Obligation vaccinale : un avocat tente une QPC pour faire échec à la suspension du contrat de travail

Obligation vaccinale : un avocat tente une QPC pour faire échec à la suspension du contrat de travail

18.10.2021

Représentants du personnel

"Que vont dire les juges au sujet de l'obligation vaccinale et de l'obligation de passe sanitaire ?", demandions-nous cet été. Des jugements commencent à être rendus. Dans deux ordonnances datées du 12 octobre, les prud'hommes de Saint-Brieuc interdisent de façon préventive à un employeur de suspendre le contrat de travail d'une salariée non vaccinée et acceptent de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité, une QPC également transmise par le conseil de Troyes. Des ordonnances de tribunaux administratifs refusent en revanche de suspendre des suspensions et de transmettre des demandes de QPC analogues.

En arrêt de travail jusqu'au 5 novembre 2021, une secrétaire médicale de l'Association interprofessionnelle de la santé au travail des Côtes d'Armor (AIST22), reconnue comme travailleuse handicapée, refuse de se faire vacciner, alors qu'elle fait partie des personnels soumis à cette obligation selon la loi du 5 août 2021 sur la crise sanitaire (lire notre article). La salariée ne se présente pas comme "antivax", mais elle dit vouloir attendre la mise sur le marche d'un vaccin Sanofi pour satisfaire à son obligation. Son employeur ayant le droit, dès la reprise prévue de son travail, de suspendre son contrat de travail tant qu'elle ne s'est pas faite vacciner, la salariée entend s'opposer à cette possibilité.

La salariée veut voir son employeur interdit de la suspendre

Elle demande donc, en référé, au conseil des prud'hommes de Saint-Brieuc (Côtes d'Armor) de :

  • suspendre son obligation vaccinale jusqu'à la mise sur le marché du vaccin Sanofi ou jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel sur la question prioritaire de constitutionnelle qu'elle a soulevée;
  • faire interdiction à son employeur de suspendre son contrat de travail.

Parallèlement, la salariée introduit donc, par son avocat Emmanuel Ludot, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) visant à censurer la loi imposant le passe sanitaire et l'obligation vaccinale (1). Cette QPC est ainsi formulée : 

"Les dispositions de l'article 14-2 de la loi 2021-1040 du 5 août 2021 relatives à la gestion de la crise sanitaire sont-elles contraires au préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 qui rappelle l'engagement de la France de respecter ou faire respecter l'ensemble des conventions internationales en ce que les conventions internationales font interdiction à tout pays signataire de priver tout travailleur quel qu'il soit d'une rémunération, d'une protection sociale par différents artifices et notamment une suspension arbitraire du contrat de travail ?" 

Le conseil des prud'hommes, après avoir constaté que la loi ne précise pas la durée et l'issue de la suspension du contrat de travail faute de vaccination, décide, dans son ordonnance de référé du 12 octobre 2021, de suspendre l'application de l'obligation vaccinale faite à la salariée "jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel ou de la Cour de cassation", les prud'hommes faisant également interdiction à l'employeur de suspendre le contrat de travail de la salariée. 

Dans une deuxième ordonnance de référé datée du même jour, les prud'hommes de Saint-Brieuc transmettent à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité.

Une demande de QPC ciblant le respect des conventions internationales

Cette demande de QPC a également été transmise, le 5 octobre dans les mêmes termes, par le conseil des prud'hommes de Troyes. Ce dernier estime que sont réunies les conditions nécessaires à la QPC, autrement dit :

  • l'application de la loi au litige (suspension du contrat et loi sur la crise sanitaire);
  • l'absence de déclaration préalable de conformité (dans sa décision du 5 août, le Conseil constitutionnel n'a pas examiné l'ensemble des dispositions de la loi d'août dernier)
  • le caractère nouveau et sérieux de la question (le problème posé par les nouvelles mesures contraignantes de la loi du 5 août 2021).

 Dans cette affaire, le même avocat, Emmanuel Ludot, défend une salariée dont l'employeur, un foyer de vie, a suspendu le contrat de travail au motif qu'elle n'était pas vaccinée. 

On voit donc, comme nous l'avait prédit le juriste Luc Bérard De Malavas en juillet dernier, que des salariés et leurs conseils tentent de faire échec à la suspension du contrat de travail pour défaut de vaccination (ou de passe sanitaire) en contestant "la conventionnalité de la loi, c'est-à-dire le fait que la loi ne soit pas conforme aux dispositions des conventions et traités internationaux, un peu comme ce qui s'est produit avec le barème Macron limitant les dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse".

