Nous poursuivons notre série de portraits d'étudiants en travail social. Cette semaine, direction Reims pour une rencontre avec Ophélie Chapuis, future monitrice éducatrice. Son choix professionnel est intervenu après un parcours sinueux et avec la ferme intention de démarrer le métier par le bas. Et de ne pas abandonner son franc-parler.
"Ma mère ne voulait pas que je sois éducatrice. Maintenant que je suis ma formation de monitrice-éducatrice, elle est contente." Le regard perçant, le mot direct, Ophélie Chapuis, 26 ans, n'est pas du genre à tourner autour du pot. Avec elle, pas de round d'observation. Elle vous raconte cash son histoire, son parcours sinueux qui l'a amenée à intégrer depuis deux ans l'IRTS Champagne-Ardenne pour devenir une professionnelle du social.
Désillusion du monde des adultes
Son vécu semble fondateur de son désir de se mettre au service des autres. Plus que de désir, il faudrait parler de nécessité. Comme si Ophélie ne pouvait pas faire autre chose, comme s'il le fallait... Elle raconte qu'elle était une enfant qui a baigné "dans l'atmosphère des adultes" et qu'elle a rapidement été dans la "désillusion" de cet univers. A 5 ans, elle a vécu un douloureuse épreuve familiale qui l'a marquée. Elle met des mots sur les maux, rentre dans la dureté des réalités, comme s'il fallait exorciser ses démons.
La découverte AVS
Débarquée en fin d'adolescence dans le Sud, Ophélie s'initie au théâtre puis abandonne. Par un ami, elle découvre ce qu'est un auxiliaire de vie sociale (AVS). Et elle s'embarque dans l'aventure, en charge d'un autiste Asperger, tout en travaillant la nuit dans un internat de lycée. Une expérience formatrice pour elle. "Avant, je pensais être une personne tolérante. Je me suis rendue compte que je n'écoutais pas les gens, que je n'étais pas aussi réceptive que je le croyais", explique-t-elle sans hésitation. Et d'ajouter que cette relation professionnelle avec ce jeune lui a servi de thérapie.
Gendarme ou éduc' ?
Mais que faire de sa vie quand on a rejeté, parfois de façon radicale, la société des adultes ? Quelle voie trouver ? Ophélie raconte, avec un goût prononcé pour le paradoxe, qu'elle a désir�� un temps travailler dans la gendarmerie. Par simple attirance pour l'action, pour les choses "speed", dit-elle. Mais ça n'a pas marché. "Je les remercie les responsables de la gendarmerie de ne pas m'avoir prise".
Un jour, une personne de son entourage proche lui dit : "Ophélie, fais éducatrice. Donne-toi cette chance." Pour elle, être éducatrice n'est pas, comme on le pense souvent, une vocation."Cela se construit", dit-elle. Ophélie va donc oser ce qu'elle s'interdisait jusqu'alors.
"Commencer le métier par le bas"
Elle opte pour le concours de moniteur-éducateur proposé par l'institut rémois. On lui demande pourquoi ne pas tenter directement le concours d'éducateur spécialisé. Elle répond : "Je veux commencer dans ce métier par en bas." Sans doute aussi parce qu'elle veut explorer les ressorts profonds de la vie, se coltiner avec des questions souvent taboues comme "toucher le corps des autres", comme elle l'explique dans la vidéo.
"Etre vrai, mais mettre les formes"
La première tentative au concours se solde par un échec. "J'étais trop spontanée, je ne faisais aucun calcul", explique Ophélie. Pour la seconde, elle met toutes les chances de son côté : à côté de son travail d'AVS, elle potasse les matières et domestique un peu son tempérament pour être moins "cash". "Il faut être vrai, dit-elle, mais mettre les formes". Succès au concours. En 2014, Ophélie intègre la formation de moniteur éducateur. Comme quelqu'un qui a eu très faim, Ophélie goûte sans modération le plaisir d'être en formation, même si les exigences de celle-ci sont parfois élevées.
Lors de son premier stage en foyer d'accueil médicalisé, elle apprend à travailler au plus près des personnes handicapées. Et ainsi elle se confronte à ses propres peurs (par exemple des corps vieillissants abîmés par le handicap), tente de dépasser ses stéréotypes. Elle découvre aussi les conflits interpersonnels, les attitudes maltraitantes de certains petits chefs, etc.
Maintenir les liens avec les parents ?
Là, depuis quelques semaines, Ophélie effectue son stage dans une Mecs originale. En effet, elle accueille des fratries. Elle s'y sent "comme un poisson dans l'eau", aimant ce contact, rugueux parfois, tendre souvent, avec des jeunes un peu déboussolés par la rupture des liens familiaux. Elle reconnaît avoir un peu de mal avec la loi qui encourage les professionnels à maintenir les liens avec les parents (lire notre enquête "Faut-il maintenir les liens parents-enfants?"). Elle se demande si le maintien de ces liens n'est pas parfois contraire au développement des enfants (voir vidéo).
"Je dérange parfois"
Sans conteste, Ophélie Chapuis est de plain-pied dans sa formation. Elle a trouvé sa voie après avoir exploré tant d'impasses. Mais elle reste intranquille, refusant de s'asseoir. "Je dérange parfois, reconnaît-elle. Mais c'est utile de poser des questions". Et elle vous dit cela en vous regardant droit dans les yeux, des yeux qu'elle a bleu.
Retrouvez nos précédents portraits :
Le 9 octobre : Coralie, passion EJE (lire ici)
Le 16 octobre : Aurélien, un homme dans un "monde de femmes" (lire ici)
Le 23 octobre : Julien ou la passion pour les jeunes "cabossés" (lire ici)
Le 30 octobre : Emilie, l'AS qui voulait changer le monde (lire ici)
Le 6 novembre : Yoann, en Deis et en quête de sens (lire ici)
Prochain portrait :
Le 20 novembre : Cécile ou comment devenir assistante sociale à la quarantaine