Pour un regard et un accueil bienveillants

Pour un regard et un accueil bienveillants

28.04.2017

Action sociale

Notre série « A voix haute » veut donner la parole à ceux qui n'ont longtemps pas eu voix au chapitre : ceux qu'on nomme "usagers", "bénéficiaires", ou encore "personnes accompagnées"... Parce qu’il a connu la précarité, Aldo Maggiore a fait de l’accueil des exclus dans les structures sociales son cheval de bataille. Et relaie leur parole, à Toulouse et au-delà.

Hasard du calendrier, la rencontre a lieu le jour de l’ouverture du 3e procès de l’usine AZF. Le 21 septembre 2001, l’explosion tua 31 personnes et fit des milliers de blessés et de sinistrés. Parmi eux, Aldo Maggiore. « En une demi-seconde, j’ai perdu ce que j’avais mis 30 ans à construire », raconte-t-il. Sa maison détruite, il sauve l’essentiel : ses cinq enfants, qu’il envoie chez des amis. Puis, l’enfer commence : maison pillée, vols de papiers, divorce… A l’époque ferrailleur et réparateur, il loge sur son chantier dans un mobil-home, « puis plusieurs mois dans ma voiture, car un espace réduit, c’est moins dur à chauffer ». Perte de clients, soucis avec les assurances : la précarité s’installe. Un ami lui propose de l’héberger, cela durera plusieurs mois. « En 2010, j’ai découvert la galère du 115. En quatre mois, je n’ai obtenu que quatre nuits d’hôtels. Un soir, on m’a dit : « vous avez de la chance, j’ai une place pour vous à Saint-Gaudens ». Il était 20h, j’étais loin de la gare : comment aurais-je pu me rendre à 100 kilomètres de Toulouse ? », s’indigne-t-il.

Né pour aider les autres

Cette colère, Aldo Maggiore la porte toujours en lui. Elle est l’une des faces de cet homme de 70 ans, qui en fait dix de moins malgré les galères. L’autre, c’est son empathie, sa profonde considération pour l’être humain. « J’ai toujours aimé les gens et m’occuper d’eux. Une de mes filles m’a dit un jour : « Papa, on dirait que tu es né pour aider les autres ». Deux faces, comme dans la chanson d’un autre toulousain, Nougaro : « Vie violence, ça va de pair, les deux se balancent, paradis enfer ». La violence a commencé enfant : abandonné, élevé dans l’Oise par un ami paternel maltraitant, dont le souvenir des sévices est toujours trop présent, le jeune Aldo se sauve à Paris à 12 ans et demi. Il sera récupéré par un autre ami paternel, bienveillant cette fois, qui l’emmènera au Maroc, puis il reviendra en France à 17 ans. Il s’engagera ensuite dans l’armée, au 9ème Régiment des chasseurs parachutistes. La caserne est à Toulouse, il y poursuivra sa vie.

L'aventure de la maison Goudouli

En 2010, après plusieurs mois sans toit, il obtient une place dans un foyer d’hébergement, à 500 mètres de son ancien chantier. Il prête ensuite main forte à la maison Goudouli, cet immeuble désaffecté réquisitionné pour loger les grands précaires, faute de solutions d’hébergement suffisantes à Toulouse. « Une travailleuse sociale avait compris qu’il fallait que je m’occupe. Pendant plusieurs mois, j’ai donc été présent dans la maison, j'y ai lancé plusieurs activités ; le contact humain était formidable. Puis, quand le lieu a été pérennisé, on m’a dit qu’on n’avait plus besoin de moi ». Avec beaucoup d’amertume, il rejoint alors le centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de la rue d’Antipoul, où une place lui a été réservée. Il y passera six ans, jusqu’à son accès récent à un appartement dans une maison relais.

