Avocate à Bordeaux, Michèle Bauer défend essentiellement les salariés. "La justice prud'homale a été laissée à l'abandon pendant le confinement", nous dit-elle en livrant une analyse très critique des dernières ordonnances sur les procédures prud'homales. Elle reçoit par ailleurs de nombreuses demandes de conseil de la part de salariés exténués lors de la reprise du travail et qui envisagent de négocier leur départ. Interview.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
Il faut distinguer la période du confinement et celle du déconfinement. Pendant le confinement, la justice prud'homale a été laissée à l'abandon, comme du reste la justice civile, le gouvernement ne pensant qu'à la justice pénale. A Bordeaux, il n'a subsisté que les référés, en présentiel mais sans les clients.

Mais c'était très strict : il fallait faire une requête pour solliciter une date d'audience en justifiant une urgence très importante, avec des pièces à l'appui. Et il fallait ensuite assigner l'employeur en référé, ce qui représente des frais assez importants, comme les frais d'huissier, des frais que certaines personnes ne peuvent pas supporter et qui n'étaient pas non plus pris en charge par l'aide juridictionnelle, qui était paralysée avec le confinement (1).
Non, la justice prud'homale était à l'arrêt, et il n'y avait pas d'organisation d'audience par visioconférence. Nous n'avions aucune information sur les renvois d'audience qui étaient prévus. C'est juste maintenant, une fois le déconfinement engagé, que nous commençons à recevoir des mails des greffes, qui reprennent peu à peu le travail car les greffiers et greffières sont aussi confrontés au problème de garde d'enfants. On reçoit, au compte-gouttes, quelques dates sur des renvois d'audience, de mise en état et de plaidoirie, mais je suis très loin de connaître toutes les dates de renvois des dossiers que je défends : sur une dizaine d'affaires, je n'ai eu que deux renvois à des audiences en septembre et octobre.
Pendant le confinement, de nombreux salariés sont venus me voir pour des ruptures de contrat de travail souvent enclenchées avant le confinement, car ils n'avaient aucun document à faire valoir.

J'ai eu aussi toutes les problématiques de sécurité au travail, notamment dans le commerce, avec des salariés se plaignant de l'absence de protection de la part de leur employeur. J'ai reçu également des demandes liées au fait que des employeurs imposaient à des salariés de se mettre en garde d'enfant plutôt qu'en chômage partiel tout en leur demandant de continuer à travailler...
Si, à partir du déconfinement, j'ai été confrontée à des licenciements. Je pense par exemple à un salarié travaillant dans la grande distribution qui a vu ses heures de travail très fortement augmenter, avec un planning considérablement modifié, durant le confinement. Il avait fait part à son employeur de son désir de ne pas être au contact du public, car il vit avec ses parents âgés. L'employeur a refusé sa demande et l'a licencié pour faute grave et insubordination. Le salarié conteste son licenciement.
Il est trop tôt pour le dire, j'ai pour ma part l'impression que les employeurs sont surtout préoccupés de rattraper leur chiffre d'affaires. Ce que j'observe, en revanche, c'est le souhait de nombreux salariés que j'ai reçus la semaine dernière de partir avec une rupture conventionnelle. Ils éprouvent une sorte de ras-le-bol. Ceux qui ont continué à travailler pendant le confinement mais aussi ceux qui viennent de reprendre le travail se retrouvent à bout.

Leur employeur, qui a subi une baisse de chiffre d'affaires et qui veut donc redresser les choses, leur demande de mettre les bouchées doubles : "Il faut signer des contrats, faire des heures supplémentaires. Vous vous êtes bien reposés pendant deux mois, maintenant il faut tout rattraper". J'ai reçu récemment la salariée d'un poste administratif dans le bâtiment, dans la vente de contrats de construction de maisons individuelles. Après avoir été au chômage partiel durant le confinement, la salariée a été confrontée à une très forte pression à son retour au travail, sur le mode : "Ou vous bossez plus, ou vous démissionnez". Elle s'est mise en arrêt de travail car elle n'en pouvait plus, la reprise de travail a été trop lourde et trop dure. J'ai eu de très nombreux entretiens téléphoniques avec des salariés épuisés par les cadences de travail devenues infernales qui me demandaient : ça devient insupportable pour moi, comment quitter mon emploi sans rien perdre ?
Je leur demande s'ils sont bien sûrs de vouloir quitter l'entreprise, car cela risque d'être compliqué de trouver un autre emploi dans la situation économique actuelle. S'ils sont décidés, s'ils ne peuvent plus supporter leur situation professionnelle, au point parfois d'être déjà en arrêt de travail, je leur dis qu'il est compréhensible de vouloir d'abord "sauver sa peau", d'autant qu'ils sont souvent en arrêt de travail et qu'ils ont parfois mal vécu la phase qui précédait, le confinement pendant deux mois. Je leur déconseille de démissionner, car cette situation n'est pas de leur fait. Je les incite à négocier une rupture conventionnelle, voire un licenciement pour inaptitude.
S'il n'y a pas de bureau de jugement dans les trois mois, et si l'affaire n'a pas été audiencée ou réglée par le conseil des prud'hommes, l'ordonnance du 20 mai prévoit que l'affaire passe directement en bureau de jugement, sauf, heureusement, si le demandeur s'y oppose.

