Philippe Martinez : "Plus d'un salarié sur deux ne voit jamais la CGT"

Philippe Martinez : "Plus d'un salarié sur deux ne voit jamais la CGT"

09.05.2019

Représentants du personnel

Comment regagner de l'influence et du poids dans le paysage social français ? A l'approche du congrès de la confédération générale du travail (CGT), son secrétaire général, Philippe Martinez, semble vouloir dramatiser l'enjeu d'une meilleure organisation interne dans le but de toucher davantage de salariés, en dépassant les critiques sur la ligne du syndicat.

A quelques jours du 52e congrès de la CGT, qui se tient la semaine prochaine à Dijon, c'est un Philippe Martinez plutôt combatif qui s'est exprimé mardi matin à Paris, lors d'une rencontre avec la presse organisée par l'association des journalistes de l'information sociale (Ajis). Ce congrès doit être celui d'une remobilisation de la CGT, considère le secrétaire général du syndicat. Ce dernier, qui a succédé en 2015 à Thierry Le Paon et a été réélu en 2016, est seul candidat à un nouveau mandat.

La confédération, qui a perdu au profit de la CFDT sa première place dans le paysage syndical français, paraît toujours divisée en interne entre ceux qui réclament une approche plus réaliste ou dynamique du dialogue social et ceux qui lui reprochent un manque de combativité. Elle semble n'avoir pas réussi à opérer une réelle convergence avec le mouvement social des gilets jaunes ni à peser sur les choix du président de la République et de son gouvernement, notamment contre les ordonnances ayant imposé le CSE. "Nous ne rayonnons que sur 43% du monde du travail. Plus d'un salarié sur deux ne voit jamais la CGT. Il y a vingt ans, ce n'était pas le cas. Sur les ingénieurs et les cadres, nous n'avançons pas beaucoup. S'intéresser à la diversité des catégories socio-professionnelles et du monde du travail d'aujourd'hui, c'est l'enjeu pour la CGT. Si nous ne réglons pas ça dans les trois prochaines années, je me fais du souci pour l'avenir de notre organisation", déclare Philippe Martinez.

Peut-être n'ai-je pas assez tapé du poing sur la table

 

Ce dernier fait un léger mea culpa : "Peut-être n'ai-je pas assez tapé du poing sur la table pour impulser les changements d'organisation". Pour autant, Philippe Martinez fait remonter à sept ans, soit avant son arrivée à la tête de la CGT, le début de l'érosion des effectifs de la CGT, qui revendique actuellement 653 000 adhérents : "Depuis 2012, nous avons recruté 240 000 adhérents mais nous en avons au final 40 000 de moins qu'en 2012. Cela signifie que nous n'avons pas su garder ces personnes qui étaient venues chez nous".

"Il nous faut mettre en place des structures mobiles pour aller au contact des salariés"

Le secrétaire général de la confédération estime en effet que les structures territoriales de la CGT ne sont plus adaptées au monde d'aujourd'hui : "Nous avons élaboré une réflexion sur nos structures, mais la montagne a accouché d'une souris. Il nous faut aller beaucoup plus loin, mettre en place des structures mobiles de la CGT pour aller vers les travailleurs, au lieu de les attendre en centre-ville dans des structures historiques désormais éloignées des bassins d'emplois".

Le congrès débattra d'une annexe statutaire consacrée à ces questions, et le secrétaire général attend que les militants soutiennent cette évolution qui, à ses yeux, tient davantage à une volonté politique qu'à des questions statutaires : "Nous parlons depuis trois congrès de créer des syndicats de site, mais ça n'avance pas (..) Il faut faire évoluer les statuts mais aujourd'hui, rien ne nous empêche de syndiquer les travailleurs d'Uber, de chercher à mieux représenter la diversité du monde du travail" (*). La CGT doit d'autant plus rechercher la proximité avec les travailleurs que la question du travail est, souligne-t-il, cruciale : "Quand vous demandez à un salarié : "Alors, ça va le boulot", vous avez 20 minutes de réponse sur tout ce qui ne va pas".

 

La confédération a mis en place une cellule de veille pour traiter les cas de harcèlement sexuel au sein du syndicat. "Cette cellule a recensé 5 cas de harcèlement sexuel et de violences verbales. Pour les affaires relevant de la confédération, il y a eu des sanctions", a précisé Philippe Martinez, ce qui ne serait pas le cas pour deux autres affaires relevant de fédérations. Le journal Mediapart a évoqué un cas précis dans un article du 22 mars 2019.