"J'apprends qu'il existe la loi 2002-2"

A « Antipoul », sa seconde vie démarre. Il donnera enfin la mesure de son goût des autres. « Je me rends compte que les horaires de fermeture sont très durs pour les gens à la rue : de 9h à 17h nous devions être dehors. J’apprends qu’il existe la loi de 2002 et les conseils de la vie sociale (CVS). Il n’y en n’avait pas dans la structure. J’en parle avec le directeur, qui est un type bien, et les travailleurs sociaux. Et je le mets en place. Cela a engendré de nombreuses améliorations ». Ouverture du CHRS à 15h au lieu de 17h, mise à disposition de matériel de nettoyage dans chaque chambre, utilisation plus tardive de la télévision commune. « Ce sont des petites choses, mais elles comptent énormément dans le quotidien. Plutôt que de se plaindre dans les couloirs, de critiquer sans faire avancer, le CVS permet de discuter dans un cadre ».

Le CCRPA, Un moyen de lutte

Aldo Maggiore découvre alors le Conseil consultatif régional des personnes accueillies (CCRPA). Ces instances de discussion, soutenues par la Fédération des acteurs de la solidarité, l’Uniopss et l’Armée du salut, ont été créées pour mieux entendre la parole des personnes accompagnées dans les structures. Il y trouve un moyen d’expression mais surtout de lutte. « Avant, comme tous les citoyens, je regardais la précarité sans la voir. Quand je l’ai vécue, j’ai compris que c’était difficile de survivre. Personne ne voit cet incroyable effort que l’on fait pour se cacher, même quand tout le monde nous voit. Parce qu’on a honte, honte de passer pour des imbéciles qui n’ont pas su s’en sortir ».

Il découvre aussi que les professionnels du « social » ont « trop souvent oublié de demander aux gens qui vivent la précarité comment il faudrait faire pour que ça se passe mieux. Dans le regard, l’accueil, la manière de parler aux gens, parfois devant tout le monde, on est tout de suite rabaissé à la condition de précaire ». Ce côté « dominant-sachant, qui te fait comprendre que si tu n’es pas content tu peux prendre la porte », le marque profondément.

Agenda de ministre sans langue de bois

Alors, attiré par l’agora des CCRPA, la possibilité de faire remonter les besoins aux travailleurs sociaux et aux acteurs institutionnels, il devient rapidement délégué régional. « J’ai mis les pieds dedans et n’en suis plus parti », décrit ce porte-parole des exclus. Réunions régionales et nationales, visites d’établissements, conférences, séances de travail dans les ministères : toujours par monts et par vaux, Aldo Maggiore a désormais un agenda de ministre. Sans la langue de bois : fidèle à lui-même, il dit toujours ce qu’il pense, quitte à fâcher, même devant les gens « importants ». Pas râleur, jamais hâbleur, juste défenseur tenace de ceux qui n’osent pas parler ou ne sont pas entendus. Cela lui vaut une reconnaissance et une série d’invitations à co-construire les politiques de l’hébergement.

Sa dernière victoire : le décret du 26 octobre 2016, qui donne une identité officielle aux comités consultatifs et pour lequel il a bataillé, avec d’autres, pendant plusieurs mois. Une preuve que le travail en concertation permet d’avancer. Aujourd’hui, tout à sa retraite bien méritée, Aldo Maggiore est donc bien décidé à continuer son combat pour « mettre en valeur l’être humain dans le social, l’accueil bienveillant et le droit à la parole ». Sans rien lâcher de sa colère ni de son empathie.

 

Pourquoi cette série "A voix haute" ?

Depuis plusieurs mois, nous nous intéressons, à travers notre série "En quête de sens", aux interrogations, découragements et enthousiasmes de travailleurs sociaux sur leurs métiers aujourd'hui chahutés. Il nous a paru logique de faire entendre, en regard, ceux qui expérimentent directement, du fait d'une situation de vulnérabilité provisoire ou permanente, des dispositifs sociaux ou médico-sociaux pensés pour eux... mais pas toujours avec eux.

Les temps changent toutefois : aujourd'hui, la parole des « usagers » de l'action sociale et médico-sociale est plus et mieux prise en compte, voire encouragée. La loi 2002-2 et ses outils de participation sont passés par là. Les concepts d'empowerment et de pair-aidance infusent peu à peu. Beaucoup reste à faire, mais une idée s'est imposée : premières expertes de leur vécu, les personnes accompagnées ont des choses à dire. Et les professionnels et décideurs, beaucoup à gagner à les écouter.

 

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Laetitia Delhon
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