Peut-on, à partir d'un bagage technique, se tourner vers les métiers de l'accompagnement social ? Oui, c'est possible en suivant la formation d'éducateur technique spécialisé. C'est l'histoire de Lou Beurlangey, étudiant à l'Irtess de Bourgogne. Il nous la raconte dans le cadre de notre série de portraits d'étudiants en travail social.
Jamais Lou Beurlangey ne se serait imaginé travailler un jour dans un établissement pour travailleurs handicapés. Tout simplement parce qu'il ne connaissait pas ce secteur. Il avait suivi un parcours classique de bachelier scientifique, avait bifurqué vers une fac de géographie ("j'avais envie de découvrir cet univers étudiant") pour abandonner très vite. S'interrogeant sur ce qu'il a envie de faire, il s'était découvert une attirance pour les métiers manuels et au grand air. Et engagé dans un BTS paysagiste. "J'avais trouvé quelque chose qui m'accroche", dit-il.
"Coup du destin" dans un Esat
En revanche, il est vite déçu par les perspectives professionnelles d'évolution. "Avec mon BTS, je me suis retrouvé simple ouvrier paysagiste, dans le cadre de CDD, sans aucune perspective de devenir rapidement chef d'équipe". Arrive le remplacement d'un moniteur d'atelier dans un Esat dijonnais. C'est "le coup du destin", selon son expression. "J'ai trouvé quelque chose qui me plaisait qui alliait un travail à l'extérieur et l'encadrement d'une équipe de travail." Et pour lui, c'est la première fois qu'il approche le monde du handicap. Il est tout de suite emballé par cette possibilité de transmettre son savoir. Mais travailler avec des personnes présentant des déficiences intellectuelles requiert des trésors de pédagogie. Lou semble y trouver beaucoup d'appétence.
"Comment être à l'écoute de l'usager?"
Tout naturellement, pour asseoir sa compétence, Lou se tourne vers la formation d'éducateur technique spécialisé dispensée par l'Irtess de Bourgogne. "Dans notre promotion d'une vingtaine de personnes, la plupart des étudiants ont déjà une expérience technique. D'ailleurs, toute les tranches d'âge y sont représentées, de 25 à 55 ans." Lou est donc le benjamin de sa promotion.
Ce qu'il apprend pendant cette formation par alternance (une semaine de cours suivie de trois semaines sur le terrain), c'est toute sa dimension d'accompagnement. "Comment être à l'écoute des usagers ? C'est bien la question qui nous est posée. Le projet que nous devons construire doit bien être celui de l'usager, pas de l'éducateur."
Au cours de cette formation, les enseignements sont, pour partie, communs avec ceux reçus par les éducateurs spécialisés (en matière de psychologie par exemple), mais aussi orientés vers les spécificités de cet accompagnement, avec des apports sur la gestion de production.
"Des éducateurs couteaux suisses"
Au cours de sa première année de formation, Lou a effectué un stage de deux mois dans un Sessad où il travaille avec des jeunes présentant des troubles du comportement. Là aussi, il s'agit de construire de l'accompagnement à travers une activité manuelle. "Nous sommes des éducateurs couteaux suisses, précise-t-il. Si le jeune veut faire de la maçonnerie, nous devons nous y adapter." Ce stage va le confirmer dans son envie de travailler avec ce public adolescent.
Le reste du temps, Lou travaille dans cet Esat qui emploie 150 personnes réparties sur cinq sites (espaces verts, blanchisserie, restauration, etc.). Au cours de sa troisième année de formation, il doit repérer une problématique professionnelle à partir de laquelle il va produire un mémoire. "J'ai choisi de me pencher sur les documents de formation qui récapitulent les démarches, les procédures pour arriver à l'objectif fixé avec le travailleur handicapé. Certains documents n'existent pas ou sont obsolètes, ne répondant plus aux besoins ", explique-t-il.
Un nouveau public qui désoriente les professionnels
En effet, le public accueilli dans les Esat a profondément changé depuis quelques années. Aux personnes présentant des déficiences intellectuelles s'est agrégée une autre catégorie souffrant de troubles psychiques. Ces derniers disposent souvent de potentialités intellectuelles plus importantes, mais aussi de difficultés à trouver leur place dans une organisation collective. "Beaucoup de collègues, souvent plus âgés, ont beaucoup de mal avec ce public qui s'exprime avec vulgarité et présente des troubles du langage", explique Lou.
Une équation de plus en plus difficile
En fait, le personnel encadrant des Esat qui a d'abord été formé pour gérer des activités, se trouve souvent débordé par des attitudes irrationnelles qui supposent un gros travail d'accompagnement. Or, poursuit Lou, "nous sommes confrontés à une grave difficulté : les contraintes économiques sont de plus en plus lourdes alors que le public accueilli est de plus en plus difficile." La réponse à cette équation n'est pas simple. "Nous essayons de mettre en place des parcours de formation autour d'items à valider comme la ponctualité, le rythme de travail à soutenir ou l'hygiène", détaille-t-il.
"Avant, j'agissais à l'instinct"
Quand on lui demande si le Lou d'aujourd'hui est le même que Le Lou d'avant la formation, il n'hésite pas un instant. "Je n'agis plus à l'instinct. Avant, lorsque intervenaient des conflits, j'avais tendance à créer un rapport physique. En fait, cette forme d'intimidation me mettait souvent en difficulté." Aujourd'hui, son regard a changé, explique-t-il dans la vidéo. Et les discussions avec ses collègues de formation ont joué un grand rôle dans ce mûrissement.
Il porte cependant quelques critiques sur la formation, la jugeant trop longue ("La 3e année, on a hâte d'arriver au bout") et se demandant si certains cours sont totalement nécessaires. En tout cas, on ne pourra pas reprocher à cette formation d'avoir bridé l'esprit critique de Lou.
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Le 9 octobre : Coralie, passion EJE (lire ici)
Le 16 octobre : Aurélien, un homme dans un "monde de femmes" (lire ici)
Le 23 octobre : Julien ou la passion pour les jeunes "cabossés" (lire ici)
Le 30 octobre : Emilie, l'AS qui voulait changer le monde (lire ici)
Le 6 novembre : Yoann, en Deis et en quête de sens (lire ici)
Le 13 novembre: Ophélie, le travail social sans tabou (lire ici)
Le 20 novembre : Céline, assistante sociale sur le tard (lire ici)
Le 27 novembre : Ornella ou le choix de l'ouverture (lire ici)
Le 4 décembre : Laurène, le social à fleur de peau (lire ici)
Le 11 décembre : Flore, un double cursus sinon rien (lire ici)
Le 18 décembre : Delphine, dans le quotidien des familles (lire ici)
Le 23 décembre : Stéphanie, dans la peau d'un chef de service (lire ici)
Le 8 janvier : Ludovic, un CESF en entreprise (lire ici)
Prochain portrait :
Anne-Laurie, en formation d'animation socio-culturelle à l'IUT de Bobigny