Philippe Martinez (CGT) : "Soit on poursuit le chemin des derniers congrès, soit on retourne en arrière"
26.03.2023
Représentants du personnel

Alors que le mouvement social se durcit contre la réforme des retraites, la CGT ouvre aujourd'hui son 53ème congrès à Clermont-Ferrand. Un événement majeur pour le syndicat qui verra s'installer une nouvelle direction confédérale à l'issue de ces cinq jours. Philippe Martinez, secrétaire général sortant, nous en explique les enjeux. Entretien depuis son bureau à Montreuil.
C'est la première fois qu'on réussit à mettre en pratique ce qu'on théorisait, c'est-à-dire réunir deux choses essentielles pour l'unité syndicale : fixer un objectif commun (ni report de l'âge ni augmentation de durée de cotisation) et assumer nos divergences. Dès le début, on a exprimé publiquement nos différences sur la retraite et les modes d'action. C'est nouveau par rapport aux situations précédentes. Je suis donc satisfait qu'on ait matérialisé notre conception du syndicalisme rassemblé, et ça marche. Depuis plusieurs semaines, des millions de salariés restent mobilisés.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
On devra réfléchir à la manière dont on construit des actions et des objectifs communs. Désormais cela me concerne moins, je ne veux rien imposer à ceux qui prendront ma suite. Mais je pense que cette intersyndicale peut devenir une référence dans la façon de bosser.
J'espère qu'elles le seront ! La CGT est attractive sinon elle ne ferait pas autant d'adhésions, 36 000 je crois l'année dernière. Donc ceux qui viennent, resteront-ils ? C'est un sujet qui est au menu de ce congrès, comme du précédent d'ailleurs. C'est une question sur laquelle on a du mal à avancer.
J'ai une solution mais elle est difficile à mettre en œuvre : bichonner nos nouveaux syndiqués. Ils n'ont pas assez voix au chapitre et nos structures ne correspondent pas suffisamment au monde du travail d'aujourd'hui. Même si on n'est pas un monument historique mais un vieil édifice qui reste moderne puisqu'il est attractif, il faut que nos structures soient en phase avec les nouvelles générations de travailleurs et travailleuses. Pour l'instant, on ne bouge pas beaucoup.
La carte permanente est une arlésienne. Les salariés sont de plus en plus mobiles. A chaque fois qu'ils quittent une entreprise, ils doivent ré-adhérer dans la nouvelle. Avec la carte permanente, quelles que soient leurs évolutions, ils restent adhérents sans refaire de démarche.

L'objectif est de les fidéliser tous parcours professionnels confondus. Par exemple, nous perdons rapidement les adhésions de travailleurs précaires. Les intérimaires aussi changent beaucoup de boîte, ou encore les livreurs à vélo. Nos structures fédérales n'ont pas bougé depuis cinquante ans à part la fédération des tabac et allumettes qui a fusionné avec l'agroalimentaire en 2008, mais les livreurs à vélo, on les met où ? A la fédération du commerce ? Aux transports ?
Oui et on recueille de très bons scores en ce moment. La CGT vient de passer première chez Orpéa. Avec 43 % des voix, nous sommes largement en tête. Mais je le répète : il faut qu'on ait des structures plus souples. Je le dis souvent à nos chefs : je n'ai jamais fait adhérer personne spécifiquement à la fédération des métaux : les gens qui viennent adhèrent à la CGT.
Prenons par exemple les sous-traitants. Nous avons expérimenté des syndicats de site, multi-professionnels, au sein d'un même établissement, cela correspond aux réalités du travail ! Mais dès qu'on se demande qui prend les cotisations, ça devient une usine à gaz.
Je n'aime pas les grands mots mais nous sommes à un moment charnière : soit on poursuit le chemin qu'on s'est tracé dans les derniers congrès, soit on revient en arrière. Je sais que les débats de personnes plaisent à certains médias, mais le débat d'orientation reste l'enjeu majeur de ce congrès.
Le premier, c'est de partager les orientations mises en œuvre : elle a beaucoup travaillé sur nos rapports avec les ONG et associations sur l'environnement. Marie Buisson est une féministe syndicale convaincue. Contrairement à ce que je lis parfois, elle n'est pas issue d'une petite fédération : même en nombre de syndiqués, l'éducation compte plus d'adhérents que la chimie il me semble !