Pour le tribunal administratif de Grenoble, pas de sanction disciplinaire, pas de QPC

Reste à savoir si ces recours arriveront jusqu'au Conseil constitutionnel. Du côté du personnel relevant de la fonction publique, la justice administrative fait pour l'instant barrage. Ainsi, le tribunal administratif de Grenoble, saisi par une infirmière fonctionnaire, a refusé, dans une ordonnance de référé du 12 octobre, de transmettre une QPC visant "la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 12 à 19 de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 en ce qu’elles méconnaissent les articles 8 et 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et les articles 10 et 11 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946".

Il s'agit d'une mesure de sécurité sanitaire, pas d'une sanction disciplinaire 

 

Pour le juge administratif, la suspension décidée en application de l’article 14 de la loi du 5 août 2021 constitue "une mesure prise dans l’intérêt de la sécurité sanitaire et n’a donc pas le caractère d’une sanction disciplinaire". Aussi l'infirmière ne peut-elle invoquer "la méconnaissance des articles 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen par les dispositions législatives litigieuses" ni davantage "la méconnaissance d'un « droit aux moyens de subsistance » en ce qu'il ne constitue pas un droit ou une liberté que la constitution garantit". Pour le tribunal administratif qui semble s'aligner sur la position du Conseil constitutionnel du 5 août dernier (lire notre encadré), la question soulevée ne présente donc pas de caractère sérieux et il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil d'Etat.  

L'infirmière contestait la mesure de suspension du contrat de travail et de sa rémunération décidée par son centre hospitalier au vu de son schéma vaccinal incomplet, et l'assimilait à une sanction disciplinaire constituant une discrimination dans l'accès au travail.  Elle est déboutée, le juge administratif refusant de considérer la suspension comme une sanction disciplinaire, l'assimilant à "une mesure prise dans l’intérêt de la sécurité sanitaire".

Mais ce n'est pas la seule décision allant dans ce sens. Dans une ordonnance du 13 octobre 2021, le tribunal administratif de Versailles a également repoussé la demande d'un soignant dont le contrat de travail avait été suspendu, et refusé dans la foulée de transmettre une QPC à ce sujet pour défaut d'urgence. "Le seul fait que l’agent se retrouvait privé de sa rémunération du fait de la décision en cause ne pouvait suffire, à lui seul, pour justifier l’existence d’une situation d’urgence alors que cette perte de rémunération procédait directement et exclusivement du refus de l’agent de se soumettre à l’obligation vaccinale contre la covid-19 et que l’agent ne fournissait aucun motif à ce refus", écrit le juge administratif.

Ne pas avoir de salaire ne suffit pas à caractériser une situation d'urgence 

 

Dans une autre affaire impliquant un personnel non vacciné mais en arrêt de travail, le tribunal administratif de Besançon a également refusé le 13 octobre d'annuler la suspension du contrat de travail de l'aide-soignante décidée par son hôpital. Le juge estime que la loi du 5 août 2021 n'a pas opéré de distinction, s’agissant de l’obligation vaccinale qu’elle édicte, "selon que les fonctionnaires concernés seraient, ou non, en congé de maladie". En conséquence, "lorsque des fonctionnaires bénéficiaient, à la date du 15 septembre 2021, d’un congé de maladie ordinaire mais n’ont pas justifié, à cette même date, avoir satisfait à l’obligation vaccinale contre la covid 19 alors qu’ils y sont soumis, l’administration a le droit de les suspendre de leurs fonctions et d’interrompre le versement de leur rémunération". Une décision qui paraît contradictoire avec la position des prud'hommes de Saint-Brieuc. Le feuilleton n'est donc pas terminé...

(1) La QPC peut être soulevée devant toutes les juridictions, sauf la Cour d'assises. Quand elle est soulevée en première instance, la QPC est directement transmise à la Cour de cassation ou au Conseil d'Etat qu décide, ou non, de transmettre cette demande de censure au Conseil constitutionnel.

Dans une autre affaire concernant un ambulancier dont le contrat de travail a été suspendu, les prud'hommes de Versailles devaient rendre leur jugement le 5 novembre.

 

La décision du Conseil constitutionnel du 5 août 2021 

Dans sa décision du 5 août dernier, le Conseil constitutionnel a écarté l'hypothèse d'une censure de l'obligation vaccinale ou de passe sanitaire au regard du 5e alinéa du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, selon lequel :

« Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». Aux termes du onzième alinéa du même Préambule, la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

Pourquoi, selon le Conseil constitutionnel, l'obligation vaccinale et de passe sanitaire ne contrevient pas à ces valeurs ? D'une part, parce que cette mesure poursuit "un objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé" et, d'autre part, parce qu'il s'agit d'une mesure bornée dans le temps (jusqu'au 15 novembre) et qu'elle peut s'accompagner de modalités d'adaptation temporaire (utilisation d'un congés, entretien en vue d'un reclassement par ex.) prévues par le législateur.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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