C'est peu de dire que l'annonce en août par Muriel Pénicaud d'un gel des contrats aidés a suscité colère et inquiétude chez les élus et les responsables associatifs. Tous redoutent un arrêt de services utiles à la population et la fin du rôle de tremplin vers l'emploi de personnes exclues du marché du travail. Tour de piste des réactions (plus ou moins) indignées..
"Les contrats aidés permettent de remettre en activité des publics considérés comme improductifs. La décision du gouvernement de réduire leur nombre risque de renvoyer ces personnes dans les eaux du RSA ou de l'AAH qu'elles avaient quittées grâce à ces emplois. Quand je pense que Gérald Darmanin et Bruno Le Maire [NDLR : respectivement ministres des comptes publics et de l'économie] dénonçaient les dégâts de l'assistanat..." Directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité (ex-Fnars), Florent Gueguen fustige la décision de gel des contrats aidés prise au coeur de l'été par la ministre du travail (lire la
réaction associative commune). .
Le réquisitoire de la ministre du travail
Le 9 août, Muriel Pénicaud avait cloué au pilori, devant les députés, ces contrats aidés en les accusant de trois maux. En résumé, ils seraient "extrêmement coûteux", "pas efficaces dans la lutte contre le chômage" et ne constitueraient pas "un tremplin pour l'insertion professionnelle." Dans ce contexte, le gouvernement annonce une limitation à 110 000 le nombre de contrats aidés pour le second semestre 2017, ce qui représente une baisse de 40 % par rapport au premier semestre. Ordre a été donné aux préfets et aux Direccte de geler les signatures de nouveaux contrats, excepté dans l'éducation nationale pour la
scolarisation des enfants handicapés.
"Jeter le bébé avec l'eau du bain"
"C'est du deux poids, deux mesures", dénonce Prosper Teboul, directeur général de l'APF, qui se demande pourquoi le secteur associatif est le principal destinataire des restrictions en matière de contrats aidés. Le réseau des paralysés de France emploie environ 450 personnes (dont 12 % sont des handicapés) avec ce type de contrat aussi bien dans des ESSMS que dans les entreprises adaptées. "Sans doute que le système des contrats aidés n'est pas parfait, qu'il faut renforcer la formation et qu'il existe des effets d'aubaine. Mais pourquoi jeter le bébé avec l'eau du bain ?", plaide Prosper Teboul.
Les entreprises solidaires fragilisées
Interrogé par Alternatives économiques, Jean Burneleau, président de Coorace (regroupant 550 structures de l'insertion par l'activité économique), estime que "des associations risquent de ne pas survivre" à cette décision. Il prend comme exemple une structure qui assure la livraison à domicile de repas. "Avec la suppression de son contrat aidé, elle se retrouve obligée de multiplier par deux son tarif horaire et le client ne pourra pas suivre." Dans une lettre envoyée au Président de la République, le Coorace note le paradoxe de fragiliser des entreprises solidaires à un moment où la cohésion sociale est soumise à rude épreuve.
Quel avenir pour les emplois d'avenir ?
Dans un courrier adressé, cette fois, au Premier ministre, l'Union nationale des missions locales (UNML) se fait l'avocate des emplois d'avenir. L'UNML estime que ceux-ci ont "permis à 250 000 jeunes notamment les moins formés d'accéder à un emploi assorti d'une formation et d'un accompagnement dans l'emploi." Son président, Jean-Patrick Gille, ajoute que la moitié des jeunes ont connu une "sortie positive à la fin de ce programme", ce qui dément les affirmations de la ministre. Les missions locales espèrent que cette dynamique ne sera pas sacrifiée sur l'autel des coupes budgétaires. Rien n'est moins sûr car les instructions du gouvernement semblent englober l'ensemble des contrats aidés, y compris les emplois d'avenir.
Les Ehpa vont-il perdre des plumes ?
De son côté, la Fédération hospitalière de France (FHF), lors de sa conférence de presse de rentrée, a parlé de "double peine" pour les Ehpad du fait de la mise en oeuvre de la réforme tarifaire (qui se traduirait par le retrait de 200 M€ pour le forfait dépendance) et du gel des contrats aidés. Selon David Gruson, son délégué général, une moitié des 25 000 contrats aidés dans la fonction publique hospitalière se trouve dans les établissements médico-sociaux. Le secteur de l'âge, déjà sous-doté en personnel, va-t-il encore perdre des plumes ?
L'AD-PA n'est pas opposée à l'idée d'avoir une vision globale, sur ces questions, comme l'a proposé la ministre. A condition toutefois de donner la priorité à l'emploi dans le champ de l'aide aux personnes âgées. L'association des directeurs rappelle que si le recours aux emplois aidés est si fréquent dans les Ehpa, c'est parce que "l'Etat [les] a traditionnellement utilisé[s] pour compenser le sous-financement dans certains secteurs". Selon Pascal Champvert, les arbitrages sont en cours à Matignon sur les secteurs concernés par cette décision. Lui comme d'autres plaident pour sanctuariser le champ des personnes âgées et de l'aide à domicile.
Effet d'aubaine ou pas
Pour le directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité, c'est une décision "purement comptable et techno". "Personne ne s'est interrogé sur les conséquences humaines et territoriales de ces coupes budgétaires. Certains territoires très défavorisés en milieu rural ou urbain vont être encore davantage fragilisés par ces mesures. Il existe un tas d'activités qui sont utiles socialement, mais pas rentables", ajoute Florent Gueguen. Lequel s'insurge contre l'argument sur l'effet d'aubaine que représenteraient, à en croire le gouvernement, les contrats aidés. "Combien coûtent à l'Etat les emplois aidés ? 2,4 milliards d'euros par an. Combien pèsent les exonérations de charges pour les salariés payés au Smic ? 36 Md€. Dans ce domaine, les effets d'aubaine sont massifs", conclut Florent Gueguen.
Les élus locaux en pleine incertitude
La colère ne concerne pas seulement le secteur associatif..Nombre d'élus, notamment dans le monde rural, sont vent debout contre cette mesure. Pour faire fonctionner tel ou tel service (une cantine, une bibliothèque, etc.), ils ont souvent recours à ces emplois aidés. Ils sont donc dans l'incertitude à quelques jours de la rentrée scolaire que d'aucuns menacent de boycotter. "On régresse socialement alors que la cohésion sociale est un pilier de la ruralité", s'exclame ainsi un maire interrogé par Libération. Des présidents de départements (Gironde, Loire-Atlantique, etc.) ont également pris position contre ce retrait de l'Etat. Les syndicats ne sont pas en reste pour dénoncer cette décision (FO, Sud affaires sociales, Syncass CFDT, etc.)
Confronté à la première contestation de la société civile qui dépasse les clivages habituels, le pouvoir lâchera-t-il du lest ou gardera-t-il le cap sur cette mesure ? Cette société civile, ne l'oublions pas, sur laquelle Emmanuel Macron s'est appuyé pour construire sa victoire présidentielle...