Philippe Waquet, avocat pénaliste devenu conseiller à la chambre sociale de la Cour de cassation de 1988 à 2002, vient de décéder. Il aura marqué la jurisprudence de la chambre sociale en contribuant à la parution d'arrêts de principe sur la motivation du licenciement, le contrat de travail, le plan social, etc. "Il avait un rire communicatif, très lié à sa vivacité d'esprit", dit de lui le professeur de droit Frédéric Géa, dans cette interview où il lui rend hommage.

Nous avons profité de cet événement pour convier dans son dos, à la maison de l'avocat de Paris, plusieurs centaines de personnes (des membres du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat, des universitaires, de très nombreux avocats, etc.) pour lui rendre hommage et pour diffuser le film. C'est comme cela qu'il a visionné le documentaire, après avoir découvert, ému et presque retourné, tous ces gens venus le saluer. C'était un moment incroyable.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
J'avais réalisé une thèse de doctorat sur l'interprétation jurisprudentielle en droit du travail. Ma thèse avait pour point de départ les débats des années 90 sur la Cour de cassation. A l'époque, certains accusaient la Cour d'être un législateur bis et d'outrepasser ses compétences. Je me suis demandé ce qu'il en était.

Et ma thèse de 2 000 pages a constitué, même si ce n'était pas son objectif de départ, une forme d'hommage à l'action de la chambre sociale et à Philippe Waquet. Il en a pris connaissance et je crois que ça l'a touché, nous avons eu par la suite de nombreux échanges et ainsi est née cette idée qu'il fallait garder une trace vivante de tout ce travail, de cette mémoire. Ce qu'il raconte dans le film restitue bien, je crois, le contexte d'une époque et explique la façon dont certains volets du droit du travail ont été consacrés. Lui qui ne voulait pas se mettre en avant a accepté notre idée, parce qu'il était dans un rapport de confiance avec Antoine Lyon-Caen et moi-même (3).
Par sa personnalité, d'abord. C'était une personnalité extrêmement riche, d'une intelligence vive, fulgurante même, avec des convictions tranchées mais adossées à une sûreté de jugement impressionnante. C'était un homme affable, profondément bienveillant, soucieux des autres, et cela allait de pair avec sa franchise.

Il avait un rire franc et un rapport direct aux autres : quand il avait quelque chose à affirmer, il ne tergiversait pas, il allait droit au but. Il avait une forte autorité naturelle mais sa porte était toujours ouverte. Il avait le souci constant d'échanger, de convaincre ses interlocuteurs, sans doute parce qu'avant d'être magistrat, Philippe Waquet avait été avocat. Cette ouverture s'est aussi traduite par les "tournées" qu'il faisait dans les cours d'appel de France pour rencontrer des magistrats d'appel mais aussi des conseillers prud'hommes pour défendre et expliquer la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation.
La jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation s'est complètement transformée à cette période. Nous étions dans une jurisprudence du "coup par coup" et nous sommes passés à une véritable vision jurisprudentielle et à une forme de constance. Il y a eu une volonté de la chambre sociale de donner une pleine efficacité à des lois qui existaient depuis plusieurs années. Je pense aux lois Auroux qui étaient porteuses d'une forte exigence en matière de libertés publiques. La chambre sociale a donné, de façon vigoureuse, une forte consistance à ces lois.

La chambre sociale a également donné une pleine efficacité aux dispositions légales, alors assez mal rédigées, relatives au plan social : l'arrêt du 13 février 1997 sur la Samaritaine retient, comme sanction d'un plan social considéré comme insuffisant, la nullité des licenciements. C'était une façon de remettre les représentants du personnel au coeur du système. A partir de cette époque, et cela ne s'est jamais démenti, s'est manifestée une très forte attention à ce qu'un plan social donne lieu à des échanges entre l'employeur et les représentants du personnel. S'il y avait alors très peu d'accords sur le plan social, ces plans sociaux étant souvent unilatéraux, il y avait tout de même une procédure de consultation du comité d'entreprise et donc des propositions et contre-propositions, des éléments sur lesquels s'appuyait le juge pour décider si l'entreprise avait fait au mieux pour élaborer son plan social (Ndlr : voir l'arrêt Lasnon du 28 mars 2000). Cette approche porte l'empreinte de Philippe Waquet.
Pour lui, l'entreprise -et c'était d'ailleurs l'esprit des lois Auroux- devait être un lieu démocratique, et la concertation et la coopération entre la direction et les représentants du personnel pouvaient apporter quelque chose de fécond. C'était une conviction profonde de sa part.

Il y a eu des arrêts importants sur ce sujet comme l'arrêt du 5 mai 1998 qui a fait beaucoup de bruit à l'époque, affirmant que lorsqu'une négociation collective est menée avec des délégués syndicaux, il faut qu'en plus, le comité d'entreprise soit consulté sur cette négociation si celle-ci porte sur un des domaines de compétence du CE. Il y avait là une volonté de donner une pleine efficacité au mécanisme de représentation du personnel et de concertation dans l'entreprise. Pour autant, il serait faux de dire que Philippe Waquet a fait de cette conviction un axe de sa jurisprudence. Il reconnaissait parfaitement le pouvoir du chef d'entreprise. Contrairement à ce qu'on a pu dire ici ou là, l'approche de Philippe Waquet était équilibrée.
Pas du tout ! Il avait un rapport plutôt distant à la politique. C'était un catholique social qui n'avait pas une approche radicale ni conflictuelle. Il avait été scout, il était allé chez les jésuites, il en avait retiré certaines valeurs collectives.
Recevoir les uns et les autres pour entendre toutes les parties, c'était une approche nouvelle de la part de la chambre sociale de la Cour de cassation.

