Muriel Pénicaud, nouvelle ministre du Travail : "Consensuelle sur la forme, dure sur le fond"

Muriel Pénicaud, nouvelle ministre du Travail : "Consensuelle sur la forme, dure sur le fond"

22.05.2017

Représentants du personnel

Que pensent de Muriel Pénicaud les syndicalistes l'ayant connue comme DRH ou DG ? Pour les uns, elle sait "écouter et agir", "elle utilise au mieux les marges de manoeuvre laissées par sa feuille de route" . Pour d'autres, elle conduit sans états d'âme un plan social et pratique "l'autopromotion".

Alors que Myriam El Khomri, pour attester qu'elle connaissait la vie des entreprises, ne pouvait guère évoquer que des emplois passagers en début de carrière dans le privé, Muriel Pénicaud, qui la remplace au ministère du Travail, peut dérouler un CV étoffé qui dénote sa connaissance de l'entreprise privée, du secteur public mais aussi des enjeux du dialogue social (*).

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Muriel Pénicaud a ainsi été DRH du groupe Danone de 2008 à 2013. A l'époque, Laurent Rescanières était déjà coordonnateur FO du groupe Danone. "Nous avons négocié avec elle l'accord de 2010 sur le stress et les risques sociaux et, si elle a une personnalité exigeante, je dois dire qu'elle sait écouter et qu'elle se donne les moyens d'agir. Nous sommes partis d'une page blanche et chacun a pu apporter ses propositions. C'était tout à fait nouveau", soutient le syndicaliste.

Elle sait écouter et se donne les moyens d'agir

Signé par l'ensemble des syndicats (CFE-CGC, CFDT, CGT et FO), l'accord, souligne Laurent Rescanières, a eu des conséquences positives sur le terrain pour les salariés, grâce à des investissements améliorant les conditions de travail. Le coordonnateur FO, qui se félicite de voir accéder au ministère du Travail une professionnelle passée par le secteur agroalimentaire, espère "qu'elle aura le même fonctionnement que chez Danone" et, surtout, qu'elle bénéficiera "de la même carte blanche".

Le jugement de la CGT est à l'opposé. Dans un communiqué, la fédération CGT de l'agroalimentaire soutient que c'est lorsque Muriel Pénicaud était DRH de Danone que le Lean management a connu son apogée dans l'entreprise. Avec pour effets, selon le syndicat, une dégradation des conditions de travail du fait "d'un flicage permanent", du non remplacement des départs, d'une "réorganisation permanente", de "l'augmentation des cadences", le stress causant de "nombreux troubles musculo-squelettiques et psychosociaux".

Elle a estampillé un plan de 900 suppressions d'emplois

La fédération rappelle que Muriel Pénicaud a "estampillé en 2013 un plan de 900 suppressions d'emplois en Europe, dont plus de 200 en France". Et la CGT de poursuivre : "Elle a imposé des sacrifices aux salariés dans le même moment où le groupe versait 1,350 milliard d'euros aux actionnaires, où Franck Riboud s'octroyait 7,7 millions d'euros de rémunération". 

Du côté de la CGT de Dassault Systèmes, dont elle fut la DRH de 2002 à 2008, Muriel Pénicaud n'a pas non plus laissé un grand souvenir. "Nous n'avons pas vu de différence par rapport aux autres dirigeants. L'entreprise est très marquée par les décisions du PDG Bernard Charlès, qui est clairement sur un modèle néo-libéral. Derrière, tout le monde suit", dit un délégué syndical. "C'est sûr, elle a respecté une feuille de route, mais elle a su utiliser les marges de manoeuvre qu'elle avait", tempère Jean-François Foucard, délégué syndical CFE-CGC de Dassault Systemes.

Elle prend le temps qu'il faut pour obtenir un accord. Elle aime les symboles

Ce dernier décrit Muriel Pénicaud comme "une personne qui prend le temps qu'il faut" pour obtenir un accord, comme quelqu'un d'assez "consensuel sur la forme mais d'assez dur sur le fond", et qui aime aussi les symboles : elle a mis un point d'honneur à obtenir le premier accord groupe de Dassault systemes sur la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, en 2008. "Nous avons aussi négocié le transfert du site de Suresnes à Vélizy en 2006-2007 et nous avons obtenu des mesures, cela s'est bien passé", se souvient Jean-François Foucard. Ce dernier s'interroge en revanche sur les marges de manoeuvre dont va disposer la ministre du Travail alors que "tout paraît déjà calé" : "Muriel Pénicaud aime bien emmener tous les partenaires sociaux dans un même projet. Il va être intéressant de voir comment elle va pouvoir mettre en oeuvre les réformes annoncées. Peut-être devra-t-elle dire au Premier ministre, à propos des ordonnances, qu'il n'est pas nécessaire de gratter l'allumette..."

Muriel Pénicaud a également oeuvré dans le secteur public. C'est elle qui a mis sur pied, en 2015, la nouvelle structure publique Business France, chargée d'accompagner le développement des entreprises à l'international mais aussi d'attirer les investisseurs étrangers en France (**). Voulu par Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, cet Epic (établissement public industriel et commercial) a résulté de la fusion, par ordonnance, de deux organismes, l'Afii (agence française pour les investissements internationaux), qui employait environ 150 personnes, et Ubi France, qui comptait 1 400 personnes. Cette fusion s'est réalisée rapidement.

