"Nous avons tous besoin du beau"

28.03.2023

Représentants du personnel

A l'occasion de notre déplacement à Lille pour le salon Eluceo la semaine dernière, nous avons rencontré l'un des responsables du musée du Louvre-Lens, qui fête ses 10 ans. Dans cette actualité chargée et dans ce climat social assez sombre, nous vous proposons un petit pas de côté pour évoquer une expérience locale originale consistant à amener l'art auprès des habitants d'une ville minière du Nord-Pas-de-Calais, une ville jusqu'alors dépourvue de musée. Interview.

Matthieu Raoult, vous êtes responsable de la communication du Louvre-Lens. Pourquoi être présent à Eluceo Lille, un salon destiné aux élus CSE ?

Parce que nous cherchons toujours à accroître notre fréquentation et nos ressources ! Nous proposons de la billetterie individuelle mais nous avons aussi des offres préférentielles destinées aux CSE du privé et aux COS de la fonction publique. Il s'agit d'offres orientées vers les familles mais nous proposons aussi des visites de groupes pour les salariés, qui peuvent intéresser les CSE. 

Votre musée est installé au coeur du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais...

Les mines étaient le poumon économique de Lens, c'était aussi la source de sa richesse, dont témoigne le patrimoine architectural art-déco de la ville. Quand les mines ont fermé, cela a entraîné l'arrêt d'une grande partie de l'activité économique.

Toute la population s'est mobilisée pour obtenir le musée ! 

 

 

Aussi quand Jacques Chirac, lors de son deuxième mandat à la présidence de la République, a fait le choix de décentraliser certaines collections nationales dans des villes en dehors de Paris, toute la population lensoise s'est très fortement mobilisée pour que le Louvre vienne à Lens. Un livre a même été publié dans lequel tous les habitants de Lens avaient écrit un mot pour demander au président de la République de permettre l'accueil d'un musée ici. Aujourd'hui, cela fait donc 10 ans que ce musée est arrivé sur ce bassin minier, Lens étant auparavant la seule sous-préfecture à n'avoir pas de musée. Nous avons célébré ces 10 ans avec un concert d'Alain Souchon, avec l'exposition exceptionnelle du Scribe accroupi, qui a été un grand succès, avec également une exposition sur Rome, la cité de l'Empire et une autre sur le bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes. 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
Le Louvre-Lens n'a pas de collection propre...

Nous n'avons pas de collection, en effet, nous bénéficions de prêts d'oeuvres qui viennent du Louvre à Paris. Nous n'avons donc pas beaucoup d'agents qui travaillent dans la conservation des oeuvres, ce qui nous permet d'avoir en revanche de nombreux agents qui travaillent dans la médiation. Pourquoi ? Parce que la première mission que nous nous sommes fixés, c'était d'ancrer le musée sur ce territoire, d'éviter que cela soit un Ovni posé chez nous pour amener des touristes étrangers. L'objectif, notamment avec les médiateurs, c'était que la population lensoise et la population de l'agglomération Lens-Liévin voire du bassin minier dans son ensemble s'approprie ce musée. Et pour cela, nous avions un atout incroyable avec la Galerie du Temps. 

Qu'est-ce que la Galerie du Temps ? 

C'est la collection semi-permanente du Louvre-Lens : dans une salle de 120 mètres de long, nous proposons 5 000 ans d'histoire de l'art d'un seul tenant. Nous partons de la naissance de l'écriture et nous allons jusqu'à la première moitié du XIXe siècle, les oeuvres exposées allant de l'Asie mineure à l'Europe de l'Ouest. Nous avons voulu présenter une vision universaliste de l'histoire de l'art en intégrant des oeuvres prêtées par le musée du Quai Branly, et qui viennent d'Afrique, d'Océanie, etc.

Une découverte assez ludique de l'histoire de l'art 

 

 

Le visiteur voit comment, au fil des siècles, a évolué l'art. C'est une découverte assez ludique : dans la longueur vous avez la chronologie et dans la largeur vous avez la géographie, donc vous pouvez vous arrêter dans une époque donnée et découvrir ce que produisaient les différentes civilisations de part et d'autre du globe. Face à une oeuvre, vous pouvez aussi découvrir, en faisant un pas de côté, en regardant devant et derrière, des points de passage de l'histoire de l'art en voyant quel impact a eu telle ou telle oeuvre par la suite. 

 Il n'est pas évident de "démocratiser" l'accès à la culture. Comment avez-vous fait pour vous assurer une fréquentation populaire ?

