Loi sur les manifestations : les dispositions controversées

Loi sur les manifestations : les dispositions controversées

15.03.2019

Représentants du personnel

Plusieurs dispositions de la loi sur le maintien de l'ordre lors des manifestations, adoptée définitivement par le Parlement mardi dernier, suscitent l'inquiétude des organisations syndicales, à commencer par l'interdiction administrative et préventive du droit de manifester. Le Conseil constitutionnel va devoir trancher.

"C'est une loi de circonstance. Notre plus grande crainte, c'est que ces outils juridiques dangereux soient utilisés demain par un gouvernement autoritaire" : ainsi Frédéric Souillot, secrétaire confédéral FO en charge des questions juridiques, résume-t-il la position de son syndicat quant à la proposition de loi relative au maintien de l'ordre dans les manifestations, souvent appelée "loi anti-casseurs" par ses détracteurs.

Ce texte suscite en effet les craintes partagées des organisations syndicales qui ont appelé les sénateurs à ne pas adopter définitivement ce texte qui avait suscité les réserves d'une minorité de députés En Marche. Peine perdue : en séance publique le 12 mars, les sénateurs ont voté le texte dans les mêmes termes que celui déjà adopté par les députés, un scénario qui paraissait pourtant peu probable le mois dernier. Ce vote rend définitive l'adoption de cette proposition de loi venant du groupe Les Républicains. Son application ne peut toutefois pas être immédiate. Ce texte doit encore être promulgué par le Président de la République. Or celui-ci, comme d'ailleurs deux groupes de députés et de sénateurs, a saisi le Conseil constitutionnel : tant que les Sages n'ont pas dit si tout ou partie de ces dispositions sont conformes à la Constitution, le texte ne s'applique pas.

Cette loi ne comporte que dix articles. Focus sur les points critiques, avec les commentaires sur chaque point du syndicat FO.

La dissimulation du visage

L'article 6 transforme la contravention (de 1 500€ maximum) qui sanctionne actuellement la dissimulation du visage, au sein ou aux abords d'une manifestation, en un délit punissable d'un an d'emprisonnement et de 15 000€ d'amende. Est visée la personne qui dissimule volontairement "tout ou partie" de son visage "sans motif légitime" alors qu'elle se trouve dans une manifestation, ou à ses abords immédiats, "au cours ou à l'issue de laquelle des troubles à l'ordre public sont commis ou risquent d'être commis".

Selon la commission des lois du Sénat, "il appartiendra donc au parquet d'apporter des éléments de preuve tendant à établir que la personne mise en cause n'avait pas de motif légitime de se couvrir le visage". Ce nouveau délit "permettra l'interpellation d'individus dangereux qui seront ainsi empêchés de commettre des troubles à l'ordre public à l'occasion d'une manifestation", explique le Sénat en se fondant sur les auditions de représentants de la police et de la gendarmerie.

En 2017, l'Etat a recensé seulement 15 contraventions pour dissimulation du visage sur la voie publique.

Pour FO, cette rédaction laisse une place trop large à l'appréciation : "Le port d'une casquette lors d'une manifestation pourrait-il être sanctionné ? Les manifestations culturelles et sportives sont-elles concernées ? Qu'est-ce qu'être "aux abords" d'une manifestation ?"

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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L'interdiction de manifester à titre préventif

L'une des dispositions les plus contestées est l'article 3. Cet article donne pouvoir au préfet d'interdire par arrêté à une personne de participer à une manifestation, avec, en cas d'infraction, une peine de 6 mois de prison et 7 500€ d'amende. Cette interdiction peut être élargie "à toute autre manifestation concomitante sur le territoire national ou à une succession de manifestations", pour une durée allant jusqu'à un mois, dès lors "qu'il existe des raisons sérieuses de penser que la personne (..) est susceptible de participer" à ces manifestations. En outre, la personne peut se voir obligée de répondre, au moment de la manifestation, "aux convocations de toute autorité" désignée par le préfet, avec, en cas d'infraction, une peine de 3 mois de prison et 7 500€ d'amende.

Une particulière gravité pour l'ordre public

 

Cette privation de liberté, qui peut donc potentiellement viser l'ensemble du territoire national, n'est donc pas ici décidée par un juge, à l'issue d'un débat contradictoire, comme cela est déjà possible, mais par l'autorité administrative, qui dépend du gouvernement. La condition posée est que la personne visée "constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public" du fait de ses agissements précédents "à l'occasion de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l'intégrité physique des personnes ainsi qu'à des dommages importants aux biens ou par la commission d'un acte violent". La personne visée peut donc n'avoir pas déjà été condamnée pour des faits de violence. L'administration semble donc ici la seule juge, via les rapports de police sur les manifestants dangereux et les casseurs, du bien-fondé d'une telle mesure d'interdiction, ce que critiquent les défenseurs des libertés. De son côté, l'Exécutif entend se donner les moyens de prévenir des actes de violence comme ceux commis lors des manifestations ou rassemblements des gilets jaunes en décembre à Paris, les parlementaires rappelant qu'une personne faisant l'objet d'une telle interdiction pourra toujours s'adresser au juge administratif pour la faire annuler.

