Nous vous proposons régulièrement les chroniques des membres du comité des CE auprès du Conseil supérieur de l'Ordre des experts comptables. Aujourd'hui, Jeanne Hominal, expert-comptable, et Sylvie Alleno, chargée de mission à l'Ordre des experts-comptables, analysent un arrêt de la cour d'appel de Lyon du 8 janvier 2016 concernant les informations que l'employeur doit mettre à disposition du CE pour la consultation sur les orientations stratégiques.
Dans le cadre des dispositions de la loi du 14 juin 2013 dite de « sécurisation de l’emploi », une entreprise privée investie d’une mission de service public et filiale d’un groupe, avait engagé une procédure d’information et de consultation concernant les orientations stratégiques de l’entreprise en juin 2014.
A la réunion d’information, les élus du CE relevant le manque d'information, l'absence de remise du bilan social 2013 et de la base de données économiques et sociales (BDES), avaient voté à l'unanimité le recours à un expert-comptable. Celui-ci transmettait dans les jours suivants à l’employeur sa lettre de mission accompagnée d'une liste de ses demandes de documents et d'informations, dont certains portant sur la stratégie du groupe.
L’employeur, considérant qu'une partie de cette demande excédait de manière manifeste le périmètre de sa mission exclusivement dédiée à l'examen des orientations stratégiques de l'entreprise, et non au niveau du groupe, devait se contenter de répondre partiellement à cette demande.
C’est dans ce contexte que le CE avait saisi en référé le tribunal de grande instance de Lyon (soutenu par l’intervention volontaire de la société d’expertise comptable) qui, statuant par ordonnance, enjoignait à l’employeur de communiquer les documents et informations relatives aux activités du groupe en prolongeant pour une durée de deux mois, à compter de leur remise, le délai de consultation du comité d'entreprise pour émettre un avis sur les orientations stratégiques de l’entreprise.

La direction faisait appel de cette décision, en avançant, parmi ses arguments, les suivants :
- Que la consultation sur les orientations stratégiques de l'entreprise ne saurait en aucun cas être l'occasion d'investiguer la situation ou la stratégie du groupe auquel elle appartient, quand bien même celle-ci impacterait, directement ou indirectement, l'activité et le fonctionnement de l'entreprise;
- Qu’en l’espèce, en outre, exécutant une convention qui la lie pour une durée de six années de 2011 à 2016, sa stratégie ne peut tendre qu'à en assurer une exécution conforme, seule de nature à permettre son renouvellement et, par conséquent, la pérennité de l'entreprise, de sorte que cette stratégie qui lui est propre n'est en rien influencée par le groupe;
- Qu’enfin, le champ d'intervention de l'expert-comptable du comité d'entreprise étant précisément circonscrit par l'article L 2323-7-1 du code du travail, aux orientations stratégiques de l'entreprise, s’agissant d’une expertise spécifique et dérogatoire, la demande de l’expert-comptable avait manifestement dépassé le cadre de sa mission.
Le CE, pour sa part, demandait à la cour d’admettre que l’employeur n'avait pas respecté les prérogatives du CE dans le cadre du processus d'information et de consultation sur les orientations stratégiques de l'entreprise et d’ordonner la mise à sa disposition d’une BDES conforme aux articles L 2323-7-2 et R 2323-1-3 du code du travail, notamment en ce qu'elle doit comporter des données prévisionnelles, a minima, pour les années 2014 à 2016.
Le cabinet d’expertise comptable quant à lui, réaffirmait son droit de mener des investigations au niveau du groupe, considérant qu’il lui était impossible de mener à bien sa mission d’expertise, faute d’informations sur le groupe qui arrête lui-même les orientations stratégiques de ses filiales.
Dans cet arrêt clairement motivé, la cour d’appel a pris position sur plusieurs points, que nous développons ci-dessous.
La cour en effet relève que :
- La note d'information stratégique est purement descriptive, ne comportant aucune information précise sur les moyens de parvenir à la réalisation de ses objectifs ou les conséquences attendues sur l'évolution des métiers et des compétences au sein de l'entreprise, ainsi que sur l'organisation du travail et, plus généralement, sur l'emploi, de sorte qu’il est impossible pour le lecteur de mesurer l'importance et l'impact réel des nouvelles informations qui lui sont transmises;
- Si la BDES mise à disposition des élus reprend tous les thèmes obligatoires, elle ne contient aucune donnée prévisionnelle pour les années 2014 à 2016 concernant la situation de l'entreprise, les investissements matériels et immatériels, les fonds propres, l'endettement et les impôts, la rémunération des financeurs, les flux financiers destination d'entreprise, la sous-traitance, les transferts commerciaux et financiers entre les entités du groupe;
- En s’abstenant d’expliciter les données chiffrées précitées, et en ne souhaitant manifestement pas exposer de manière précise les grandes tendances d’évolution sur la période triennale, ni même à préciser à ses interlocuteurs les raisons pour lesquelles elle n’était pas en mesure d’avancer les chiffres manquants, la société n’a respecté ni les termes, ni l’esprit des dispositions de la loi de « sécurisation de l'emploi ».