Elle couvre un champ important du public au privé. La Fédération de l'éducation s'est beaucoup développée dans l'enseignement privé. Elle a fait adhérer 700 auto-entrepreneurs. Elle progresse à la fois aux élections et en nombre d'adhérents. Je ne regarde pas seulement le résultat mais la progression. On peut faire 40 % aux élections mais régresser tous les quatre ans. La Fédération de l'éducation a donc une vraie dynamique. En plus, Marie Buisson est une femme, un atout essentiel quand la moitié de la population du travail l'est aussi. Quand bien même ça n'a jamais existé, je ne vois pas pourquoi la CGT n'aurait pas une secrétaire générale.
A la suite d'un vote largement majoritaire par la direction, la candidature de Marie Buisson a été validée dans les règles malgré les critiques. Ce n'est pas un débat de personnes mais d'orientation. Pour les climatosceptiques de la CGT, parler à Greenpeace c'est trahir je ne sais quoi. Sur le féminisme, parce que certains estiment qu'il s'agit de questions sociétales, il faudrait laisser les femmes de côté ? Non ! Donc on a des débats houleux, y compris sur les questions de violences sexistes et sexuelles.
Je ne suis pas au courant. Ça fait deux mois que je ne l'ai pas vue alors qu'elle est membre du bureau confédéral.
Pour moi, ce n'est pas une candidature. Je sais qu'il y a des réunions, secrètes ou pas. J'ai lu la presse, où elle dit qu'elle est poussée par des organisations... Il y a aussi Olivier Mateu mais il est hors critères (***). Je me suis battu pour les changer depuis le congrès de Dijon : ainsi, toutes les organisations qui mettent à disposition des candidatures doivent au moins présenter une femme. Le comité confédéral national l'a voté à 76 % il y a un an et demi. D'autres organisations ont présenté seulement un homme et donc ne respectent pas les critères. Le Val-de-Marne a mis en avant deux hommes, c'est pareil. On prend note des candidatures mais elles ne vont pas plus loin.
Sur ce point, ça bouge plus vite dans les territoires qu'au niveau des professions. Il y a maintenant des unions locales à cheval sur deux départements au lieu d'un seul, ça ne pose plus de problème, car on a élargi les périmètres aux bassins d'emploi. Si un bassin couvre deux départements, l'union locale le peut aussi. On l'a expérimenté dans le Centre Bretagne par exemple, et on y travaille en région parisienne.
On en compte 32, enfin 32 et demi car la police… ce n'est pas très clair. Mais c'est encore un problème de patrimoine dans notre histoire.
Pas ingouvernable, mais cela crée des tensions. Il n'y a jamais eu autant de conflits juridiques entre des organisations de la CGT pour savoir si un syndiqué revient à l'un ou à l'autre. Moi je dis : peu importe, il est à la CGT !

On a beaucoup de contentieux, les juges commencent à en avoir ras-le-bol ! En plus, demander de trancher à un juge qui ne connaît rien à la CGT, c'est contre-productif, ça coûte cher, on perd du temps et on s'engueule encore plus. C'est le monde à l'envers ! Depuis que je suis là, j'ai toujours dit qu'il fallait évoluer mais dès qu'on parle de modifier les structures, des fusils se pointent sur les têtes.
Oui, la carte permanente par exemple. Nous avons un syndicat des intérimaires. Ils ont des besoins spécifiques avec des droits différents. Ils devraient être encartés dans les syndicats où ils bossent. Au contraire, on les traite à part.
Oui mais nous sommes là pour rassembler. C'est tout l'objet du débat de fond. Le monde du travail a changé. Quand cela ne nous plaît pas, que faire ? Nous sommes contre la précarité donc il faudrait exclure les travailleurs précaires ?