 

Interrogé sur le mouvement des gilets jaunes, Philippe Martinez enfonce le clou : "Les gilets jaunes sont le reflet de tous les déserts syndicaux de la CGT : salariés des PME et TPE, précaires... Quand les syndicats ne sont pas là pour défendre les salariés, ceux-ci se défendent eux-mêmes." Il récuse toutefois l'image d'une organisation syndicale contestée par les gilets jaunes : "Il y a des convergences en province. Nous avons prêté nos locaux à la Rochelle, organisé un débat à la bourse du travail de Toulouse. Mais l'absence d'organisation pose problème : je discute avec qui chez les gilets jaunes, moi ?". Et le secrétaire général de préciser au passage juger "pas fréquentables" certains gilets jaunes proches de l'extrême-droite.

"La CGT n'a pas à modifier ses fondamentaux"

Si la CGT doit adapter ses structures, elle n'a pas à modifier "ses fondamentaux", soutient Philippe Martinez, fondamentaux qui consistent à "contester une évolution" qui ne va pas dans le sens des intérêts des salariés. "Par essence, ajoute-t-il, le syndicalisme est réformiste. Mais la réforme pour moi, c'est la réduction du temps de travail hebdomadaire à 32 heures, qui permettrait de règler le problème du chômage et du temps partiel subi par les femmes, la réforme, ce n'est pas la casse du code du travail".

La FSM n'est ni une organisation de masse, ni une organisation démocratique

 

Le secrétaire général s'inscrit aussi en faux contre ceux qui, dans la CGT, défendent la sortie d'une CES (confédération européenne des syndicats) jugée trop tiède et social-démocrate, une sortie contre laquelle l'ancien secrétaire général a récemment pris position (**). "On reproche à la CES d'être un syndicalisme de lobbying et de compromis plus qu'un syndicalime de mobilisation et de proposition, dit Philippe Martinez. Mais justement, dans la CES, la CGT défend une harmonisation sociale, avec des critières communs pour un salaire minimum. Nous défendons aussi l'idée d'une baisse du temps de travail au niveau européen, et nous prônons, pour qu'une entreprise puisse répondre à un appel d'offres, qu'elle accepte une charte sociale intégrant les principes de l'OIT, l'organisation internationale du travail". Le secrétaire général de la CGT estime par ailleurs que les fédérations (agroalimentaire, chimie) qui adhérent à la FSM, la fédération syndicale mondiale basée en Grêce, sont libres de le faire "car il n'y a pas à la CGT de centralisme démocratique", mais que cette FSM "n'est à ses yeux "ni une organisation de masse, ni une organisation démocratique", et que par ailleurs, "la CGT a plus que jamais besoin de garder son indépendance par rapport au monde politique".

La question des retraites

Par ailleurs, Philippe Martinez s'est félicité de l'appel à la grève unitaire lancé ce jeudi 9 mai par tous les syndicats de la fonction publique :  "Ce qui est devenu exceptionnel devrait être banal, mais depuis des année les confédérations syndicales ne sont pas capables de s'entendre sur des projets communs, contrairement à ce qu'on voit en Italie, en Espagne ou en Belgique". Enfin, au sujet de la réforme des retraites dont la concertation menée par le Haut-commissaire s'achève cette semaine, le secrétaire général de la CGT se montre dubitatif sur le résultat futur de la concertation : "Nous avons porté auprès de Jean-Pierre Delevoye toutes nos positions, sur la pénibilité, le financement, les régimes complémentaires, etc. Nous verrons ce qu'il en retiendra. Mais en attendant, nous ne pouvons qu'être courroucés par le fait qu'Agnès Buzyn a dit qu'il fallait reculer l'âge de départ, et que le président de la République a déclaré ensuite vouloir appliquer une décote, ce qui repousserait l'âge de départ à la retraite de deux ans".

 

(*) Cette annexe statutaire prévoit que le comité régional se dote "d'un fonctionnement et d'outils dont il fixe les règles, les attributions et la composition", le financement des activités régionales étant assuré par une cotisation.

(**) La CES devrait être présidée fin mai par Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. Ce dernier a d'ailleurs été sifflé par le cortège de la CGT lors d'un rassemblement syndical européen à Bruxelles le 26 avril dernier (LIEN), un incident "regrettable et lamentable" selon les mots de Philippe Martinez.

 

Violences du 1er mai : la CGT demande une enquête

Le 1er mai 2019, le cortège de la CGT a été attaqué à deux reprises par les forces de l'ordre, a déclaré Philippe Martinez, "et la deuxième fois, nous avons subi une charge policière et des canons à eau". De leur côté, les forces de l'ordre soutiennent avoir réagi face à des éléments violents ("blacks bocks) présents dans le cortège. Le secrétaire général de la CGT, qui a été momentanément exfiltré de la manifestation par son service d'ordre afin d'être protégé, a demandé au ministère de l'Intérieur de mener "une enquête publique" sur ces incidents et dit examiner "toutes les suites juridiques possibles".

Le 1er mai, qui devait voir converger militants syndicaux et gilets jaunes, a été marqué par une grande confusion (voir l'article de Libération), et une polémique sur le maintien de l'ordre, les revendications syndicales passant au second plan.

 

 

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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