[Note de lecture] Pleine lucarne pour le "foot sentimental"

[Note de lecture] Pleine lucarne pour le "foot sentimental"

09.11.2023

Représentants du personnel

Séquence nostalgie ce vendredi avec ce livre de Dominique Rocheteau dont le titre ("Foot sentimental") est un clin d'oeil à la chanson d'Alain Souchon. L'ancien footballeur de Saint-Etienne y dit son attachement aux valeurs solidaires et collectives d'une équipe et, bien sûr, son amour du ballon rond...et ovale.

Sans pour autant être écrit avec les pieds, c'est un livre sans prétention. On pourrait presque dire...un livre qui va droit au but. Il faut dire que son auteur a aujourd'hui les genoux usés : ses crampons ont labouré tant et tant de terrains de foot de France et de Navarre ! Au poste d'ailier droit ou d'avant-centre, il a imposé sa silhouette un rien dégingandée en multipliant chevauchées cheveux au vent et buts au débotté, que ce soit à Saint Etienne, au Paris Saint-Germain ou Toulouse, sans oublier l'équipe de France (voir ici un résumé de quelques buts), même s'il a l'honnêteté de reconnaître avoir complètement loupé l'Euro de 1984, pourtant remporté par une France emmenée par les Platini, Giresse, Tigana et compagnie.

Lui, c'est Dominique Rocheteau. Un enfant de la Charente-Maritime, né en 1955, et qui a grandi - il culmine à 1m77- dans l'amour du foot que son père pratiquait avec brio, mais comme amateur, sur les terrains de la région. Un père qui ne s'est jamais emporté sur le terrain, qui n'a jamais répondu aux agressions et coups dont il était victime, un père que Dominique Rocheteau n'aura eu de cesse d'imiter. Il met ainsi un point d'honneur à souligner dans son livre son palmarès quasi-vierge sur le plan disciplinaire : une carrière sans carton rouge, seulement "ternie" de deux cartons jaunes...

Un premier contrat pour 800 francs mensuels

Bien sûr, le nom de Rocheteau ne dira peut-être rien aux jeunes et moins jeunes qui n'ont pas suivi l'épopée européenne des Verts dans les années 70. L'imaginerait-on encore aujourd'hui ? En mai 1976, l'équipe de Saint-Etienne, malgré sa défaite en finale de coupe des clubs champions européens face au Bayern de Munich (la faute aux poteaux carrés !), avait été fêtée tels des vainqueurs par la foule rassemblée sur les Champs-Elysées.

 Giscard n'était pas un grand fan de foot !

 

Les joueurs avaient même eu le privilège d'être reçus à l'Elysée par un Valéry Giscard d'Estaing ayant visiblement la tête ailleurs : "Le Président m'a donné l'impression de ne pas avoir vu la finale...et de ne reconnaître personne (..) Tout, dans son attitude, ses gestes, dans ses mots, laissait penser qu'il n'était pas un grand fan de football". 

Le nom de Rocheteau ne dira rien non plus à celles et ceux qui n'ont pas collé sa trombine chevelue sur les cahiers Panini, et qui n'ont jamais entonné "Qui c'est les plus forts ? Les plus forts c'est les Verts !"

Mais la lecture de ce livre leur offrira sans doute une autre vision du foot que celle qui prévaut aujourd'hui. On était loin alors, a fortiori dans une ville aussi ouvrière que Saint-Etienne, berceau de Manufrance, du tombereau d'espèces sonnantes et trébuchantes qu'apportent dorénavant les droits de diffusion et les pétromonarchies.

800 francs à 16 ans, c'était l'eldorado  

 

 

Ainsi, Dominique Rocheteau raconte avoir signé en 1971 le contrat de stagiaire que lui proposait l'Association sportive Saint-Etienne (ASSE) pour...800 francs mensuels. "Sincèrement, à 16 ans, c'était l'eldorado. Je n'avais aucune notion de ce que représentait l'argent", écrit-il en assurant avoir découvert dans la presse, plusieurs années plus tard, l'existence d'une caisse noire à Saint-Etienne.

Des entraîneurs admirés mais...

S'il répète plusieurs fois son admiration et sa reconnaissance à l'entraîneur des Verts Robert Herbin ("Roby, son mot d'ordre, c'était courir, courir, courir"), au coach du Paris Saint Germain Gérard Houiller ("Un entraîneur-copain qui mettait une super ambiance dans le groupe") et à Michel Hidalgo pour l'équipe de France ("Il était presque devenu mon second papa"), le regard de l'attaquant se fait plus dur quand il fixe les actuelles surfaces de réparation. 

