"Passe sanitaire et licenciement : il est ahurissant que la fermeté du gouvernement ne s'exerce qu'à l'égard des salariés"

"Passe sanitaire et licenciement : il est ahurissant que la fermeté du gouvernement ne s'exerce qu'à l'égard des salariés"

20.07.2021

Représentants du personnel

Nous reprenons sous la forme d'un point de vue, dans notre rubrique "chronique", l'analyse faite sur son blog par Michèle Bauer, avocate à Bordeaux, des évolutions du projet de loi instaurant l'obligation sanitaire et élargissant le passe sanitaire, cet article critiquant également la position du Conseil d'Etat sur ce projet qui doit être adopté par le Parlement dès cette semaine.

Cette semaine est celle du "passe sanitaire" et de l’obligation vaccinale des professionnels de santé. En effet, le projet de loi relatif à la crise sanitaire (projet de loi  n°19 07 2021) a été examiné lundi 19 juillet par le Conseil des ministres et le Conseil d’Etat a rendu son avis (sur ce projet et cet avis, voir l'article d'actuEL-CSE). Mardi 20 et mercredi 21 juillet, il s’agira pour l’Assemblée nationale de débattre sur le projet de loi; jeudi 22 et vendredi 23, le Sénat sera saisi. Il y aura sans doute une saisine du Conseil Constitutionnel avant que le texte ne soit promulgué.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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L’avant projet de loi (lire l'article d'actuEL-CSE) prévoyait la possibilité pour l’employeur de licencier un salarié travaillant dans certains secteurs d’activités listées si ce dernier ne justifiait pas d’un passe sanitaire (soit le certificat de vaccination, soit un test PCR négatif, soit un certificat de rétablissement), d'où le titre de mon premier billet ("Passe sanitaire et licenciement ou comment sauver la liberté d'entreprendre", voir ici). Un arrêt d’activité non rémunéré pouvait être ordonné, une suspension du contrat de travail et si cet arrêt était de deux mois, un licenciement pouvait être ordonné. Le projet de loi présenté lundi 19 juillet au Conseil des ministres reprend ces dispositions, il distingue les salariés ou agents de l’Etat soumis à une obligation vaccinale, des salariés non soumis à cette obligation mais devant justifier d’un test PCR négatif ou d’un justificatif de vaccination ou encore d’un certificat de rétablissement, du fameux passe sanitaire.

Que dit le Conseil d'Etat sur l'obligation vaccinale visant les personnels de santé ?
  • Sur l’obligation vaccinale

Sans surprise, le Conseil d’Etat considère que le législateur peut mettre en place une obligation vaccinale si cette obligation poursuit un but légitime et n’est pas disproportionnée par rapport au but recherché. Pour le Conseil d’Etat, l’obligation vaccinale répond un besoin social impérieux notamment (il reprend la décision de la CEDH Vavricka c. République tchèque, du 8 avril 2021).

  • Sur le contrôle de l’employeur et le licenciement

Le projet de loi dispose : “Lorsqu’une personne soumise à l’obligation prévue au I de l’article 5 (obligation de se faire vacciner, personnel médical) ne présente pas les justificatifs, certificats ou résultats mentionnés au I de l’article 6 ou, jusqu’au 15 septembre 2021, au 1° du I, à son employeur, ce dernier lui notifie le jour même, par tout moyen, la suspension de ses fonctions ou de son contrat de travail. Cette suspension, qui s’accompagne de l’interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l’intéressé produit les justificatifs requis. La personne est convoquée à un entretien qui a lieu au plus tard dans un délai de cinq jours suivant la suspension afin d’examiner avec elle les moyens de régulariser sa situation".

"Le fait de ne plus pouvoir exercer son activité pendant une durée supérieure à deux mois en raison du non-respect de l’obligation de présentation des documents mentionnés au précédent alinéa peut être un motif spécifique justifiant la cessation définitive des fonctions ou la rupture du contrat de travail“.

Le Conseil d’Etat n’émet aucune réserve, si ce n’est qu’il préconise au gouvernement de prévoir une présentation de ces documents sous une forme qui ne permettra pas à la personne chargée du contrôle de connaître l’origine de l’immunisation. Le but étant de préserver le secret médical et la vie privée du salarié.

Mais est-ce vraiment suffisant pour garantir le secret médical et la vie privée du salarié ?

En effet, ces dispositions s’appliquent aux salariés qui doivent être vaccinés obligatoirement (le personnel médical), l’origine de l’immunisation ne sera que la vaccination ou un certificat de rétablissement, le secret sera un secret de polichinelle et l’employeur se doutera de l’origine de l’immunisation.

