place d'une procédure répressive était moins respectueuse des libertés fondamentales.
Nul doute que les Sages du Conseil constitutionnel regarderont attentivement ces points. Son avis sera d'autant plus intéressant que le Conseil d'Etat a pu juger conforme, dans une décision du 9 janvier 2014 concernant l'affaire Dieudonné, une mesure administrative restreignant la liberté d'expression d'une personne au motif de "la forte probabilité que celle-ci commette une infraction lors de la tenue d'un spectacile".
► Pour FO, cet article instaure une "interdiction administrative de manifester à la discrétion du préfet", une interdiction "préventive et individuelle". Le dispositif, soutient FO, n'apporte "aucune garantie" : d'une part, "les critères retenus" restent "évasifs", il n'y a pas de débat contradictoire préalable, et d'autre part la notification de l'interdiction à la personne "par tout moyen" n'est jugée "pas suffisamment formaliste eu égard à la liberté fondamentale attaquée d'aller et venir".
La loi ne pourra être promulguée qu'après que le Conseil constitutionnel ait déclaré sa contitutionnalité : il dispose d'un mois pour statuer, sauf si le gouvernement demande l'examen du texte en urgence, auquel cas ce délai est ramené à 8 jours. Si le Conseil censure certains articles, ceux-ci devront être supprimés du texte publié au Journal officiel. L'examen du Conseil sera donc décisif, notamment parce qu'au cas où les Sages se prononcent sur l'ensemble du texte, il ne sera plus possible ensuite de soulever une QPC, une question prioritaire de constitutionnalité.
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