Après avoir raconté le parcours de deux futurs EJE, d'un éducateur spécialisé et d'une assistante sociale, nous avons rendez-vous avec un professionnel de 33 ans qui termine son diplôme d'Etat d'ingénierie sociale (Deis). Yoann raconte ses motivations, les sacrifices qu'il a dû faire et les changements que cette formation a suscités dans sa façon d'exercer ses fonctions.
Pas facile, après trois années de bouillonnement intellectuel, de résumer un parcours en quelques minutes a fortiori devant une caméra ! Même s'il a accepté sans difficulté de nous rencontrer dans le 18e arrondissement de Paris, Yoann sait que l'épreuve de l'interview n'est pas exempte de risques de raccourcis et d'approximations. Il choisit dès lors ses mots avec prudence et réfléchit quelques secondes avant de glisser sa réponse.
Mobilisation intellectuelle
Car Yoann se sent un professionnel différent depuis qu'il a achevé son mémoire clôturant le diplôme d'Etat d'ingénierie sociale (Deis) suivi à l'université de Paris Est - Créteil (Paris 12). Non pas qu'il ait reçu je ne sais quelle révélation, mais cette mobilisation intellectuelle lui a permis d'ébranler ses certitudes et de voir le métier, les "missions", autrement.
Au départ, il y a un jeune Picard ("citadin", précise-t-il) qui, après s'être exercé à l'animation, s'interroge sur le sens donner à son activité professionnelle. "J'ai compris que je voulais accompagner les gens", résume-t-il. Donc le voilà intégrant en 2006 l'Irffe d'Amiens où il prépare le concours d'éducateur spécialisé.
Liens forts avec les magistrats
Pendant un stage, il découvre le travail en Mecs, ces maisons d'enfants à caractère social. C'est dans le cadre de l'association de protection de l'enfance de la Somme qu'il va faire ses premières armes. "J'ai beaucoup appris de mes rencontres avec les partenaires", explique-t-il, vantant "les liens très forts" noués avec les magistrats.
Après quelques années d'activités professionnelles intenses ("quand il s'agit de trouver une solution pour un gamin, il n'y a pas d'heure de fin pour le travail"), une idée fait son chemin dans la tête de Yoann : repartir en formation. "J'ai besoin de comprendre ce qui se passe en profondeur, de sortir d'une lecture médiatique des réalités", résume-t-il. Alors il se renseigne, prend des contacts et s'oriente vers un Deis qui correspond bien à sa volonté d'aller à la racine des choses.
Concilier toutes les contraintes
Mais comment financer un pareille formation dont le coût (12 000 à 13 000 euros sur trois ans) est difficilement supportable pour un professionnel ? Après un premier refus, Yoann obtient l'accord pour une prise en charge dans le cadre du congé individuel de formation (CIF). Reste à faire concilier les contraintes du travail dans une structure de travail social et les exigences de cette formation. Concrètement, en effet, la formation a lieu tous les vendredis et elle exige de l'étudiant des vrais sacrifices personnels. "Il faut être constant dans l'effort pendant trois ans", précise Yoann qui vous raconte les affres de la ligne de train entre Amiens et Paris...
Exploration d'une tour
Difficile de résumer en quelques phrases le contenu d'une formation qui mêle enseignements des sciences sociales, travail de terrain et rédaction d'un mémoire costaud autour d'une problématique. Yoann a été particulièrement marqué par l'étude de terrain réalisée avec deux collègues. En lien avec l'école normale sociale (ENS), le groupe d'étudiants s'est concentré sur une très grande tour située à la porte de Chapelle, à Paris. Avec l'objectif de mieux impliquer les habitants dans la vie du lieu d'accueil, situé en bas de la tour, dont l'animation a été confiée à l'ENS voisine. Comme de nombreux lieux faisant le pari du vivre ensemble, des blocages à la participation de nombreux résidents existent. Les étudiants du Deis en ont identifié quelques-uns. "Du fait des ascenseurs qui desservent soit les étages pairs soit les étages impairs, les habitants n'ont pas l'habitude de se croiser", explique-t-il (voir également la vidéo).
"Des collègues m'ont vu changer"
Mi-octobre 2015, Yoann a remis son mémoire qui a porté sur les "recompositions d'une association face aux appels à projets". Sur son lieu de travail, il a vu des évolutions, se voyant confier des fonctions stratégiques pour l'aide à la décision du fait de ces nouvelles relations avec les financeurs. En dehors de cette nouvelle responsabilité, son regard de professionnel a-t-il changé ? Il raconte que certains collègues l'ont constaté. "Ils m'ont dit que je prends plus de distance. Aujourd'hui, pour analyser une situation, je prends en compte différents facteurs", dit-il, avant de courir récupérer son train pour rejoindre la capitale... picarde.
Retrouvez nos précédents portraits :
Le 9 octobre : Coralie, passion EJE (lire ici)
Le 16 octobre : Aurélien, un homme dans un "monde de femmes" (lire ici)
Le 23 octobre : Julien ou la passion pour les jeunes "cabossés" (lire ici)
Le 30 octobre : Emilie, l'AS qui voulait changer le monde (lire ici)
Prochain portrait :
Le 13 novembre : Cécile ou comment devenir assistante sociale vers 40 ans