[Notes de lecture] 10 livres sociaux pour éclairer l'actualité

[Notes de lecture] 10 livres sociaux pour éclairer l'actualité

25.07.2024

Représentants du personnel

Jeux Olympiques, démocratie, dette, assurance chômage, inégalités, histoire, romans sociaux… Voici quelques livres à adopter le temps d'un été afin de rester connectés au social. Pour des vacances instructives !

Nous les avons tous lus, oui tous. De la première à la dernière page. Les coins cornées et autres annotations en attestent. Pour vous en faire profiter, voici 10 notes de lecture autour des grands enjeux qui ont marqué les six premiers mois de l'année 2024 et qui ne manqueront pas d'agiter les six mois suivants.

 

JEUX OLYMPIQUES

Dans les coulisses de la charte sociale

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Secrétaire général de la CGT de 1999 à 2021, Bernard Thibault a continué de promener ses cheveux longs dans l'actualité sociale 2024 en tant que coprésident du comité de suivi de la charte sociale des JO (négociée par tous les syndicats représentatifs) des JO. Dans ce livre co-écrit avec le journaliste Bernard Stéphan, il raconte les coulisses de la première charte sociale de l'histoire des Jeux, dont la genèse remonte aux années 2004-2005. Au menu des anecdotes, la surprise de Thomas Bach, président du Comité International Olympique, et qui semble rencontrer pour la première fois un responsable syndical quand Anne Hidalgo lui présente Bernard Thibault. Ou encore la proposition de Geoffroy Roux de Bézieux (Medef) de recourir à l'armée afin de pallier les besoins de professionnels de sécurité. Travailleurs étrangers, santé au travail, enjeux de représentation syndicale des salariés sur les chantiers, bénévolat, rôle des CSE et CSSCT, travail dissimulé… les sujets furent nombreux et l'on mesure le travail titanesque fourni autour de la charte. Un regret cependant : l'ouvrage de Bernard Thibault fait à peine assez de place aux positions des autres syndicats, les autres négociateurs de la charte sociale étant très peu cités. Le texte a pourtant été signé par Yvan Ricordeau (CFDT), Philippe Martinez (CGT), Frédéric Souillot (FO), François Hommeril (CFE-CGC), Philippe Louis (CFTC), Michel Guilbaud (Medef), Jean-Louis Blachier (CPME), Pierre Burban (U2P).

Dans les coulisses des JO, Bernard Thibault, Les éditions de l'Atelier, 173 p., 19 €

 

Du jardin ouvrier à la piscine olympique

Voici un contrepoint pour le moins militant au livre de Bernard Thibault : "Une ville face à la violence olympique" de Jade Lindgaard. La journaliste de Mediapart porte un regard extrêmement critique sur l'organisation des Jeux et ses conséquences sociales et écologiques. L'auteure déplore par exemple l'absence de validation démocratique par référendum de la candidature de Paris 2024, ce qu'ont fait en effet d'autres pays pour les Jeux d'hiver de 2022 comme l'Allemagne (rejet par vote populaire de la candidature de Munich), la Pologne (pour la candidature de Cracovie), la Suisse (candidature de Saint-Moritz et de Davos). Ce ne sera pas le cas pour Paris : dès 2016, le fichier de candidature énonce de manière lapidaire : "La candidature est massivement soutenue par le public. Il n'y aura pas de référendum". Jade Lindgaard dénonce également les 1 500 familles délogées pour faire place aux infrastructures olympiques, un phénomène "qui n'aurait jamais dû arriver" puisque selon la journaliste, 95 % des infrastructures étaient déjà construites. La journaliste a elle-même été placée en garde à vue pour avoir tenté de défendre des jardins ouvriers d'Aubervilliers menacés par la piscine olympique. Elle sera finalement relaxée mais son livre pose aussi la question de l'héritage des Jeux pour les Français pauvres, précaires et racisés résidant en Seine Saint-Denis.