Quand il visitait une cour d'appel, partout en France, c'était pour rencontrer des magistrats et des conseillers prud'hommes, mais aussi pour rencontrer des employeurs, il aimait le débat et la contradiction.
Il a en tout cas travaillé à la Cour de cassation à une période où la chambre sociale considérait qu'elle devait se forger une doctrine dans différents sujets. Il a toujours pris soin de dire qu'il n'était pas seul à agir, qu'on ne pouvait pas personnifier la jurisprudence, que celle-ci procédait d'une collégialité. Il soulignait d'ailleurs qu'il avait été mis en minorité par les autres conseillers sur certains sujets.

En même temps, Philippe Waquet faisait tout un travail de conviction pour expliquer, en amont du délibéré, aux autres conseillers sa position. C'est comme cela qu'il a dû se rallier des majorités dans certaines affaires. Avec Jean-Pierre Cochard, alors président de la chambre sociale, Philippe Waquet a cherché à définir des lignes directrices pour la jurisprudence, avec l'obsession que les messages de la Cour soient clairs et que celle-ci s'y tienne. On peut appeler ça une ou des doctrines.
Oui et non. Au fil du temps, certains aspects jurisprudentiels des années 1990 et 2000 ont en effet été déconstruits ou nuancés, c'est vrai. Mais d'autres sont demeurés parfaitement ancrés, voire ont été consacrés par le législateur. L'obligation de reclassement en cas de licenciement économique, c'est la chambre sociale de la Cour de cassation qui la "sort de terre" en 1992 (Ndlr : voir notamment l'arrêt du 8 avril 1992).

Philippe Waquet avait beau jeu de dire qu'il ne faisait qu'interpréter les textes, dans les faits, il a créé véritablement cette obligation. A l'époque, il n'existait en effet qu'un reclassement dans les textes conventionnels en matière de plan social, pas une obligation applicable à tous les licenciements économiques. Et bien, cette obligation de reclassement est entrée dans la loi, et même si celle-ci a été amendée depuis, le principe est acquis. Autre exemple : la réorganisation d'une entreprise et la notion de sauvegarde de la compétitivité. Avec Bernard Boubli (4), Philippe Waquet a joué un rôle essentiel en 1995 (Ndlr : voir l'arrêt du 5 avril 1995) pour instituer cette notion qui figure aujourd'hui dans le code du travail.

Autres exemples encore : l'idée que le licenciement doit reposer sur des éléments objectifs n'a jamais été remis en question. Il en va de même pour l'idée qu'un fait relevant de la vie personnelle du salarié ne peut pas lui être imputé comme une faute. De la même façon, la modification du contrat de travail, sujet qu'il a remis à plat pour donner une portée importante à ce contrat pour le travailleur, a bien été chahuté ultérieurement, notamment avec les accords de maintien de l'emploi et maintenant les accords de performance collective, mais c'est de façon disons latérale. Le principe demeure, selon lequel un salarié ne peut pas se voir imposer unilatéralement une modification de son contrat de travail.

En revanche, il faut le reconnaître, la position de la Cour de cassation selon laquelle un processus collectif visant à proposer des modifications de contrat de travail pour motif économique imposait à l'entreprise de conduire un plan social (Ndlr : voir l'arrêt Framatome du 3 décembre 1996) a été déconstruit en 2005 par la loi Borloo. Nous sommes passés d'une époque à une autre, bien sûr, mais Philippe Waquet continuait de suivre, même de loin, l'évolution du droit du travail. Dans les échanges que nous avions eus à l'époque de la loi Travail (2016), il me paraissait assez en phase avec les évolutions envisagées, je pense à cette idée de faire prévaloir la négociation et de la renforcer au niveau de l'entreprise...
Cela ne m'étonne pas venant de lui, c'est aussi l'ancien avocat qui parlait. S'il a accepté de s'exposer en tant que conseiller de la Cour de cassation, en explicitant sa position dans des articles et revues, c'est justement parce que cela suscitait des critiques, et qu'il acceptait ce jeu-là.

Il a bien été parfois touché par la virulence de certaines critiques, et se voir à la Une du Monde n'était pas vraiment sa tasse de thé, mais il acceptait qu'on ne soit pas d'accord avec lui. D'ailleurs, à son époque, les magistrats de la Cour de cassation lisaient beaucoup les commentaires que les universitaires faisaient des arrêts rendus, commentaires parfois très critiques, et il est déjà arrivé que la jurisprudence évolue en tenant compte de ces critiques. Ce qui l'animait, c'était l'idée de justice, il était épris de justice sociale et pour lui, le droit était un combat. Encore une parole d'avocat !
(1) Frédéric Géa enseigne à Nancy le droit du travail et la théorie du droit du travail, à l'université de Lorraine, où il a également dirigé l'institut François Gény, le laboratoire de recherche en droit privé et en histoire du droit. Il est l'auteur d'un ouvrage intitulé "Retour sur les ordonnances Macron ; un nouveau droit du travail ?" paru récemment chez Dalloz (lire notre article).
(2) Intitulé "Philippe Waquet hors-texte. L’âge d’or de la chambre sociale", ce film enregistré en 2009, d'une durée de plus d'une heure, est à voir ici.
(3) Très affecté par ce décès, l'avocat Antoine Lyon-Caen, directeur de la revue Droit du travail de Dalloz, a rendu également hommage à Philippe Waquet dans un texte publié par Dalloz Actualité et accessible via ce lien.
(4) Bernard Boubli a été président de chambre à la Cour d'appel de Paris puis conseiller à la Cour de Cassation.
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