Le rapport d'information sur la prévention spécialisée vient d'être rendu par la députée Kheira Bouziane-Laroussi. Il pointe les risques d'abandon pour ce secteur alors même que les besoins des jeunes sont de plus en plus criants. Le rapport demande une clarification des missions et des financements, en réaffirmant le rôle central des départements.
"La prévention spécialisée est aujourd'hui menacée et fragilisée". Cette formule n'émane pas du comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée (CNLAPS) ou de la Cnape. Elle est signée par la députée Kheira Bouziane-Laroussi (PS) qui vient de remettre un rapport d'information au titre de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. Le constat n'est pas nouveau (de nombreuses sonnettes d'alarme ont été tirées suite au retrait de financements de nombreux départements), mais il prend un sens plus officiel avec un rapport venant d'une institution de la République. Lequel n'y va pas avec le dos de la cuillère.
"Problème d'égalité entre les territoires"
La mission dénonce, en effet, l'accroissement des disparités territoriales dans l'allocation des moyens pour faire face "aux difficultés croissantes de notre jeunesse". "Si la nature même de la prévention spécialisée implique que son action épouse les contours du territoire où elle déploie pour s'adapter aux réalités sociales, l'ampleur des écarts actuels en matière de financement qui tendent à se creuser en raison de stratégies divergentes, pose un véritable problème d'égalité entre les territoires." A l'appui de ce constat, quelques chiffres. Selon l'ADF, 26 départements envisageaient en 2016 de réduire leurs financements en la matière, dont dix dans des proportions supérieures à 20 %. Dans l'Yonne et le Loiret, les équipes de prév' ont totalement disparu du paysage.
Attention à ne pas trop charger la barque !
L'enjeu financier n'est pas le seul, affirment le rapport. La priorité donnée à la prévention spécialisée indique également un choix politique. "La réponse sécuritaire ne peut être la seule réponse aux difficultés des jeunes marginalisés", explique-t-il. Mais il ne suffit pas d'injecter de l'argent et de sortir d'une grille de lecture ultra-sécuritaire, encore faut-il piloter cette politique au niveau national. La députée espère que les promesses faites par les ministres des familles (Laurence Rossignol) et de la jeunesse (Patrick Kanner) de mieux définir la prévention spécialisée (un terme qui remonte à l'arrêté du 4 juillet 1972) vont se traduire dans les faits. Car, soutient Kheira Bouziane, "les éducateurs sont attendus pour orienter en matière de santé publique, pour agir sur un nouvel espace comme internet ou encore pour prévenir la délinquance ou la radicalisation." Attention, dès lors, à ne pas charger trop la barque et à s'assurer que les professionnels sont formés en conséquence.
Ne pas réduire la prév' à la politique de la ville
La loi Notre n'a sans doute pas rendu service à la prévention spécialisée. En la faisant passer dans le giron des métropoles là où elles existent, ce texte de 2015 contribue à la faire sortir du domaine de la protection de l'enfance pour aller vers celui des politiques jeunesse et singulièrement de la lutte contre la délinquance. D'où un risque de dualité entre les territoires où les départements (quand ils n'ont pas jeté l'éponge) continuent à intégrer ces politiques dans le cadre des politiques de l'enfance et les territoires où les métropoles risquent de les identifier étroitement aux politiques de la ville. Le rapport reprend de larges extraits de l'entretien que nous avait accordé François Chobeaux, responsable aux Cemea : "Faire de la médiation; de l'aide aux devoirs, de l'animation pour enfants, c'est passionnant, mais est-ce bien la mission de la prévention spécialisée ?" (lire l'entretien in extenso paru en 2016).
Rendre plus visible et clarifier
Après le temps des constats (assez accablants), celui des recommandations. Retenons-en quelques-uns. Suite à la suppression, jugée regrettable, en 2015 du Conseil technique des clubs et équipes de prévention spécialisée (CTPS), le rapport souhaite que soit créée au sein du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) une commission permanente chargée de la prév'. Il demande également la publication d'un "texte réglementaire définissant les orientations doctrinales fondamentales et précisant le positionnement de la prévention spécialisée.
Affirmer l'échelon départemental...
Tout cela est finalement assez secondaire par rapport à la grande question : qui finance ce secteur ? Pour la parlementaire de Côte d'Or, pas de doute : le département reste l'échelon le plus pertinent. Cela permet de maintenir l'ancrage de la prévention spécialisée dans les politiques de protection de l'enfance. Sans condamner l'expérience de la m��tropolisation, la mission demande la plus grande vigilance, notamment sur l'éventuelle réorientation des missions vers de la prévention de la délinquance et le possible rabotage des financements.
... et demander à l'Etat d'assumer ses responsabilités
L'Etat est rappelé, lui aussi, à ses obligations. il ne finance actuellement que pour 3 % le budget de la prévention spécialisée. Or "si en matière de lutte contre la délinquance et la radicalisation notamment, les pouvoirs publics estiment que les éducateurs apportent une réponse adéquate, il est urgent de faire croître la participation financière de l'Etat", écrit Kheira Bouziane-Laroussi. il faut donc aller vers de la contractualisation pluriannuelle et "prévilégier les CPOM par rapport aux appels à projets".
Réécrire le Code de l'action sociale
En direction des départements, le rapport rappelle cette évidence : "Dès lors qu'un département habilite à l'aide sociale une équipe de prévention spécialisée, il est tenu de la financer." Et pour couper l'herbe sous le pied aux départements qui allèguent que cette mission de prév' n'est pas explicitement mentionnée comme obligatoire, la parlementaire demande une réécriture du code de l'action sociale et des familles pour éviter toute ambiguïté et permettre aux structures en conflit avec des départements qui retireraient l'habilitation de saisir plus facilement le juge. Reste maintenant à mettre en musique ce rapport ambitieux. Ce sera l'affaire de la prochaine majorité... ou pas.
D'autres idées (petite sélection) |
Le rapport Bouziane contient quelques idées plus ou moins iconoclastes, parmi lesquelles :
- permettre aux éducateurs de participer aux instances de pilotage des structures sanitaires et en promouvant la création de structures-relais pour les publics communs
- mieux prendre en compte la spécificité de la prévention spécialisée en développant des contenus spécifiques notamment en fin de cursus
- mieux faire connaître l'initiative des Promeneurs du net (lire notre reportage) aux départements et aux structures de prévention.
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