Une ville face à la violence olympique, Jade Lindgaard, Éditions Divergences, 164 p., 15 €

 

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DÉMOCRATIE

Comment les plus aisés financent leurs partis politiques

Dans cet essai publié en 2019 et toujours d'actualité, l'économiste Julia Cagé s'interroge sur le bon fonctionnement de la démocratie quand le système fiscal des exonérations des dons aux partis politiques favorise les contribuables les plus aisés. Ces derniers disposant de moyens financiers plus importants que les classes populaires, ils financent plus facilement les partis politiques qui soutiennent leurs opinions, et donc les partis de droite. Chiffres et études à l'appui, l'auteure démontre comment, indirectement, l’État consacre donc une partie de ses budgets financés par l'ensemble des contribuables à financer quelques partis politiques seulement. Elle propose au contraire d'offrir à chaque citoyen la possibilité de financer le parti de son choix grâce à des "bons pour l'égalité démocratique", des "BED" de 7 euros alloué par l'État au moment de la déclaration d'impôt. Autre apport de cet ouvrage, la réflexion de Julia Cagé sur la représentation des classes populaires à l'Assemblée nationale. Afin de compter plus de travailleurs parmi les députés (6 sont ouvriers sur 577 députés élus en 2024), elle propose une recomposition sur la base d'un tiers de représentants élus à la proportionnelle sur des listes comptant au moins une moitié d'ouvriers et employés. A creuser pour les prochaines législatives ?

Le prix de la démocratie, Julia Cagé, Folio actuel, 629 p., 11 €

 

Quand la dette nous tient

La crise sanitaire et son "quoi qu'il en coûte" n'aura donc été qu'une parenthèse. L'exécutif a vite ramené les Français à la vraie vie : les économies budgétaires et une certaine austérité. Car convaincre les investisseurs privés de placer leurs fonds en dette souveraine a un prix : des contreparties sociales, économiques et politiques qui se monnayent sous la forme de réformes de l'assurance chômage, des retraites et autres restrictions des systèmes de protection sociale et des services publics. Le taux de syndicalisation et le rythme des mouvements sociaux sont aussi scrutés par les créanciers. Benjamin Lemoine, chercheur au CNRS, démontre dans ce livre comment l'argument de la dette est mobilisé "pour discipliner les peuples dépensiers". Le "package" vendu par les responsables politiques aux investisseurs contient donc "discipline budgétaire, rigueur monétaire, économie de libre-échange et taux de chômage vanté comme un gage de compétitivité salariale". La situation ne va pas sans poser de problème démocratique : les gouvernements successifs en viennent à décider des mesures permettant de refinancer la dette, et non de satisfaire les électeurs en demande de protection sociale ou d'un meilleur système de soins.

La démocratie disciplinée par la dette, Benjamin Lemoine, La Découverte, 157 p., 13 €

 

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SOCIAL

Au boulot les chômeurs

Cet ouvrage collectif de cinq chercheurs, dont la sociologue Claire Vivès qui a soutenu l'intersyndicale opposée à la dernière réforme de l'assurance chômage (lire notre article), dissèque l'efficacité très relative du contrôle des chômeurs. En partant d'un paradoxe : "Plus les chômeurs sont nombreux, plus ils sont soupçonnés d'être eux-mêmes la cause du chômage". A partir des années 70, l'échelon de pression individuel est favorisé par les pouvoirs publics pour réduire le chômage. Sauf que selon les auteurs, "la pression sur les chômeurs peut conduire des individus à retourner au travail mais elle ne crée pas d'emplois" Or, les politiques de contrôle même muées en "accompagnement", outre qu'elles infantilisent et culpabilisent les demandeurs d'emploi "entre moralisation bienveillante et vérifications coercitives", conduisent à ne plus ajuster les qualifications des travailleurs aux postes qu'ils occupent. Au final, en 2019, seulement 14,6 % des contrôles se sont soldés par une radiation. 54,6 % des motifs de clôture d'un contrôle consistent dans le constat d'une recherche active d'emploi de la part du chômeur. Rappelons-le donc : "Les chômeurs ont une obligation de moyen et non de résultat en matière de recherche d'emploi". Les chercheurs soulignent également leur difficultés d'accès à des données "difficiles à récolter", "car l'institution [Pôle Emploi] cultive un certain goût pour la dissimulation".

