Michel Rocard, un héritage très social

Michel Rocard, un héritage très social

07.07.2016

Action sociale

Ce 7 juillet, un hommage national est rendu à Michel Rocard, décédé le 2 juillet. L'ancien Premier ministre a marqué l'histoire politique des 50 dernières années. Son empreinte dans le paysage social est forte à travers deux grands chantiers : le revenu minimum d'insertion (RMI) et l'économie sociale et solidaire (ESS). Témoignages de compagnons de route.

Ceux qui auront (re)découvert Michel Rocard, depuis son décès à l'âge de 85 ans, auront compris que cet homme politique n'avait pas pour préoccupation principale la conquête du pouvoir. D'ailleurs, il ne l'exerça véritablement que trois ans lorsqu'il fut le Premier ministre de François Mitterrand (1988-1991) avec qui les relations furent toujours orageuses. Non, ce qui constituait vraiment le moteur de son action pendant une soixantaine d'années était sa curiosité intellectuelle. C'est elle qui le conduisit à défricher des tas de questions jugées souvent marginales ou iconoclastes. Prenons deux exemples à plus d'un demi-siècle d'intervalle. A sa sortie de l'ENA, il dénonça, en pleine guerre d'Algérie, dans un rapport très étayé, les camps de regroupement de la population "indigène" organisés par les autorités ; vers ses 80 ans, il se passionna pour l'avenir de la banquise aux deux pôles de notre Terre.

Reconnaître la dignité de toutes les personnes

Sans jamais être un spécialiste des questions sociales, Michel Rocard a toujours accordé un intérêt certain à celles-ci. Cela ne renvoyait pas principalement à une problématique morale (même si l'ancien scout protestant en était pétri), mais à un projet politique. "Michel Rocard défendait une visée autogestionnaire, rappelle François Soulage, compagnon de route depuis 1967. Mais pour que chacun soit en capacité de prendre sa vie en main, il faut que la dignité des personnes, de toutes les personnes, soit reconnue".

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L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

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Déjà au congrès du PS en 1985

"En 1985, lors du congrès de Toulouse du PS, la motion rocardienne avait inscrit dans son programme l'idée de créer un revenu minimum", se souvient Claude Evin. Avant d'être ministre de la santé dans le gouvernement Rocard et le directeur de l'ARS Ile-de-France, Claude Evin fut un député socialiste actif dans la mouvance rocardienne, particulièrement sensible aux enjeux du travail social (jeune, Evin fut éducateur spécialisé). Il se souvient des rencontres de Rocard avec le père Joseph Wresinski, le fondateur d'ATD Quart monde qui l'a sensibilisé particulièrement à la question de la grande pauvreté. Dans un communiqué d'hommage, ATD raconte que Michel Rocard, alors ministre du Plan en 1981, confia à Joseph Wresinski une étude sur ce thème.

Loi santé du 26 janvier 2016

Morceaux choisis d'un texte aux multiples facettes

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"Ce qui était impossible en 15 ans devint possible en 3 semaines"

Selon François Soulage, actuel président du collectif Alerte, la création en 1988 du RMI ne donna pas lieu dans les cercles du pouvoir à des batailles politiques, comme ce fut le cas pour la contribution sociale généralisée (CSG). Sur le terrain, dans l'Ille-et-Vilaine et dans le Territoire de Belfort, des compléments locaux de ressources avaient déjà été expérimentés avec l'appui des conseils généraux dirigés respectivement par le centriste Pierre Méhaignerie et Jean-Pierre Chevènement. Un autre centriste, Lionel Stoléru, explique ainsi quelles étaient ses motivations pour devenir secrétaire d'Etat d'ouverture du gouvernement Rocard (après avoir été ministre dans celui de Raymond Barre) : "Depuis quinze ans, j'essayais de faire la promotion du RMI et m'entendais répondre que c'était évidemment très intéressant, mais malheureusement impossible, car aucune majorité n'accepterait d'encourager les fainéants en leur donnant de l'argent. Eh bien, ce qui était impossible en 15 ans devint possible en trois semaines par une loi qui fut votée à l'unanimité." (Le Monde du 5 juillet). 

"La solidarité n'est pas la bonne conscience"

Dans son discours devant l'Assemblée nationale sur le RMI, le Premier ministre Rocard déclare notamment (voir extrait vidéo) : "Il n'est pas digne de notre passé ni concevable pour notre avenir que tant de gens survivent dans la misère et se voient rejetés aux franges d'une société qui les frappe d'exclusion sans appel. La solidarité n'est pas la bonne conscience de la modernisation ; elle est la condition de sa réussite."

Michel Rocard ne se contenta pas de créer le RMI ; il mit en place tout un volet de réflexions et d'actions pour faire vivre le "I" du RMI. Claude Alphandéry, un des "papes" de l'économie sociale et solidaire (ESS), raconte que Rocard lui demanda en 1989 de lui remettre un rapport sur l'insertion des chômeurs par l'activité économique "qui fut la source d'un important travail législatif et à l'origine d'un conseil national dont il me confia la présidence."

La redécouverte de l'économie sociale

Ce fut moins connu du grand public, mais Michel Rocard joua également un rôle déterminant dans la promotion de l'ESS. Et l'affaire ne date pas d'hier. "En 1974, se souvient François Soulage, Michel Rocard, alors secrétaire national du PS, avait reçu des responsables des coopératives et des mutuelles. Au sortir de cette rencontre, il me confia le soin, alors que j'étais son assistant, de réfléchir à une politique de développement de tout ce secteur. Et en 1977, nous avons inventé ce terme d'économie sociale. En fait, nous avons découvert ensuite que cette expression avait été inventée par l'économiste Charles Gide au début du XXe siècle."

De 1981 à la loi Hamon

Dans les années qui suivirent, le leader de la deuxième gauche ne lâcha pas l'affaire. En 1981, il obtint que le ministère du Plan ait dans ses attributions l'économie sociale (plus tard, on ajoutera l'adjectif "solidaire"). Une délégation interministérielle aux activités d'économie sociale fut créée en décembre 1981 ; une première loi de modernisation du secteur fut votée en 1983 ; le IXe Plan y consacra un chapitre. Arrivé à Matignon en 1988, Michel Rocard poursuivit le chantier en organisant les premiers rendez-vous européens de l'ESS en 1989 (Soulage était alors délégué interministériel à l'ESS). Et quand Benoît Hamon, venu à la politique par le rocardisme, hérita en 2012, dans son portefeuille ministériel, de l'économie sociale et solidaire, l'un de ses premiers rendez-vous fut avec Michel Rocard et François Soulage...

"Une troisième voie originale"

Depuis longtemps, Michel Rocard pensait que l'ESS pouvait être "une troisième voie originale entre le marché capitaliste et l'économie administrée", selon l'expression de Hugues Sibille, président du Labo de l'ESS. Lequel raconte dans un texte publié sur le site du Labo que "l'an dernier, malade, à bout de forces, il débarquait à notre colloque sur la transition énergétique citoyenne. Il s'assit au premier rang, par conviction, par esprit curieux, par amitié pour Claude [Alphandéry] et moi."

Avoir de la suite dans les idées, incarner des valeurs tout en prenant en compte en permanence l'évolution des choses, c'était cela la démarche politique de Rocard. Jusqu'au dernier souffle...      

Noël Bouttier
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