Il aurait été préférable que ce soit un autre intervenant soumis au secret médical qui contrôle. Or, le Conseil d’Etat n’est pas “choqué” par la disposition qui précise que “Les employeurs sont chargés de contrôler le respect de l’obligation prévue au I de l’article 5 par les personnes placées sous leur responsabilité.”. Au contraire, il approuve le contrôle des employeurs et la possibilité de les sanctionner s’ils ne respectent pas leur obligation de contrôler les salariés ou agent de l’état (En second lieu, alors que le projet de loi prévoit de sanctionner les employeurs qui ne contrôleraient pas que leurs personnels concernés respectent l’obligation vaccinale (cf. point 21),le Conseil d’Etat estime nécessaire d’établir expressément cette obligation de contrôle.)

Le Conseil d’Etat insiste sur les dispositions de l’OIT (organisation internationale du travail) et le fait de mettre en place une procédure contradictoire avant le licenciement des salariés, d’où l’entretien mis en place dans les cinq jours suivants la suspension. A noter que la suspension du contrat de travail peut s’effectuer par “tous moyens”. Mais si cette suspension est notifiée oralement, il sera compliqué de décompter les cinq jours à respecter pour l’organisation de l’entretien préalable.

La suspension non rémunérée est possible selon le Conseil d’Etat à partir du moment où le salarié en est averti et peut se défendre et régulariser.

Pour les agents publics, le Conseil d’Etat reprend le projet de loi qui aurait dû soumettre les dispositions pour avis au Conseil commun de la fonction publique.

Que dit le Conseil d'Etat sur les dispositions visant les salariés non soumis à une obligation vaccinale et donc soumis à un passe sanitaire (travaillant dans les secteurs d’activités énumérés à l’article 1er du projet de loi) qui doivent par conséquent justifier d’un test PCR négatif , d’un certificat de vaccination ou d’un certificat de rétablissement ?

“Le Conseil d’Etat estime que le fait d’imposer la détention du « passe sanitaire » à l’ensemble des professionnels et bénévoles intervenant dans les lieux, établissements, services et événements où le dispositif trouvera à s’appliquer ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’exercice de leur activité professionnelle par les intéressés.”

Comme pour les salariés soumis à une obligation vaccinale, les salariés travaillant dans des secteurs d’activités énumérés (la plupart du temps en contact avec le public) devront pouvoir justifier d’un passe sanitaire auprès de leur employeur, à défaut, il pourra y avoir une cessation d’activité et un licenciement au bout de deux mois d’inactivité, le projet de loi devant introduire un nouveau motif de licenciement qui sera pour cause réelle et sérieuse.

En conclusion : en matière de licenciement et de passe sanitaire, le Conseil d’Etat valide toutes les dispositions du projet de loi ou presque alors qu’il aurait fallu sans doute mener une réflexion plus approfondie sur le contrôle le plus adapté de ce passe sanitaire. L’employeur ne semble pas être l’acteur idéal pour effectuer ce contrôle et s’immiscer dans la vie privée du salarié. De même, ce passe était-il vraiment nécessaire et indispensable à la mise en œuvre de la politique de santé publique au sein de l’entreprise ? L’atteinte à la liberté de travail du salarié, à sa vie privée, au secret médical, est-elle réellement proportionnée au but recherché ? Ces dispositions ne tendront-elles pas les relations sociales dans les entreprises en exigeant des employeurs d’être policiers (sous peine de sanctions pénales) de leurs salariés et en les plaçant dans une position bien délicate ? N’aurait-il été pas plus judicieux de confier cette mission de contrôle à d’autres acteurs comme, par exemple, la médecine du travail ? La suspension du contrat de travail sans rémunération est-elle une sanction proportionnée au but recherché ? Et le licenciement automatique après deux mois d’activité, est-ce proportionné par rapport à une décision personnelle du salarié de ne pas souhaiter se faire vacciner ou faire un test tous les jours qui risque d’être onéreux ?

Beaucoup de questions restent en suspens et, comme dans mon billet précédent, je trouve ahurissant que la fermeté du gouvernement ne s’exerce qu’à l’égard d’une seule partie au contrat de travail, le salarié… alors qu’à l’époque où il n’y avait pas de vaccin et une pénurie de masques, le ministère du Travail ne diffusait que des questions réponses et des effets d’annonces dans la presse à l’égard des employeurs qui ne respectaient pas les mesures relatives au télétravail ou celles relatives au protocole sanitaire, mesures - rappelons-le - destinées à préserver la santé et la sécurité du salarié et pas seulement mesures permettant aussi de lutter contre la propagation du virus.

La messe n’est pas encore dite, attendons les débats à l’Assemblée nationale et la décision du Conseil Constitutionnel. Espérons que cette institution fasse preuve de plus de courage que le Conseil d’Etat.

Michèle Baeur
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