Pour la Cour des comptes, les prud'hommes doivent être réorganisés et mieux "pilotés"

22.06.2023

Représentants du personnel

La Cour des comptes déplore la durée de traitement des affaires (16,3 mois en 2022) par les prud'hommes. Elle préconise plusieurs changements (fixation d'objectifs pour les conseils, schéma de formation continue piloté par l'Ecole nationale de la magistrature, refonte de la carte des tribunaux, etc.) ainsi qu'un élargissement à "des professionnels de terrain" de la composition du Conseil supérieur de la prud'homie. Le projet de loi de programmation de la justice prévoit d'ores et déjà quelques changements.

Le constat n'est pas nouveau, et il est une nouvelle fois réaffirmé par la Cour des comptes dans les observations qu'elles a transmises hier au gouvernement : les 211 conseils de prud'hommes (CPH) français traitent trop lentement les affaires qui leur sont soumises. En moyenne, un dossier prend 16,3 mois en 2022, contre 9,9 mois en 2009.

Une aggravation paradoxale : depuis plusieurs années, les affaires soumises au juge prud'homal sont en effet en chute libre. Comme on le voit dans le tableau ci-dessous, le nombre d'affaires traitées par les conseils est passé de 148 000 en 2016 à 102 000 en 2020, soit une baisse de 20%. Notons au passage qu'à l'inverse, il y a toujours plus d'affaires concernant les salariés protégés notamment après les ordonnances de 2017 créant le CSE (+ 120% de 2019 à 2020 !).

On peut voir dans la baisse du nombre d'affaires prud'homales l'effet des réformes législatives qui ont asséché la source des contentieux (avec notamment le nouveau mode de rupture du contrat comme la rupture conventionnelle) mais sans doute aussi l'effet d'un découragement certain de la part des salariés devant une procédure jugée moins accessible (ce point n'est pas abordé par la Cour des comptes) et longue, et peut-être moins intéressante, du fait de l'instauration d'un barème obligatoire pour la fixation des dommages et intérêts du salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.  

Un taux d'appel jugé trop important

Le taux d'appel, c'est-à-dire la proportion des décisions prud'homales contestées par l'une des parties au conflit, s'élève à 60%, soit un pourcentage "bien plus important que les autres contentieux civils", observe la Cour selon laquelle ce taux "contribue aux difficultés de fonctionnement" des juridictions d'appel.

Un taux d'appel à relativiser cependant au regard de la nature paritaire de la juridiction et des conflits du travail, avec deux parties (employeur et salarié) qui peinent à s'accorder.

En cas d'appel, il faut en moyenne un délai de 24,6 mois pour traiter une affaire (contre 13,5 mois pour l'ensemble des affaires civiles), un délai qui s'ajoute à celui déjà long des prud'hommes. "La durée totale d'une affaire, en cas d'appel, est en moyenne d'un peu moins de 4 ans", déplore le rapport de la Cour des comptes qui admet toutefois la complexité grandissante des dossiers et un problème de moyens déployés par les cours d'appels sur les contentieux prud'homaux. 

Un conseil de la prud'homie sous-employé 

Pour la Cour, cette situation pourrait être améliorée. Comment ? Le rapport suggère 9 points (lire notre encadré) dont le principe général pourrait se résumer ainsi : viser une "approche transversale" entre les administrations judiciaires et la direction générale du travail.

Le Conseil supérieur de la prud'homie (CSP), "dont le rôle et la structure doivent évoluer" pour intégrer "des professionnels de terrain", à savoir un magistrat de cour d'appel, un magistrat d'un tribunal judiciaire et un greffier, devrait avoir davantage de place, notamment pour actualiser l'indemnisation des conseillers, jugée trop faible.

La Cour note que le rôle actuel du CSP est parfois purement formel et s'avère quoi qu'il en soit trop limité : un projet suscitant un avis unanimement négatif n'en est pas moins adopté d'une part, et, d'autre part, certains sujets ne sont pas traités. Le rapport cite "la performance des CPH (..), les questions de départage, d'appel et de cassation (..), la situation des greffes" ou encore "la question des bonnes pratiques professionnelles et de leur diffusion".

Une approche "transversale" et un meilleur "pilotage" des CPH

La Cour réclame également des indicateurs "pertinents et fiables", un suivi précis des effectifs au sein des greffes (un point noir souvent soulevé par les juges prud'homaux depuis 2020), et "un travail plus approfondi et organisé" entre les conseils de prud'hommes et les tribunaux judiciaires d'une part et les cours d'appel d'autre part.

 Des objectifs fixés par contrat entre cour d'appels et CPH

 

 

Cela pourrait passer par la formalisation de protocoles, "allant au-delà des dispositions énoncées par le code du travail, pour définir les modalités de fonctionnement communes : dimensionnement du greffe, fixation des dates d'audience, délais de mise à disposition des dossiers, locaux pour accueillir les juges départiteurs, bilan annuel quantitatif et qualitatif du départage".

Le rapport suggère de fixer par contrat entre les cours d'appel et les conseils prud'hommes "des objectifs en termes de nombre et délais de jugements", et de prévoir des renforts "en moyens humains, greffiers placés ou personnels contractuels, lorsque c'est nécessaire pour soutenir les conseillers, juges non professionnels".

