Organisation du travail et du dialogue social : où en sont les entreprises et les syndicats ?
15.11.2022
Représentants du personnel

Va-t-on vers une organisation du travail mariant durablement le travail présentiel et le télétravail ? Pas simple de répondre à cette question, tant les accords et les usages diffèrent d'une entreprise à l'autre et tant les nouvelles attentes des salariés bousculent les entreprises comme les syndicats.
A écouter les intervenants du débat (*) organisé en soirée le lundi 14 novembre à La Défense, près de Paris, par l’association Réalités du dialogue social (RDS), l'impression d'incertitude est tenace : qui diable sait où va le monde du travail en matière d'organisation du travail mais aussi de dialogue social ? La situation héritée de la crise sanitaire, avec la montée en force du télétravail, ne laisse pas d'interroger : les entreprises vont-elles s'engager durablement dans une organisation du travail hybride, mi-télétravail et mi-présentiel ? Nombre d'entre-elles ne demandent-elles pas aux salariés de revenir sur site ? Le dialogue social, qui avait basculé en mode visio voire audio pendant la crise sanitaire, va-t-il retrouver un équilibre entre réunions physiques et réunions à distance ?
Une chose est sûre : les usages ont basculé, et ces nouvelles pratiques bousculent les acteurs du monde professionnel. "Auparavant, les salariés pouvaient s'informer sur leur entreprise auprès de leur employeur, auprès des syndicats ou auprès des autres salariés, dans le couloir. Aujourd'hui, le premier canal d'information des salariés, ce sont les réseaux sociaux. Les salariés diffusent sur les réseaux, de façon un peu anarchique, des infos sur leur entreprise, et sans avoir conscience des risques qu'ils prennent, car certains salariés sont poursuivis devant le juge", notre Yann-Mael Larher, avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit du travail et du numérique.

Et le positionnement des acteurs a lui-aussi changé du fait du numérique. "Qui aurait dit hier qu'un élu du CSE préférait avoir une réunion à distance afin de pouvoir étendre sa lessive lors d'une pause ? Ou qu'on pouvait avoir une guéguerre à l'intérieur d'une équipe syndicale sur la question du distanciel et de la visio ?" s'étonne Jérôme Chemin, secrétaire général adjoint de la CFDT-Cadres, qui témoigne à sa façon des nouvelles pratiques hybrides en matière de dialogue social : "Quand vous avez une réunion avec des personnes dans la salle et des gens en visio, vous devez quand même lever la main jaune sur l'application numérique pour prendre la parole, même si vous êtes présent dans la salle !".
Ce dernier ne cache d'ailleurs pas son inquiétude quant au syndicalisme de demain : "Je suis très inquiet pour les élections professionnelles, pas les prochaines car nous allons y arriver, mais pour les suivantes. Comment pourrons-nous faire du syndicalisme si plus personne ne se retrouve ensemble dans l'entreprise ? Les mandats très lourds liés au CSE rendent le recrutement de salariés difficile. Il nous faudrait pouvoir faire un dialogue social décentralisé, dans l'établissement".
La situation interpelle aussi Matthieu Trubert, délégué syndical Ugict-CGT de Microsoft : "Je fais un parallèle entre les collectifs de travail et les collectifs syndicaux : tout est bouleversé, on a des réunions en visio qui s'enchaînent sans pauses sociales, sans temps morts. Et la mise en place de nouveaux outils de communication n'a pas été réfléchie collectivement". Et ce dernier de revendiquer de nouveaux droits syndicaux pour pouvoir communiquer avec les salariés : "Nous pouvons créer un climat de confiance pour faire venir à nous les salariés, mais nous ne pouvons pas faire de la communication en s'adressant directement à eux".
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
Quant au contenu des accords sur le télétravail produit par la négociation, il diffère beaucoup d'une entreprise à l'autre, selon Jérôme Chemin, qui avoue être même confronté aux demandes de salariés souhaitant "un télétravail cinq jours par semaine". C'est que nous sommes passés, dit le syndicaliste, à une nouvelle phase dans l'organisation du travail dans certaines entreprises. "Nous sommes dans une vague de généralisation du flex office : vous n'avez plus de place attitrée au bureau, vous devez trouver un endroit, un bureau, une salle, une cabine téléphonique, une cafétéria. Si les conditions d'accueil sont plus difficiles pour les salariés, ces derniers ont tendance à ne plus venir au bureau, et un cercle vicieux peut se mettre en place : l'employeur constate qu'il reste des places disponibles, donc on peut encore les réduire !"
Si l'on met de côté le coût de l'énergie (qui pose aussi la question de l'actualisation des frais du télétravail), pourquoi continuer de venir au bureau ? La réponse de Pauline De Becdelièvre, maître de conférences à l'Ecole normale supérieure (ENS) de Paris-Saclay, n'est pas très rassurante : "A-t-on aujourd'hui besoin d'autant de salariés ? Pas forcément ! Des syndicats ? Pas forcément ! Il se dessine un projet d'entreprise en réseau, avec peu de salariés mais avec des prestataires".

Pour sa part, Jérôme Chemin considère qu'il faut désormais négocier non pas seulement des accords sur le télétravail, mais aussi des accords portant sur l'organisation du travail sur site (**) : "L'organisation du travail est la chasse gardée des employeurs. Mais nous devons négocier sur ce sujet. Les salariés ont besoin de se retrouver et d'échanger : que peut leur proposer l'employeur pour les inciter à venir sur place ? Le présentiel doit demeurer la norme mais comment peut-il rester un réflexe naturel ?". Et le syndicaliste de donner un élément de réponse : "La Covid a renvoyé les gens chez eux et les a confrontés à une forme d'inégalité sur les conditions de leur télétravail. Au moins, le bureau offre une forme d'équité !"
Ces perspectives risquent d'accuser les différences entre les entreprises au regard des tensions sur le marché de l'emploi, selon Anne Fourneau, directrice Support au développement d’AXA Santé & Collectives : "La situation risque d'être difficile pour les petites entreprises car elles auront du mal à répondre aux demandes des candidats qui aspirent à télétravailler dans de bonnes conditions, et à leur offrir les bons outils". Mais pour des entreprises comme Axa, la situation est déjà bien appréhendée, croit-on comprendre en écoutant Anne Fourneau : "Nous avons un accord télétravail depuis 2016. Depuis la fin de la crise sanitaire, 100% de nos collaborateurs travaillent de façon hybride avec 3 jours de télétravail par semaine. Cette situation est bien sûr plus complexe à gérer pour les managers de proximité, qui ont perdu leurs repères et qui doivent animer leurs équipes, veiller à la charge de travail et aux risques psychosociaux dans un mélange de présence et de télétravail. Il va falloir transformer la culture managériale pour s'approprier cette hybridité".
Reste que si la place du dialogue social dans cette nouvelle configuration du monde du travail n'est pas assurée, tout n'est pas perdu : l'Essec a remis au programme il y a quelques années ses modules sur le dialogue social qui avaient disparu, confiait, en début de réunion Aurélien Colson, le directeur de l'Essec, la grande école de commerce qui accueillait lundi dans ses locaux de la Défense les débats de RDS...
(*) L'association Réalités du dialogue social (RDS), qui réunit des représentants des employeurs et des organisations syndicales, organise en ce moment une série de débats sur le dialogue social, parfois retransmis en visio. Voir le programme ici
(**) Voir notre article sur les conseils de l'Anact sur le travail hybride dans les PME
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