Qu'est-ce qu'on a pu me chambrer avec ma pub pour des slips ! 

 

 

Dominique Rocheteau égratigne un monde du foot qu'il ne reconnaît plus tellement l'argent y a pris une place grandissante, même s'il admet avoir lui-aussi succombé à des propositions de publicités qui lui ont valu quelques moqueries : "«Y'a pas que le foot dans la vie ! » : c'est ce que je clamais dans une publicité, en 1987, pour le compte des slips Mariner. Qu'est-ce qu'on a pu me "chambrer" avec ça !".

Difficile de ne pas approuver ses passages et ses formules ("Ethique et toc") sur le foot-business et son incompatibilité avec des critères éthiques. Il faut dire que Rocheteau, qui n'aime quère son surnom d'"Ange vert", présida un temps le conseil national d'éthique du foot (2002-2012).

Le football professionnel se fichait complètement de l'éthique 

 

Une expérience qui a fini de le désillusionner :"J'ai cru à l'idée de pouvoir changer les mentalités (..) Mais j'étais trop naïf. J'ai vite compris qu'une grande partie du monde professionnel se fichait complètement de l'éthique (..) J'ai ressenti le football amateur davantage à l'écoute : au moins il nous respectait".

Difficile aussi de ne pas apprécier le sel de cette confidence à propos de ses relations avec les médias : au lendemain de la victoire de Saint-Etienne sur le terrain des Glasgow rangers, en novembre 1975, France Soir avait titré :  "Rocheteau : «Pour moi la vie ne sera jamais comme avant»". Et l'ancien joueur de commenter : "Je n'avais jamais prononcé ces mots-là, je trouvais cette formule prétentieuse. J'ai compris que l'on pouvait fabriquer une image contre votre propre volonté". 

Un amateur de rugby et un fou de musique

A la fin de son livre, Dominique Rocheteau consacre de belles pages au football féminin sans la condescendance souvent de mise chez les footballeurs mâles (sa mère a joué au foot, ceci explique peut-être cela). Et, à l'inverse de certains journalistes sportifs auto-centrés sur le foot, l'ex-avant-centre sort de son terrain favori pour évoquer d'autres sports. Comme l'ancien footeux, qui peut difficilement continuer à courir, s'est mis au vélo et qu'il demeure un fou du tour de France, il signe quelques beaux passages en hommage à la petite reine.

Rocheteau évoque également son admiration pour le rugby, ses valeurs et ses règles qu'il aimerait voir adoptées par le foot : "Au rugby, si un ou plusieurs joueurs contestent une faute sifflée et qu'ils ne font pas l'effort de se replier à dix mètres de l'arbitre, celui-ci peut faire avancer l'équipe adverse de dix mètres vers la ligne d'essai. Adaptée au football, la règle produirait un certain effet : on pourrait vite se retrouver dans une surface de réparation, face au gardien de but".

 J'ai passé des heures à Discoland

 

Mais la partie sans doute la plus originale de ce livre est à chercher dans les pages où l'ancien Vert dit son amour de la musique, et du rock : "A Saint-Etienne, j'ai passé des heures entières chez Discoland, un magasin de vinyles tenu par un passionné (..) fan des Beatles de la première heure". L'ancien stéphanois, qui avait choisi de vivre dans un chalet isolé afin de pouvoir pousser le son, raconte avoir voyagé incognito aux Etats-Unis durant l'été 1979, afin de pouvoir suivre les concerts et festivals de ses idoles : Jefferson Airplane, America, ZZ Top. Il verra aussi, à Paris, Neil Young et Grateful Dead en concert, et assistera, en 1988, à un concert de...11 heures à Londres en hommage à Mandela, où défilèrent Simple Minds, Dire Straits, Sting, Eric Clapton, etc. Une affiche presque aussi belle que le fameux Saint-Etienne-Bayern !

 

► Dominique Rocheteau (avec la collaboration d'Eric Chaumier, un ancien journaliste de l'Equipe), Foot sentimental, Le Cherche Midi, 200 pages, 18,50€.

► A lire aussi : Petite histoire du foot, ou quand le jeu de passes reflétait la culture ouvrière de l'entraide

 

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Représentants du personnel

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Bernard Domergue
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