Était en jeu, dans le cadre de ce contentieux sur une nouvelle mission issue de la loi du 14 juin 2013, le périmètre du droit à l’information de l’expert-comptable. La société arguait du fait que s’agissant d’une mission nouvelle, dont l’objet était, de son point de vue, strictement défini par le code du travail et limité à l’entreprise, l’expert-comptable n’avait pas droit à communication de documents concernant le groupe.
Or, la cour rappelle à cette occasion les principes établis par la jurisprudence, à savoir que le droit à communication de l’expert-comptable ne se limite pas dans le cas d’une société appartenant à un groupe aux seules données de l’entreprise, mais il peut, lorsqu’elles sont nécessaires à la bonne compréhension de la situation de l’entreprise, avoir accès à des données relatives au groupe :
L’arrêt l’exprime clairement :
« Si le périmètre d'intervention de l'expertise comptable objet de la présente procédure (consultation sur les orientations stratégiques de l'entreprise) est clairement celui de l'entreprise, la société d'expertise comptable qui dispose des mêmes pouvoirs que le commissaire aux comptes selon les dispositions de l'article L2325-37 du code du travail, ne saurait dans ces conditions se voir refuser les éléments d'orientation stratégique du groupe auquel appartient la société, lesquels lui sont manifestement indispensables, dans le contexte décrit (très forte imbrication de la société mère et ses filiales ) pour comprendre les orientations stratégiques de cette dernière et répondre à la mission qui lui a été confiée par le Comité d'entreprise. »
Cet arrêt confirme qu’en ce domaine, la jurisprudence antérieure afférente à des missions définies dans un autre cadre légal, trouve bien à s’appliquer. Rappelons que l’accès de l’expert-comptable aux comptes (et autres documents utiles) de la société mère, des filiales, des divisions ou branches du groupe dans lequel la société est intégrée, a été admis par plusieurs arrêts soit de cours d’appel, soit de la Cour de Cassation, qui se réfèrent à la notion d’entreprise définie comme un « ensemble économique sur lequel est exercé le pouvoir de direction ».
Il en sera vraisemblablement de même pour les missions d’expertise comptable définies par la loi du 17 août 2015, missions portant sur « la situation économique et financière », et sur « la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi » telles que prévues à l’article L2325-35 du code du travail dans sa nouvelle définition.
Une consultation ne peut débuter que si les obligations d’informer sont remplies.

Rappelons que la consultation sur les orientations stratégiques est encadrée par un délai qui, en l’absence d’accord, est de deux mois à compter de la communication par l’employeur des informations prévues au code du travail. La Cour énonce que ce délai ne commencera à courir qu’à compter de la communication par l’employeur d’une base de données économiques et sociales, conforme aux articles L 2323-7-2 et R2323-1-3 du code du travail. Le juge peut donc, en cas de carence manifeste de l’information communiquée aux élus, rendre inopposable aux élus et à l’expert-comptable le délai de deux mois pour émettre un avis, et fixer un nouveau point de départ du délai de consultation.
Il s’agit là d’un arrêt dont l’intérêt est d’abord de poser le droit à l’information du comité d’entreprise dans le cadre des informations-consultations, et celui des délais dans lesquels elles sont encadrées. En outre, il place le droit à communication des experts-comptables en ce qui concerne les nouvelles missions issues soit de la loi du 14 juin 2013, soit de la loi du 17 août 2015, dans la lignée des jurisprudences antérieures. Ceux-ci pourront ainsi assurer leur mission sur la base de documents et d’informations adaptés.
Créé par l'ordonnance de 1945 et placé sous la tutelle du Ministère de l'Economie, des Finances et du Budget, l'Ordre des Experts-comptables a pour mission de représenter, défendre, valoriser les professionnels et les accompagner dans leur développement, tout en étant le garant éthique de la profession d'expert-comptable. L'Ordre est représenté par le Conseil supérieur composé de 66 membres. |
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Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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