L'architecture du musée nous y a aidé, avec un bâtiment qui diffuse une lumière très douce, dans une ambiance très calme (*). Et la Galerie du Temps aussi, qui permet une approche pédagogique de l'histoire de l'art. Mais notre action repose aussi, comme je le disais, sur le travail de nos médiateurs. Nous avons multiplié les actions pour une première approche du musée. Avec "bébé au musée", vous pouvez faire découvrir à un enfant, dès l'âge de 9 mois, l'univers du musée en le faisant jouer sur les couleurs et les textures. Et comme nous nous sommes aperçus que les grands parents faisaient visiter le musée à leurs petits enfants, nous avons mis en place, le samedi matin, des visites appelées "l'art d'être grand parent" où nos guides font visiter la Galerie aux grands parents de façon à ce que ceux-ci puissent ensuite commenter le musée pour leurs petits enfants.

 Nous avons par exemple une action d'accompagnement des chômeurs longue durée

 

 

Nous proposons aussi des ateliers d'activité artistique à des prix très modiques. Et ce pari de la fréquentation populaire est réussi : hors Ile-de-France, nous sommes le deuxième musée français en termes de fréquentation. Et les Lensois viennent visiter plusieurs fois visiter le musée. Les adolescents viennent l'été, certes parce que c'est climatisé et qu'il y a le wi-fi gratuit, mais cela donne des habitudes : ils se promènent dans la Galerie du temps, ils sont au contact des oeuvres. Nous avons aussi imaginé, avec Pôle Emploi, une action vers les chômeurs de longue durée :  nous les accompagnons pendant 6 mois en nous servant des oeuvres de la Galerie du Temps pour leur redonner confiance en eux. Et ça marche !

Que diriez-vous aux élus de CSE qui doutent de pouvoir intéresser les salariés à des activités culturelles ? Comment donner envie de culture ?

Dans la période que nous traversons, il me semble que nous avons tous besoin du beau, l'art, c'est un sas de respiration, c'est du bien-être. Il nous arrive parfois d'organiser des ateliers de yoga dans la Galerie du Temps, c'est très apaisant ! Quand vous êtes dans le musée du Louvre-Lens, dans la Galerie du Temps, vous comprenez que le mélange des cultures s'est fait depuis l'Antiquité, vous percevez cette ouverture de l'esprit et cette recherche commune du beau au travers des objets d'art.

On sous-estime l'impact de l'art, que ce soit sur les enfants ou les adultes 

 

 

J'ai un enfant de 7 ans, et je vois bien l'effet qu'a sur un enfant le fait de fréquenter un musée. Mais cela ne vaut pas que pour les enfants. On sous-estime souvent l'impact que l'art peut avoir sur notre travail professionnel. Quel que soit notre domaine d'activité, l'art peut améliorer notre façon de travailler. Par exemple, dans les visites que nous organisons parfois pour des entreprises, nous pouvons faire travailler un groupe sur les "postures managériales" en partant d'une statue grecque ou égyptienne ou d'une représentation picturale.  

Si des CSE d'autres régions voulaient organiser une visite à Lens pour voir le musée, que leur suggérez-vous comme autres activités ?

Il y a l'architecture art-déco à Lens, il faut aussi aller voir les terrils (**) où sont organisés des activités sportives, il y a bien sûr le tourisme de mémoire avec les sites de la Première guerre mondiale (comme Notre-Dame-de-Lorette), vous avez encore l'impressionnant centre historique minier de Lewarde, tout près d'ici, où vous voyez vraiment ce que cela représentait d'être mineur, de travailler dans ces conditions. La région garde d'ailleurs cette fierté d'avoir produit le charbon qui a chauffé la France. Et vous avez aussi des villes à voir comme Béthune, Arras, Lille, Boulogne avec son aquarium géant et un musée des beaux arts à l'incroyable collection d'égyptologie, puisque Auguste Mariette, qui a découvert le Scribe accroupi, était originaire de Boulogne...

 

(*) Le bâtiment a été conçu par l'agence japonaise Sanaa, avec le scénographie Adrien Gardère pour la Galerie du Temps

(**) Colline constituée de résidus de charbon et de déblais de l'extraction. 

 

► Le Louvre-Lens, 99 rue Paul Bert, 62 300 Lens. Tél : 03 21 18 62 62. E-mail pour les visites de groupe : reservation@louvrelens.fr

 

Bernard Domergue
Vous aimerez aussi