Chômeurs, vos papiers !, C. Vivès, L. Sigalo Santos, J-M. Pillon, V. Dubois, H. Clouet, éditions Raisons d'agir, 160 p., 13 €

 

L'impasse des inégalités multiples

Les inégalités se creusent mais elles changent aussi de nature. François Dubet, professeur de sociologie à l'université de Bordeaux et directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, explique comment, au fil de quelques décennies, les inégalités de classes sont devenues des inégalités multiples. Les révolutions démocratiques et industrielles ont ouvert un système où les inégalités de classe sont fondées sur la position de l'individu dans la division du travail : "Les classes expliquent les conduites et les consciences de classe (…). L'emprise de cette représentation était si puissante que les autres inégalités passaient au second plan". Les classes donnent ainsi une fierté aux individus victimes des inégalités, "elles ont attribué des causes aux injustices subies, elles ont créé des récites collectifs, offert des utopies et des mémoires de combat".

Tout cela est bien fini et un régime plus complexe s'est instauré : dans le "régime des inégalités multiples", les groupes touchés par les inégalités se sont multipliés. Ils sont définis par l'activité professionnelle mais aussi l'âge, le sexe, le statut d'emploi, les origines, les appartenances religieuses, les territoires ou encore les handicaps. Les critères d'inégalités et leur mesure ont également explosé : patrimoine, consommation, accès à la santé et aux études, famille, mobilité spatiale, pratiques culturelles etc. En conséquence, un individu ressent une multitude d'inégalités et donc d'injustices à son égard. Il est si simple de se comparer à son collègue, ses amis, ses voisins quand on éprouve une inégalité en tant que soi… François Dubet souligne également que "le jeu des comparaisons au plus près est largement accentué par l'éclatement des collectifs, à commencer par les collectifs de travail". Avec à la clé les émotions négatives, qu'il qualifie de "passions tristes" : colère, mépris, honte, ressentiment. Or, "sans relais politiques, associatifs et syndicaux, l'indignation fonctionne comme un exutoire, un lynchage". Un terreau favorable aux démagogues de tous ordres. 

Le temps des passions tristes, inégalités et populisme, François Dubet, Seuil, 106 p., 11,80 €

 

Savoir (enfin) répondre aux arguments d'extrême droite

L'été est propice aux barbecues en famille. Seulement voilà, entre la merguez et le poivron, votre beau-frère vient gâcher la fête en vantant les mérites de "la France aux Français", car après tout, "on ne peut pas accueillir toute la misère du monde". Vous bouillonnez d'envie de lui répondre mais voilà, les mots ne viennent pas : la rhétorique d'extrême droite en apparence simpliste s'avère difficile à démonter si l'on n'y est pas préparé. Heureusement, Vincent Edin, journaliste spécialiste de la communication politique, a conçu toutes les réponses qui cloueront le bec aux plus convaincus par certaines idées. Selon l'auteur, "ces discours visent à faire croire que des hordes de miséreux déferleraient continuellement vers les pays riches". Un fantasme contraire à la réalité puisque le nombre d'étrangers présents sur le territoire français est stable depuis les années 1930 : entre 6 et 7 %.

Chaque argument est ainsi minutieusement disséqué en quelques courtes pages, du "c'est mal vu en France d'aimer son pays" à "il faut expulser les étrangers qui ne veulent pas s'intégrer", en passant par "le rôle des femmes est d'abord de faire des enfants". Nous avons aussi aimé "Les syndicats sont sectaires puisqu'ils excluent leurs membres qui appartiennent au Rassemblement National". Réponse de Vincent Edin : "Défendre ses valeurs fondatrices, ce n'est pas être sectaire. L'égalité et la solidarité envers tous les travailleurs sont les conditions mêmes de l'existence du syndicalisme".

