Nicolas Fourmont : "La sobriété énergétique crée un écosystème favorable à l'environnement dans les CSE"
01.11.2022
Représentants du personnel

Le 6 octobre dernier, le gouvernement a présenté son plan de sobriété énergétique qui ambitionne une baisse de 10 % de la consommation d'énergie l'hiver prochain. Ce plan incite les employeurs à transmettre au CSE la trajectoire de baisse de la consommation de l'entreprise. Comment les élus peuvent-ils tirer parti de cette nouvelle communication ? Nous avons interrogé à ce sujet Nicolas Fourmont, associé au cabinet gate17 spécialiste de l'environnement auprès des CSE.
C'est une très bonne chose et j'invite les élus de CSE à se saisir de leurs prérogatives environnementales, même en dehors de tout conflit avec la direction. Cette transmission d'une trajectoire de consommation constitue un élément aujourd'hui conjoncturel, mais qui a vocation à structurer les organisations dans les années à venir. C'est donc une nouvelle flèche dans l'établissement d'un dialogue social sur les questions environnementales. Il existe désormais un cadre réglementaire assez net, qui ne cesse de se préciser et de se renforcer, comme par exemple sur l'audit énergétique des entreprises de plus de 250 salariés (lire notre encadré ci-dessous, NDLR). Les employeurs sont tenus de le faire tous les quatre ans, il faut donc le demander et en faire un objet de dialogue social.
A ma connaissance, oui, car elle est sanctionnée d'une pénalité de 2 % du chiffre d'affaires, voire 4 % en cas de récidive. En revanche, la vraie question porte sur les préconisations issues de cet audit : si l'entreprise est obligée de réaliser l'audit, elle n'est pas tenue de suivre les recommandations de l'auditeur. Tout dépendra donc du niveau de sensibilité de la direction, du rapport entre le coût de l'audit et des économies énergétiques espérées.
Non car ce n'est pas formellement exigé. Du côté de la déclaration de performance extra financière (DPEF) et de la BDESE, le décret du 26 avril 2022 (texte qui a fixé la liste des indicateurs environnementaux de la BDESE, NDLR) est très clair.

La DPEF doit être versée à la base de données. Sur l'audit, les textes ne sont pas aussi nets. Dans notre pratique professionnelle, nous demandons que les audits soient versés dans la BDESE.
Disons que cela fait partie d'un écosystème. Quand la direction est attentive à ces enjeux, qu'elle suit l'actualité, qu'elle voit le gouvernement prendre position, qu'elle écoute ce qui se passe sur l'électricité et le gaz, qu'elle voit le montant des factures s'envoler, cela crée un écosystème favorable à la prise en compte de l'environnement dans les CSE, il ne faut pas le négliger.
Le CSE peut tout d'abord demander à mettre ces sujets à l'ordre du jour. Mais il peut réinjecter de l'environnement dans toutes les consultations, qu'elles soient économiques, stratégiques ou sociales.

Côté négociations, l'épargne salariale constitue un excellent levier. Les délégués syndicaux peuvent identifier des fonds verts de placement, préoccupés par les questions climatiques et énergétiques, et les proposer à la direction. Ils peuvent s'appuyer sur le comité intersyndical de l'épargne salariale, le CIES. Ce dernier a été fondé par la CFDT, la CGT, la CFE-CGC et la CFTC. Il a labellisé 79 fonds d'épargne à fortes exigences sociales et environnementales.
Sur l'intéressement, on peut faire beaucoup de choses, l'imagination est au pouvoir. Les négociateurs peuvent se saisir de l'audit énergétique, identifier les actions et proposer qu'en 2023, on se met en ordre de bataille pour réduire la consommation énergétique de 5 à 20 %, et une part des gains seront reversés via l'intéressement en partage de la valeur.
L'alignement des rémunérations entre le top management, le management intermédiaire et les salariés peut être une bonne méthode. Si les plus hauts cadres de l'entreprise décrètent la consommation d'énergie comme enjeu stratégique, et qu'une partie de leur rémunération variable dépend de cet objectif, de même que l'intéressement des salariés, alors les objectifs sont alignés tout le long de la chaîne du personnel.
A court terme, je leur conseille de recourir à l'expertise et à la formation. Ceux qui en ont les moyens doivent absolument investir ce champ. Il faut regretter que la commission environnement ne soit que facultative. Si on avait pris le sujet au sérieux dans les années 80, on n'en serait pas là. Ces questions ont longtemps été mises de côté. Il en résulte que la maturité du dialogue social sur les enjeux énergétiques est généralement en inadéquation par rapport à l'urgence des situation. La fusion des instances a entraîné une baisse d'environ 30 % des effectifs dans les CSE. Avec cet effet ciseau, les instances CSE saturent, ils sont devenus un goulet d'étranglement. Mais au moins, l'expertise et la formation peuvent rattraper un peu les retards. L'avantage pour les élus est d'avoir le dossier travaillé en amont, de ne pas partir de zéro et de gagner du temps. Les experts et les formateurs leur apportent une vision à plusieurs dimensions. Les élus du CSE arrivent donc devant la direction avec les idées claires.
Par ailleurs, je recommande la mise en place par accord d'une commission environnement. Les dossiers énergétiques ayant été étudiés, des positions communes entre la commission environnement et la direction peuvent alors se dégager. Pour penser collectivement des trajectoires énergétiques ambitieuses, l'idéal est de traiter ce sujet en commission environnement.
Cette commission est à négocier, quel que soit l'effectif. Il faut y mettre des moyens, du budget d'étude, des heures de délégation.