Autrement dit, sous prétexte de raccourcir les délais, on veut nous supprimer l'étape de la conciliation. Or la conciliation permet d'essayer de trouver un accord entre un salarié et son employeur. Je préconise donc de refuser une procédure sans audience de conciliation. Car le fait de sauter l'audience de consultation fait aussi sauter l'étape de la mise en état.
Si vous avez déposé une requête en tant que salarié et que vous passez en conciliation sans trouver un accord avec l'employeur, les conseillers prud'homaux vont fixer une date d'audience administrative de mise en état, pour permettre à l'employeur de répliquer à votre requête. A cette date, le conseil de prud'hommes va examiner la réponse de l'employeur et demander au salarié s'il souhaite à son tour répliquer, et dans ce cas il y aura une nouvelle date de mise en état. Il peut ainsi y avoir 3 ou 4 dates de mises en état jusqu'à ce que le dossier soit véritablement prêt à être plaidé, chaque partie ayant eu le temps de fournir ses pièces.
Pas du tout. Car sans audience de conciliation, il n'y aura pas toutes les étapes de mise en état qui servent à instruire le dossier. Or si le dossier n'est pas prêt à être jugé, il y aura forcément des renvois successifs. On veut accélérer les choses mais en réalité, on va les ralentir.
A mes yeux, c'est scandaleux. Il se passe beaucoup de choses à l'audience. La plaidoirie a beaucoup d'importance devant le conseil prud'hommes car les conseillers ne sont pas des juges professionnels.

Ils peuvent poser des questions pour éclaircir des points, les avocats peuvent expliciter certaines choses, l'audience est essentielle pour les salariés comme pour les employeurs. De plus, on ne plaide pas pendant des heures ! On n'est plus au temps des effets de manche du XIXe siècle ! On plaide de manière efficace, car on nous demande déjà souvent de nous en tenir à un quart d'heure maximum. C'est aussi un moment important pour notre client qui voit que son affaire est prise en compte par la justice, l'audience a un effet catharsis. Le demandeur a besoin d'entendre son affaire plaider, de voir les juges, de voir qu'il peut intervenir...
Les conseillers prud'hommes ne sont pas des juges professionnels, donc ils sont peu considérés. Mais c'est méconnaître l'essence de la justice prud'homale. C'est une justice un peu "politique", au sens "salarié contre employeur", mais c'est surtout une justice du travail car les conseillers connaissent le monde du travail. J'ai le souvenir d'une affaire de licenciement pour inaptitude d'un salarié qui était grutier. Les juges connaissaient le BTP, ils avaient réalisé une véritable enquête interne pour éclairer le poste, les conditions de travail, etc. Tout cela, un juge fraîchement sorti de l'Ecole nationale de la magistrature ne le ferait pas.
Cette menace, nous l'éprouvons pour toutes les procédures actuelles où nous pouvons déposer des dossiers. Ces possibilités liées aux ordonnances devront rester limitées à la période de crise sanitaire, et le syndicat des avocats de France (SAF) y veille. Il est très important de préserver l'oralité des débats.
Il y a déjà beaucoup d'abus sur les CDD avec des contrats passés sans réel surcroît d'activité. Là, le gouvernement profite de la crise sanitaire pour assouplir à nouveau le droit du travail au risque de favoriser une nouvelle précarisation des emplois.

Cela me semble très contestable. On encense les "petits" salariés qui ont beaucoup travaillé dans les supermarchés et, finalement, on leur met un couteau dans le dos avec ce type de dispositions...
Pendant le confinement, j'ai travaillé durant les siestes et la nuit, car j'ai une enfant de deux ans et demi. J'étais en période d'activité très réduite, j'ai subi une baisse de chiffre d'affaires importante et j'ai pu demander l'aide du fonds d'Etat.

Aujourd'hui, l'activité reprend tout doucement, mais elle reprend, et je suis plutôt optimiste, même si on ne rattrapera jamais deux mois de chiffre d'affaires. Cette période va laisser des traces mais, contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce sera surtout dans les grosses structures, celles qui ont des charges importantes. Je pense qu'il va falloir repenser le modèle économique des cabinets d'avocats.
(1) Ndlr : depuis la date de l'interview, un décret paru au Journal officiel du 31 mai 2020 prévoit, eu égard aux conséquences de l'état d'urgence sanitaire sur le fonctionnement quotidien de la justice, la possibilité de verser une avance exceptionnelle aux avocats justifiant d'une activité minimale à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat en 2018 et 2019. Ces avances exceptionnelles, dont le montant est calculé sur la base des sommes perçues par les avocats en matière d'aide juridictionnelle et d'aide à l'intervention de l'avocat au cours des deux précédents exercices, seront remboursées sur les rétributions perçues par les avocats bénéficiaires à compter du versement de l'avance et jusqu'au 31 décembre 2022. Le décret prévoit par ailleurs que le délai de conclusion pour 2020 des conventions locales relatives à l'aide juridique, fixé initialement au 30 avril 2020, soit décalé au 31 juillet 2020.
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