Une nouvelle refonte de la carte prud'homale

Deux autres points devraient susciter sans doute de vives réactions.

L'un suggère de faire élire en début de mandat, donc pour 4 ans, un président par collège en leur confiant alternativement la prérogative de président et de vice-président, comme l'a déjà envisagé le ministère de la justice. Bénéfice attendu : un meilleur pilotage des conseils.  

L'autre point concerne la suggestion d'une nouvelle "refonte de la carte des conseils prud'hommes" et de leurs conseils, le rapport envisageant des regroupements pour les CPH "dont l'activité est trop faible".

La formation continue des conseillers

Soulignons, à l'inverse, un motif de satisfaction adressé par la Cour des comptes au monde prud'homal : la nouvelle formation initiale des conseillers. Mais c'est aussitôt pour regretter la faiblesse de la formation continue des conseillers. La Cour des comptes n'aime guère les formations dispensées par les organismes de formation agréés (comme les instituts régionaux du travail) et leur préférerait une action directe de l'École nationale de la magistrature (ENM).

Le rapport préconise donc une évolution "en confiant à l'ENM l’élaboration d’un schéma directeur et l’évaluation qualitative et quantitative du dispositif de formation" continue des conseillers, un schéma qui pourrait s'accorder avec la volonté du ministère de la justice et de la direction générale du travail non pas de supprimer les organismes agréés mais "d'esquisser un dispositif, complémentaire à celui des partenaires sociaux, comportant deux volets, l'un faisant interveir l'ENM et l'autre mis en oeuvre au niveau des cours d'appel et des tribunaux judiciaires".

Un projet de loi au Parlement

Dans sa conclusion, le rapport de la Cour des comptes demande au ministère de la justice d'engager "sans délai un plan de redressement des conseils prud'hommes". Reste à savoir ce que reprendra le gouvernement. L'Assemblée doit justement examiner, lors de la session extraordinaire de juillet, le projet de loi d'orientation et de programmation de la justice que vient de voter le Sénat le 13 juin.

Ce texte prévoit déjà quelques dispositions sur les prud'hommes notamment sur  :

  • la désignation des conseillers (lire notre article),
  • sur les sanctions qui pourraient viser les conseillers même après la cessation de leur mandat (de façon à lutter contre une forme d'impunité au cas un conseiller mis en cause démissionne). 

A l'initiative des parlementaires, d'autres dispositions ont été ajoutées comme :

  • une obligation de déclaration d'intérêts pour les conseillers dans un délai de 2 mois à partir de leur entrée en fonction (art. 8 bis);
  • la fixation d'un âge limite (qui serait de 75 ans) pour l'exercice du mandat de conseiller (art. 8 ter);
  • la limitation à 5 mandats : un conseiller ayant rempli 5 mandats ne pourrait plus être désigné pour un sixième (art. 8 ter);
  • une disposition sur la parité entre femmes et hommes (art. 8 quater). Actuellement, une forme de représentation proportionnelle des deux sexes existe pour le renouvellement des conseillers prud'hommes (art. L. 1441-19). Cette règle serait généralisée pour toutes les désignations et assouplie pour les désignations complémentaires afin de pourvoir plus facilement les sièges vacants lorsque la règle de parité empêche la désignation d'un homme ou d'une femme : "Dans le cas du dépôt d'une liste incomplète de candidats, l'organisation peut désigner des candidats d'un même sexe jusqu'à 50 % de la totalité des sièges qui lui sont attribués et en cas de nombre impair de sièges attribués, jusqu'à 50 % plus un siège". 

 

Les 9 recommandations de la Cour des comptes 
1. Allonger la durée minimale de mandat de président et de vice-président du conseil des prudhommes et renforcer leur rôle dans la programmation et le suivi des formations initiale et continue des conseillers.
2. Réaliser chaque année un état des effectifs des greffes par conseil de prud’hommes.
3. Inciter les chefs de cours et de juridictions à conclure des protocoles avec les conseils de prud’hommes afin de renforcer leurs articulations (départage, appels, retours d’appel) et de préciser les conditions de fonctionnement de ces derniers (objectifs et moyens).
4. Élargir la composition du conseil supérieur de la prud’homie à un magistrat d’une cour d’appel, un magistrat d’un tribunal judiciaire et un greffier.
5. Réformer le dispositif de formation continue des conseillers prud’hommes en confiant à l’École nationale de la magistrature.
l’élaboration d’un schéma directeur et l’évaluation qualitative et quantitative du dispositif de formation.
6. Faire un bilan de la mise en oeuvre par les conseils de prud’hommes des modifications apportées en matière de conciliation et de mise en état des affaires et accompagner les conseillers prud’hommes par la diffusion de guides méthodologiques et de bonnes pratiques, ainsi que des notes d’analyse de jurisprudence.
7. Établir pour chaque conseil de prud’hommes des indicateurs de qualité permettant d’apprécier les taux d’appels, d’infirmation et de confirmation des jugements.
8. Donner aux conseillers prud’hommes l’accès à Portalis et aux bases documentaires nécessaires à leur mission dans le respect des règles de sécurité du ministère de la justice.
9. Engager la refonte de la carte des conseils des prudhommes et des sections qui les composent en envisageant les regroupements des conseils et sections dont l’activité est trop faible ; solliciter à cet égard les propositions du Conseil supérieur de la prud’homie.
 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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