Mutations du travail : quelle adaptation de l’expertise aux besoins des CSE ?

Mutations du travail : quelle adaptation de l’expertise aux besoins des CSE ?

22.11.2023

Représentants du personnel

Intelligence artificielle, transition écologique, émergences du devoir de vigilance et de la responsabilité sociétale des entreprises : de nombreux bouleversements viennent percuter à la fois les experts et les élus de CSE. Pour en étudier les contours, l’association des anciens de Syndex a organisé le 14 novembre une journée d’échange consacrée aux adaptations de l’expertise aux nouveaux besoins des représentants du personnel.

Ils étaient une cinquantaine et les cheveux gris dominaient l’assemblée. Mais les anciens experts-comptables de Syndex ont vu passer plus d’une réforme des instances de représentation du personnel. Cela donne du recul et des capacités d’analyse. Réunis à l’ISST (*) de la Sorbonne, à Bourg-la-Reine, en partenariat avec l’Ires (**), les experts-comptables désormais retraités ont débattu de l’adaptation de l’expertise aux mutations récentes du travail, non sans recueillir le point de vue de plusieurs invités qualifiés.

En introduction, le professeur de gestion Rémi Bourguignon a d’emblée montré comment le cadre des relations entre experts et élus de CSE se trouve bousculé : "Face aux grandes évolutions digitales et environnementales, il n’est pas certain que le CSE constitue le périmètre le plus pertinent car les mutations bouleversent l’ensemble des activités économiques et les modèles préétablis. De plus, les instances de dialogue se multiplient, des établissements distincts aux sous-traitants, en passant par les filières". Frédéric Lerais, directeur de l’Ires, a donc posé une question simple mais efficace aux intervenants : quels sont les nouveaux besoins des représentants du personnel en matière d’expertise sur les mutations en cours, et comment les experts peuvent-ils s’y adapter ?

"L’environnement doit irriguer les trois consultations du CSE"

Fabien Guimbretière, secrétaire national de la CFDT en charge du dialogue social, refuse la vision d’un travail des élus en silo, séparant les sujets : "A la CFDT, on considère qu’il ne faut pas dissocier les enjeux environnementaux, sociaux et économiques. On préconise que ces thèmes irriguent les trois consultations récurrentes des CSE". De plus, la transformation environnementale et l’intelligence artificielle font naître de nouveaux risques pas forcément identifiés". La CFDT réclame par ailleurs un allongement du délai de consultation d’un mois. Le secrétaire national pointe également le besoin d’appui des élus dans les grands groupes, où ils sont confrontés à des montages juridiques complexes et des optimisations fiscales agressives. Attention cependant à un risque dans les relations entre élus et experts : "Les élus ne doivent pas non plus donner un trop grand rôle aux experts. Ces derniers les conseillent mais la décision doit revenir aux élus et aux équipes syndicales".

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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"Il faut instaurer un dialogue d’expert à expert"

Nicolas Blanc, secrétaire national CFE-CGC chargé de la transition économique, défend une montée en compétence des élus du personnel : "Avec des sujets aussi complexes, il faut que tout le monde monte en compétences en même temps : les experts, les directions et les élus de CSE. Il faut instaurer un dialogue d’expert à expert. Ainsi, les élus ne se sentiront pas dépossédés en matière d’expertise et auront un retour sur investissement intéressant". L’aide à la négociation lui semble aussi fondamentale, à condition d’éviter que le même expert accompagne élus et directions. "Il faut bien définir les périmètres. Autre point d’attention, souligne-t-il, on négocie beaucoup de ruptures conventionnelles collectives, et on a tendance à se focaliser sur le package, pas sur l’organisation du travail".

"Cela nécessite d’élaborer des outils à 360 degrés"

Emmanuel Palliet est expert économique et social, responsable du département développement durable et responsabilité sociétale des entreprises du cabinet Syndex. Dans son approche, l’expert doit pouvoir se pencher sur tous les sujets : "Notre doctrine, c’est qu’un intervenant doit savoir tout faire sur des thèmes de plus en plus nombreux. L’expert-comptable n’est pas un spécialiste de la biodiversité, il nous faut donc cartographier les compétences en interne". De plus, l’approche environnementale diffère selon l’entreprise, faisant varier la pertinence des indicateurs d’une structure à une autre. De ce fait, "cela nécessite d’élaborer des outils à 360 degrés afin de savoir de quoi on parle dans cette entreprise spécifiquement".

"Les élus sont confrontés à une intensification du travail"

Pour Julien Lusson, analyste du travail et expert d’Alternatives Ergonomiques, un cabinet spécialiste de l’analyse ergonomique et psychologique du travail, "nous sommes de plus en plus sollicités sur les risques psychosociaux. Les élus sont confrontés à une intensification et une individualisation du travail qui font que dans l’entreprise, on ne sait plus qui fait quoi. La dimension de métier s’est dégradée". L’expert se trouve par ailleurs entravé par l’affaiblissement du cadre réglementaire des acteurs de la santé au travail et par une bureaucratisation latente.

"Les experts présentent quatre registres d’action"

Kevin Guillas-Cavan est économiste, chercheur à l’Ires. Il a mené des entretiens avec des experts et des élus de 2013 à 2017. Cette étude lui a permis d’isoler quatre registres d’action de l’expert : ils doivent être tout à la fois pédagogues, conseillers, diplomates et coordinateurs. Il explique : "L’usage des experts n’est pas forcément dialogique. C’est du temps, du conseil, des contacts, mais pas fournir une information systématique". Ainsi, les élus peuvent préférer tantôt du conseil stratégique, des réunions informelles ou un appui à la négociation.

En conclusion, l’économiste Jacques Freyssinet a notamment pointé que les élus de CSE se trouvent "pris en sandwich entre l’exigence d’un lien direct avec les salariés et leur intervention économique, sociale et environnementale au niveau des centres de décision sur le capital. Ils doivent donc marcher sur deux jambes mais ne pas se laisser écarteler". Il reviendra donc aux experts de les aider à conserver cet équilibre quelque peu instable…

(*) Institut des Sciences Sociales du Travail

(**) Institut de recherches économiques et sociales

Marie-Aude Grimont
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