Le ministère de l'Intérieur assure que le nombre de personnes concernées est faible

 

Si le Sénat a approuvé cet article, sa commission des lois s'est néanmoins interrogée sur la constitutionnalité de plusieurs points. Les sénateurs ont des doutes sur le caractère "suffisamment précis et restrictif" de la notion d'"agissements". Mais aussi sur l'extension du champ d'application temporel et territorial de la mesure d'interdiction de manifester, une extension "dont le caractère proportionné, jusqu'à un mois, de la durée de la mesure, pourrait ne pas être pleinement assuré".  Pourquoi le Sénat a-t-il approuvé néanmoins ce texte ? Parce qu'il a reçu, dit sa commission des lois, "des garanties apportées par les services du ministère de l'intérieur notamment quant au nombre réduit de personnes concernées", la mesure ne devant cibler, promet le gouvernement, que les personnes les plus violentes, soit "quelques centaines seulement sur le territoire national". Tout en admettant que "la nécessité de préserver l'ordre public dans l'attente d'une décision judiaire puisse justifier une interdiction de manifester à titre préventif", la commission des lois de l'Assemblée avait elle-aussi jugé que le fait de privilégier une procédure préventive en lieu et place d'une procédure répressive était moins respectueuse des libertés fondamentales.

Nul doute que les Sages du Conseil constitutionnel regarderont attentivement ces points. Son avis sera d'autant plus intéressant que le Conseil d'Etat a pu juger conforme, dans une décision du 9 janvier 2014 concernant l'affaire Dieudonné, une mesure administrative restreignant la liberté d'expression d'une personne au motif de "la forte probabilité que celle-ci commette une infraction lors de la tenue d'un spectacile".

Pour FO, cet article instaure une "interdiction administrative de manifester à la discrétion du préfet", une interdiction "préventive et individuelle".  Le dispositif, soutient FO, n'apporte "aucune garantie" : d'une part, "les critères retenus" restent "évasifs", il n'y a pas de débat contradictoire préalable, et d'autre part la notification de l'interdiction à la personne "par tout moyen" n'est jugée "pas suffisamment formaliste eu égard à la liberté fondamentale attaquée d'aller et venir".

L'interdiction durable de manifester
Les tribunaux peuvent déjà interdire à un individu de participer à des manifestations dans certains lieux, lorsqu'il s'est déjà rendu coupable d'infractions : c'est la peine complémentaire prévue par l'article L. 211-13 du code de la sécurité intérieure. Le non respect de cette interdiction, qui ne peut excéder 3 ans, est  passible d'un an de prison et de 15 000€ d'amende.
L'article 7 modifie le code pénal non pas pour alourdir la peine mais pour élargir son champ d'application à quatre nouvelles infractions : la participation à un groupe violent (art. 222-14-2 du code pénal), la participation délictueuse à une manifestation illicite sur la voie publique (art. 431-9), le nouveau délit de dissimulation du visage pendant une manifestation (voir l'article 6), et les délits d'introduction ou de part d'arme ou de tout objet susceptible de constituer une arme par destination, y compris fusées et artifices, et de jet de projectile présentant un danger pour la sécurité des personnes dans une manifestation sur la voie publique. Cette rédaction rend aussi possible les peines complémentaires d'interdiction des droits civiques et d'interdiction de séjour. Par ailleurs, l'article prévoit que les procédures rapides (convocation, comparution immédiate) puissent être appliquées aux délits liés à un attroupement. 
Enfin, l'article 8 donne la possibilité au juge d'interdire à une personne de manifester dans le cadre d'un contrôle judiciaire.
 
Pour FO, cet article, qui transforme la peine complémentaire d'interdiction de manifester dans des cas spécifiques en peine principale, constitue "une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir et, par conséquent à la liberté de manifester".
 
La responsabilité civile
Selon l'article 9 de la nouvelle loi, "l'Etat peut exercer une action récursoire contre les auteurs du fait dommageable". Il s'agit pour l'Etat d'engager la responsabilité civile des auteurs de dégradations, afin d'obtenir leur condamnation à rembourser les dégâts commis lors d'une manifestation.
"La recevabilité d'une telle action est donc subordonnée à la condition que soit rapportée la preuve d'un fait générateur de responsabilité, d'un préjudice réparable et d'un lien de causalité entre ce fait et le préjudice subi. Le recours devra en outre exercé devant le juge judiciaire, sauf s'il s'agit d'un agent de l'Etat", a précisé la commission des lois de l'Assemblée.
 
Pour FO, cet article vise bien les auteurs des dommages, et "il ne faudrait pas y inclure les organisations syndicales en tant qu'organisatrices de la manifestation dès lors qu'elles n'ont pas appelé à la commission des faits fautifs".
 
Autres mesures
D'autres dispositions de la loi sont à noter. L'article 1er simplifie les modalités de déclaration d'une manifestation sur la voie publique.Cette formalité pourra être accomplie par une seule personne, au lieu de trois, et sans condition d'élection de domicile dans le département de la manifestation (art. L211-2 du code de la sécurité intérieure).
L'article 2 crée un article 78-2-5 du code de procédure pénale qui donne la possibilité au procureur de la République d'autoriser les officiers de police judiciaire à procéder, sur les lieux d'une manifestation et à ses abords immédiats, à l'inspection visuelle des bagages des personnes et à leur fouille ains qu'à la visite des véhicules.
 
Et maintenant ?

La loi ne pourra être promulguée qu'après que le Conseil constitutionnel ait déclaré sa contitutionnalité : il dispose d'un mois pour statuer, sauf si le gouvernement demande l'examen du texte en urgence, auquel cas ce délai est ramené à 8 jours. Si le Conseil censure certains articles, ceux-ci devront être supprimés du texte publié au Journal officiel. L'examen du Conseil sera donc décisif, notamment parce qu'au cas où les Sages se prononcent sur l'ensemble du texte, il ne sera plus possible ensuite de soulever une QPC, une question prioritaire de constitutionnalité.

Bernard Domergue
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