Prévoir également par accord que l'on pourra y inviter des personnes qualifiées, des représentants d'ONG, des experts pour alimenter les réflexions. On peut aussi y inclure des salariés déjà très motivés sur ces sujets. La commission aura besoin de gens pointus en interne, je pense notamment à des jeunes, très sensibles sur les sujets environnement et climat. Il faut d'ailleurs leur montrer que les syndicats se mettent aussi sur ces enjeux. Si la commission est bien faite, elle devient l'antichambre du dialogue social environnemental.
Oui, si le CSE tourne à vide, qu'il ne produit pas suffisamment, qu'il ne porte pas les fruits attendus, qu'il piétine, qu'il devient une instance de chicanement, les élus doivent se tourner vers l'extérieur. Si les avis du CSE ne sont pas pris en compte, c'est qu'il n'est pas considéré comme un acteur légitime. Il faut alors retourner au terrain pour y retravailler les stratégies environnementales. Cela peut valoir le coup de délaisser provisoirement l'instance pour se tourner vers les salariés sur les problèmes environnementaux dans l'entreprise. Les salariés sont de plus leur première source de légitimité. Une fois équipés, les élus pourront alors réinvestir le CSE avec des éléments de fond qui leur manquaient. Ils retournent à l'instance avec un autre rapport de force et un meilleur niveau d'analyse. Sinon, ils s'épuisent.
En effet, les syndicats et les associations ne restent pas les deux pieds dans le même sabot. Ils produisent des outils et permettent aux élus de ne pas rester isolés dans leur instance, ils peuvent leur mettre le pied à l'étrier. En 2021, nous avions organisé un webinaire sur l'expérience de la papeterie de Chapelle Darblay qui montrait bien comment le CSE et les délégués syndicaux avaient démarché autour d'eux les élus locaux et toutes les organisations possibles qui pouvaient les soutenir. Cette vision était intelligente : les problèmes environnementaux sont territorialisés, il faut donc sortir de l'entreprise pour créer de la concertation.
L'audit énergétique, une obligation contrôlée par le préfet de région
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L'audit énergétique est issu d'une directive européenne du 25 octobre 2012. Celle-ci a été incorporée au droit français par la loi du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de développement durable. Seules y sont soumises les entreprises employant plus de 250 salariés, ou qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros et un bilan supérieur à 43 millions d'euros. Cet audit doit être effectué tous les quatre ans. Il porte du 80 % des factures énergétiques de l'entreprise, qu'il s'agisse de gaz, de carburant ou d'électricité. Concrètement, un diagnostiqueur agréé par un organisme de qualification recueille les factures, en calcule la somme et préconise des réductions de consommation poste par poste. Il dégage ainsi des sources d'économies pour l'entreprise. L'entreprise n'est en revanche pas juridiquement tenue de suivre les recommandations issues de l'audit. Cependant, les potentielles baisses de factures sont fortement incitatives. En 2017, l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) a constaté que 4955 des 5000 entreprises concernées se sont déclarées sur la plateforme obligatoire dédiée à l'audit énergétique. Alors que peut faire le CSE d'une grande entreprise si l'audit n'est pas réalisé ? Se tourner vers les DREAL (Directions régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement). Celles-ci dépendent du préfet de région. Les DREAL sont chargées du contrôle de la réalisation de l’audit, de leur transmission à la plateforme de l’ADEME, du contrôle des justificatifs déposés sur cette plateforme et de la sanction des contrevenants. |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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