 Elle était plus préoccupée par son autopromotion et ses déplacements que par la gestion de l'agence

Mais elle a entraîné, comme le racontait en 2016 La lettre A, plusieurs départs de cadres dirigeants, le comité d'entreprise et l'intersyndicale saisissant aussi leur tutelle pour dénoncer des augmentations salariales jugées exagérées au profit de membres du comité exécutif. Dans un article du 18 mai, l'Obs évoque même "le bilan social catastrophique" laissé à Business France par la nouvelle ministre, plusieurs arrêts maladie de cadres dirigeants l'ayant fait surnommer "Madame burn out" en interne. Alain Cimaz, délégué syndical FO, partage ce constat : "Certes, la fusion ne n'est pas mal passée dans la mesure où il n'y a pas eu de plan social. Mais le dialogue social n'était pas bon. Muriel Pénicaud a été très absente lors des réunions mensuelles du comité d'entreprise. Elle semblait plus préoccupée par son autopromotion et ses déplacements à l'étranger que par la gestion de l'agence". Il faut dire que Muriel Pénicaud n'était pas à Business France dans la situation de DRH, comme chez Danone, mais de dirigeante, donc moins impliquée dans les relations avec le CE. D'autre part, à l'occasion du droit d'alerte lancée par les élus afin de travailler en amont de la fusion de l'Afii et Ubi France, le cabinet d'expertise Sextant ayant mené la mission confie n'avoir pas rencontré de souci de relations ou d'accès à l'information pour réaliser son travail. Muriel Pénicaud était d'ailleurs présente lors de la restitution du rapport d'expertise.

Notons par ailleurs que la nouvelle ministre connaît l'administration du travail. Muriel Pénicaud a été conseillère formation de Martine Aubry, ministre du Travail de 1991 à 1993. Elle a aussi présidé, de 2006 à 2013, l'Intefp (institut national du travail et de la formation professionnelle), l'organisme qui forme les inspecteurs du travail et agents du ministère. Avec Henri Lachmann (PDG de Schneider Electric) et Christian Larose (syndicaliste CGT), elle a également rédigé, à la demande du Premier ministre, un rapport sur le bien-être et l'efficacté au travail. Un rapport de février 2010 dont la relecture est instructive.

 Regrouper à moyens constants les compétences du CE et du CHSCT : l'idée était déjà dans un rapport de 2010

Les auteurs y soulignent notamment la nécessité de "ne pas réduire le collectif du travail à une addition d'individus" : "Les collectifs de travail tendent à céder la place à un management extrêmement individualisé, voire virtuel et à distance (..) La disparition des espaces et temps de dialogue dans le travail, qui ont une utilité sociale et économique, accroît l'isolement physique et pychologique des salariés et peut casser le lien social (..) Les entreprises peuvent développer le collectif (..) par la valorisation collective de la performance, en introduisant dans la rémunération variable des managers des critères collectifs et pas seulement individuels". La nouvelle ministre du Travail pourra-t-elle faire valoir cette préoccupation auprès d'un Exécutif d'abord soucieux de relancer l'activité et la création d'emploi ? La réponse viendra vite.

En revanche, la suggestion du rapport de faire élire directement les membres CHSCT par les salariés ne semble plus guère d'actualité, contrairement à l'idée suggérée dans le rapport "de regrouper à moyens constants les compétences du comité d'entreprise et du CHSCT dans une instance unique, sous réserve de l'accord des partenaires sociaux". Durant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a proposé de généraliser, dans toutes les entreprises, sauf accord contraire, une instance unique de représentation du personnel.

Elle connaît les conflits sociaux, la négociation, elle écoutera les syndicats

C'est, aux yeux de Christian Larose (CGT, ancien responsable de la fédération textile), une erreur : "Le CHSCT est une instance capitale dans l'entreprise et n'est pas sur le même terrain que le CHSCT. Je l'avais expliqué lors de la remise de notre rapport à François Fillon en 2010 et il m'avait finalement donné raison". Pour autant, Christian Larose ne tarit pas d'éloges sur la nouvelle ministre : "J'ai travaillé un an avec elle pour notre rapport. C'est quelqu'un de bien, qui connaît ses dossiers, qui connaît le monde du travail, les conflits sociaux, la négociation. Elle me semble plutôt de gauche". Et le syndicaliste CGT d'ajouter cependant : "Je ne sais pas quelle marge de manoeuvre elle va avoir comme ministre, car elle devra appliquer la politique décidée par MM. Macron et Philippe, mais elle écoutera les syndicats".

 

(*) Muriel Penicaud, 62 ans, est titulaire d'une licence en histoire, d'une maîtrise de sciences de l'éducation et d'un DEA en psychologie clinique. Outre ses postes chez Business France et Danone, elle a fait partie, de 2002 à 2008, du comité exécutif de Dassault Systèmes, où elle était chargée des ressources humaines et du développement durable, et a présidé le comité de gouvernance et de responsabilité sociale du groupe Orange de 2011 à 2014.

(**) Dans un article du 18 mai, l'Obs rappelle que c'est France Business qui a commandé dans l'urgence à Havas, et sans appel d'offres, la réalisation de la coûteuse opération "French Tech Night" de la Vegas du 6 janvier 2016 "où Emmanuel Macron était arrivé en guest-star". Le parquet a ouvert une enquête préliminaire sur ce sujet pour favoritisme.

Bernard Domergue
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