Dans la nuit du 7 au 8 février, deux mille personnes, essentiellement des habitants bénévoles, ont sillonné les rues de la capitale pour dénombrer les SDF et reconstituer leur histoire. La Nuit de la solidarité dont c'était la deuxième édition vise à améliorer les conditions d'accueil des gens à la rue. Nous avons suivi une équipe dans le 20e arrondissement de Paris.
20 heures dans la salle des fêtes de la mairie du 20e, ce 7 février. Une centaine de personnes sont assis sagement à l'écoute des conseils qui leur sont donnés. Tous ont répondu en moins de 48 heures à l'invitation de la ville pour la deuxième année consécutive. L'assistance est très mélangée en termes d'âge avec une grande fraction de 18-30 ans. Tous vont partir dans deux
heures passer au peigne fin les rues de l'arrondissement. Mais avant, il faut prendre la mesure de la complexité de la tache : comment recueillir des informations essentielles sur l'histoire des SDF, leur (sur)vie actuelle et leurs aspirations. Par exemple, "Attention aux doubles comptages" ou "On ne réveille pas une personne qui dort". Pour remplir le questionnaire constitué d'une vingtaine de questions ("où passez vous la nuit ?", "Depuis quand êtes-vous sans logement personnel ?", "Appelez-vous le 115 ?", "Comment est votre état de santé en général ?", etc.), les organisateurs demandent à la fois de la vigilance et du tact. "Quand les gens disent "je dors chez moi", faites-leur préciser s'il s'agit d'un squat ou d'un logement chez un tiers."
"La rue n'est pas une place pour les gens"
Les équipes se constituent ensuite, avec en général trois ou quatre bénévoles et un professionnel travaillant souvent pour la Ville. L'équipe 2020 (celle qu'on m'a proposé de suivre) rassemble Audrey, chef d'équipe et travaillant au centre d'action sociale de la ville de Paris (Casvp), Béatrice, Christine et Philippe. Ce dernier, habitant depuis trente ans dans l'arrondissement, raconte qu'il voit beaucoup de SDF près du canal Saint-Martin, là où il travaille. Il a déjà voulu s'inscrire pour participer à des maraudes, mais on lui a fait comprendre qu'il fallait être régulier, ce à quoi il ne pouvait s'engager. Il dit simplement : "La rue n'est pas une place pour les gens." Il y a là aussi Béatrice, la soixantaine alerte, pour qui "c'est une première approche des SDF. Elle raconte simplement qu'elle parle tous les
dimanches avec un migrant installé dans son quartier. Quant à Christine, la cinquantaine, elle reconnaît avoir été très circonspecte au début sur l'initiative de la municipalité, y voyant une démarche "électoraliste". Elle veut se faire sa propre opinion.
Interroger aussi les personnes qui marchent
A 22h, après avoir étudié la topographie du quartier dévolu à l'équipe 2020, celle-ci commence son inspection du secteur Ménilmontant, rue par rue. L'objectif est bien entendu d'aller au-devant des gens assis sur un banc ou un bout de trottoir, mais aussi d'interroger les personnes qui marchent et peuvent être sans domicile. Avec de sérieux risques d'erreur. Premières rencontres, premiers faux pas. "Vous dormez à la rue, Monsieur ?". "Non, je vis dans mon petit appart'. Il fait 9 m2". Du mal-logement donc, mais ce n'est pas le sujet...
Besoin d'un hébergement et d'aider les autres
22h30, rencontre avec le premier SDF qui stationne en bas d'un grand escalier (le quartier Ménilmontant est très accidenté). Nico, la bière à la main, réserve un bon accueil à l'équipe de bénévoles. Au fil de la discussion un peu décousue, on reconstitue son itinéraire. Agé de 41 ans, Nico a vécu à Alès (Gard) avant de venir à Paris pour aider sa soeur plongée dans une histoire de drogues. On apprend également qu'il a fait 5 ans de prison (1), qu'il est cuisinier et qu'il donne des coups de main (bénévolement ?) pour un restau associatif du quartier. A la question "appelez-vous le 115 pour trouver un hébergement ?", la réponse est très nette : "Le 115 ? Jamais, c'est dangereux. La rue, c'est moins dangereux que d'aller dans les hébergements du 115." Très prolixe, Nico raconte qu'un dossier pour la domiciliation est en cours et qu'il n'a aucune couverture maladie. Ses maigres ressources, il les gagne en faisant la manche. A la question "de quoi avez-vous besoin ?", il répond : "D'un hébergement et d'aider les autres".
"C'est ça, notre vie !"
Plus loin, une dame âgée demande une pièce, refuse de répondre aux questions. Même attitude de la part d'un homme d'une quarantaine d'années qui dit simplement qu'il est sans hébergement. Il est 23h30, la nuit reste douce et les propriétaires de chiens se donnent rendez-vous dans les rues. Vers minuit, on rencontre une femme âgée sur un banc, manifestement sans hébergement qui refuse de parler. Quelques centaines de mètres plus loin, un couple entre deux âges. La discussion s'engage tout de suite, sans obstacle. Comme s'il y avait un vrai soulagement à parler, à se confier. Nassim est arrivé à 19 ans de sa Tunisie natale pour vivre avec sa mère, s'est retrouvé à la rue quand elle est décédée. Un court passage en prison. Il vit du RSA et sa copine est en fin de droits chômage. Elle dort chez une amie et lui squatte une camionnette qui, dans la journée, fait des allers et retours avec Rungis. Il donne parfois un coup de main au proprio. Il a une assistante sociale avec qui il a fait un dossier CMU. D'ailleurs, il doit la voir le lendemain. "N'oubliez pas votre rendez-vous", lui glisse Béatrice. Arrive un jeune homme roumain qui squatte également un camion et qui, tout sourire, dans un français hésitant, dit : "C'est ça, notre vie." Pas très drôle, cette vie, même si ce soir-là, la météo est plutôt clémente...
(1) Le dernier rapport du mal-logement rédigé par la Fondation Abbé-Pierre était consacré entre autres aux problèmes de logement des sortants de prison (lire ici).