Contre l'intérim, donc on exclut les intérimaires ? Contre le travail du dimanche... on peut additionner les contradictions ! Devons-nous laisser tomber tous ceux qui subissent ? Disons plutôt "vous faites partie du monde du travail et on s'occupe de vous". Oui, la CGT peut défendre des salariés qui travaillent le dimanche, on ne les traite pas de suppôts du capital pour autant.
Peut-être. Nous n'avons que des sondages pour l'évaluer, et le vote des militants et sympathisants CGT aux élections n'est pas homogène. On est loin des années cinquante. Le vote Rassemblement National m'inquiète. Laurent Berger et moi sommes d'accord pour y travailler. A ma connaissance, 90 % des syndiqués CGT ne sont affiliés à aucun parti. Je pense que 70 % des chefs de la CGT le sont. On trouve chez nous des écolos, des socialistes, des Insoumis, des communistes, de l'extrême gauche.

Mais peu importe : on défend tous la CGT. J'ai quant à moi un gros défaut qui me joue des tours : je suis le premier secrétaire général qui n'adhère à aucun parti. Ça fait louche : pour qui roule-t-il ? Quand on est dans cette logique, on adore mettre les gens dans des cases.
Vous avez raison, on ne parle jamais de cette partie de la charte d'Amiens. Tout le monde voit dans cette charte le lien du syndicat aux partis politiques et oublie le fondement de la double besogne. Le syndicalisme, ce n'est pas que de l'idéologie mais un équilibre entre une idéologie (changer le monde, je le revendique) et la feuille de paye. Il ne faut oublier ni l'un ni l'autre, c'est marcher sur deux jambes.
Je ne fais pas de bilan, je regarde ce qui a évolué, pas bougé ou régressé. On a réussi plus que jamais à considérer que les questions environnementales sont aussi sociales. Discuter avec des organisations a permis notre rapprochement.

Je suis assez impressionné : c'est la première fois que dans des manifestations sociales, il y a autant d'ONG et d'associations. La Confédération paysanne est venue à Paris par exemple. Même si la démarche a été contestée en interne, elle reste positive. Sur le féminisme, sujet réservé à des associations, on a fait des progrès énormes : nous sommes la première organisation, avant "Me too", à avoir mis en place une cellule de veille contre les violences sexistes et sexuelles.
J'ai découvert une partie du monde du travail. Moi je suis métallo, je n'ai fait que ça toute ma vie : de l'automobile et de la métallurgie. Discuter avec des assistantes maternelles, aller dans les hôpitaux où j'ai passé beaucoup de temps, c'est découvrir un autre monde, avoir une vision plus globale du travail. La nécessité de s'occuper de la diversité du travail m'a fait évoluer.
Oui, je vais distribuer des tracts ! Et puis je serai dans les manifs mais je ne marcherai pas devant, ça va me faire du bien ! Je serai loin dans le cortège avec mon union départementale.
Je vais le suivre ! Quand j'ai annoncé mon départ, j'ai dit "il vaut mieux partir quand on s'éclate que quand on s'emmerde", et j'en suis convaincu. Je m'éclate toujours, ça fait huit ans, c'est déjà pas mal. Être secrétaire général est une forme d'émancipation énorme. On fait des rencontres extraordinaires : François Morel, Gérard Mordillat, entre autres. J'ai beaucoup bossé pour que la CGT renoue avec la culture. Si vous venez au congrès vous verrez deux belles expositions : Ernest Pignon-Ernest, et Sebastião Salgado. Vous voyez, on gagne à être connus à la CGT !
(*) Voir ici le site de la CGT sur le 53ème congrès
(**) Ancienne membre de la commission exécutive confédérale, Maryline Poulain, qui a quitté cet été tous ses mandats à la CGT, a été une figure du combat des travailleurs sans-papiers pour leur régularisation, lire notre interview
(***) Olivier Mateu est secrétaire générale de l'union départementale CGT des Bouches-du-Rhône. Céline Verzeletti est secrétaire confédérale de la CGT.
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