En finir avec les idées fausses propagées par l'extrême droite, Vincent Edin, Les éditions de l'atelier, 210 p., 12,50 €.

 

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HISTOIRE

Léon Blum le magnifique

Abandonné des manuels scolaires, relégué dans les oublis de l'histoire, la figure de Léon Blum a commencé à revenir sur le devant de la scène en 2022, quand France Inter lui a consacré un excellent portrait radiophonique en neuf épisodes "Léon Blum, une vie héroïque". L'auteur, Philippe Collin, journaliste, scénariste et producteur, les a transcrits dans un pavé richement illustré de près de 400 pages. De la bibliothèque de l'École normale supérieure où il fît ses classes aux couloirs du Conseil d'État, des allées du congrès de Tours aux rangs de l'Assemblée nationale, des espoirs du Front Populaire à la déportation imposée par le Maréchal Pétain, rarement un homme politique français aura été à ce point la cible haineuse et aveugle de l'antisémitisme et de l'extrême droite. Son parcours, ses convictions, son courage, sa fidélité à ses idées, ses capacités de résistance en font un exemple qui résonne encore aujourd'hui avec la création du Nouveau Front populaire. Qui pour le remplacer ?...

Léon Blum, une vie héroïque, Philippe Collin, Albin Michel, 365 p., 24,90 €

 

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ROMANS

Requiem pour la classe ouvrière

"Narval", c'est le surnom trouvé par ses camarades de chantier. Parmi eux, "Barbe", "Mangefer", "Filoche", "l'Horloger" arpentent les carénages, rivent les plaques de tôle, réparent les Turbo Pompes et respirent de l'amiante aux chantiers navals de la Seyne-sur-Mer. On leur annonce un jour la fermeture du site pour des raisons économiques lointaines. Ils occupent les ateliers, ouvrent des pétitions, rameutent les ouvriers de La Ciotat, s'installent sur les autoroutes. C'est peu dire que la solidarité les soude face à l'adversité de leur perte d'emploi, mais tous ne savent pas quoi faire d'un "après" qui s'ouvre comme un grand néant dans leurs habitudes. Ancien apprenti à l'arsenal maritime puis ouvrier tôlier, l'écrivain Christian Astolfi dépeint ce monde en train de disparaître avec retenue et sensibilité sans jamais tomber dans la victimisation. Son livre a été récompensé des Prix France Bleu et Page des Libraires.

De notre monde emporté, Christian Astolfi, Pocket, 186 p., 7,30 €

 

Tout le monde n'est pas agile de ses mains

Grand classique de la littérature sociale, L'Établi joue sur les mots en racontant à la fois la vie ouvrière de l'usine Citroën de la porte de Choisy (un établi est une table de travail) et le mouvement des "établis", des intellectuels maoïstes se faisant embaucher dans les usines ou les docks. Et il va en baver, l'établi, Robert Linhart lui-même, auteur de ce récit autobiographique. On le poste d'abord à la soudure avec un bâton d'étain. Mais au bout d'une heure, "c'est la dixième voiture sur laquelle je m'escrime en vain. Mouloud a beau faire, m'avertir, me guider la main, me passer l'étain, me tenir le chalumeau, je n'y arrive pas". Le bleu passe alors à la préparation des vitres qu'il faut gainer de caoutchouc. Et connaît le même échec. Il finira par se révéler à un poste de sellerie quand se déclenche une grève : la direction veut imposer vingt minutes de travail gratuit. A la lecture de l'Établi, on se dit que le monde de l'usine a bien changé, mais les rapports de travail pas tant que ça…

L'établi, Robert Linhart, éditions de Minuit, 187 p., 8 €

Marie-Aude Grimont
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