Pourquoi le CSE central d'EDF finance une campagne de communication contre le projet Hercule

Pourquoi le CSE central d'EDF finance une campagne de communication contre le projet Hercule

26.01.2021

Représentants du personnel

Vent debout contre le projet Hercule qui entend réorganiser l'activité d'EDF en plusieurs entités, les organisations syndicales des électriciens préparent un cinquième mouvement de grève pour le 10 février appuyé sur le lancement, aujourd'hui, d'une vaste campagne de communication financée par le CSE central d'EDF. Les explications de Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE central d'EDF.

Avant de parler de votre action contre le projet "Hercule", pouvez-nous dire comment vous êtes devenu secrétaire du CSE central d'EDF, un groupe qui emploie 131 000 personnes en France  ?  

C'est une longue histoire ! J'ai suivi l'école des apprentis d'EDF entre 1984 et 1986. A cette époque, on vous apprenait non seulement le métier technique sur le bout des doigts -comme ouvrier professionnel en centrale thermique, j'ai fait de la chaudronnerie, de la thermodynamique, etc.- mais on vous apprenait aussi "la fibre sociale" d'EDF. Il y avait un attachement très fort au service public, et on vous faisait découvrir les textes qui régissent le statut de l'entreprise et du personnel. J'ai travaillé pendant longtemps dans le milieu des services techniques en centrale nucléaire, à Flamanville (Manche), dans les essais des salles de machines et des réacteurs. Et puis un jour, je suis devenu représentant du personnel en CMP, l'ancêtre des CE, j'ai pris plusieurs mandats et j'ai fini par devenir le secrétaire général du syndicat CGT de Flamanville pendant 14 ans.

 Comme délégué syndical central, j'ai négocié le passage aux CSE

 

J'ai ensuite été sollicité par la fédération mines et énergie de la CGT pour entrer au CCE d'EDF SA. C'était il y a dix ans, en mars 2011. Jusqu'en 2019, j'ai été le représentant syndical CGT au CCE. En 2019, comme j'étais aussi délégué syndical central, j'ai été amené à négocier le passage des IRP au CSE (il y a 47 CSE chez EDF SA, sans compter Enedis) et notamment le passage au CSEC, le comité social économique central d'EDF, dont j'ai été élu secrétaire lors de sa mise en place, en décembre 2019. Au CSEC d'EDF, pour lequel nous employons 6 salariés qui sont des agents mis à disposition, nous sommes concentrés sur les questions touchant à l'organisation du travail, à l'économie, aux politiques sociales (emploi, formation, handicap, etc.). Tout ce qui est oeuvres sociales est géré chez nous par la CCAS, la caisse centrale d'activités sociales de la branche IEG (industries électriques et gazières) qui regroupe 256 entreprises. Nous n'avons donc aucun budget pour les activités sociales et culturelles.  

Qu'avez-vous éprouvé en devenant secrétaire du CSE central d'EDF ?

Je me suis dit que c'était une sacrée responsabilité, mais comme j'avais l'habitude d'en porter, des responsabilités, ça allait ! Plus sérieusement, je me suis dit qu'avec le changement des IRP, et le passage des DP, CHSCT et CE aux CSE, on allait devoir affronter un chantier énorme autour des questions de santé au travail.

 Le besoin de formation, avec 75% de nouveaux élus, est énorme

 

Au niveau central, nous avons une commission santé, sécurité conditions de travail (CSSCTC) et une commission centrale sur la politique sociale qui ont une charge énorme. Avec 75% de nouveaux élus, le besoin de formation de ces nouveaux élus était très important.  Et la crise sanitaire est venue encore compliquer tout cela. Malgré tout, grâce à l'engagement fort des 25 membres du CSEC - et nous avons beaucoup de jeunes et de femmes-, cela fonctionne.

Pourquoi les organisations syndicales d'EDF s'opposent-elles au projet Hercule ? Quel est pour vous l'enjeu essentiel ? 

Malgré toutes les tentatives de division de la part de notre direction, les 4 organisations syndicales représentatives chez EDF, la CGT, la CFE-CGC, la CFDT et FO, qui sont regroupées depuis 18 mois en intersyndicale, sont unanimement opposées à ce projet depuis le début. L'objectif commun est de ne pas laisser la direction démanteler EDF avec ce projet. L'enjeu essentiel pour nous est de maintenir EDF comme entreprise intégrée, c'est-à-dire de ne pas séparer la vente, l'activité commerciale d'EDF, de la production.

Ce projet casse toute la complémentarité d'un groupe intégré. C'est le début d'un processus de privatisation 

 

 

Avec le projet Hercule, la direction envisage en effet de créer trois sociétés (EDF Bleu, EDF Vert et EDF Azur) au lieu d'une aujourd'hui (EDF SA), chacune ayant des objectifs différents (lire notre encadré), la société regroupant les activités commerciales, réseaux et services ("EDF Vert") voyant son capital ouvert à hauteur de 35%. C'est pour nous le début d'un processus de privatisation. Ce qui est grave, c'est que ce projet passe par la séparation des 3 activités de production dans 3 sociétés différentes, ce qui casse toutes les complémentarités et synergies. Cela nous paraît dangereux sur le plan économique mais aussi sur le plan technologique, puisque le nucléaire serait dans une société, l'hydraulique dans une autre, et les énergies renouvelables dans une autre encore. Enfin, l'ensemble de la production nucléaire serait livré au marché dès la sortie du transformateur, c'est-à-dire à l'ensemble de la concurrence, ce qui est une façon de privatiser cette production ! 

Le PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy, a promis que le statut des IEG serait conservé. Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de mener une action revendicative corporatiste ?

Cette promesse du PDG et du gouvernement n'en est pas une dans la mesure où la loi ne les autorise pas à passer le personnel qui travaille pour des entités d'EDF sous un autre statut que celui des IEG, sauf à filialiser les activités encore davantage que ne le prévoit le projet.

Ce n'est pas une grève corporatiste, c'est une opposition à un démantèlement 

 

 

Donc la question du statut ne se pose pas. Il est donc curieux de voir qu'on nous avance cet argument du maintien du statut, et de constater que jamais notre PDG n'a autant parlé de notre statut, lui qui auparavant répétait sans cesse qu'il fallait le modifier ! Nous ne sommes de toute façon absolument pas dans une grève corporatiste, il s'agit pour nous de s'opposer à un démantèlement. S'il n'y avait en jeu que des questions statutaires, je peux vous dire que cela provoquerait une grève très forte avec une baisse de production telle que cela réglerait tout de suite la question.  

En quoi ce projet concerne aussi, selon vous, les salariés qui ne travaillent pas à EDF ?

S'il était mis en oeuvre, ce projet entraînerait une ouverture du capital d'EDF et donc une augmentation des prix pour les usagers. En effet, depuis que le processus d'ouverture à la concurrence a été engagé en 2004, nous avons observé une augmentation de 50% des tarifs de l'électricité alors que cette évolution devait faire baisser les tarifs. D'autre part, en séparant les filières de production, on va encore complexifier le secteur car il faudra mettre en place des interfaces rémunérées (éléments de régulation et de contrôle des capacités, traders, etc.), ce qui pèsera, au final, sur la facture.

EDF a assuré l'indépendance énergétique de la France. Nous sommes en train de perdre cette sécurité 

 

 

Il y a enfin l'argument de la souveraineté énergétique. Comment des grands projets industriels dans le domaine de l'énergie vont-ils pouvoir demain tenir la route avec différentes sociétés anonymes indépendantes ? Depuis la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, nous continuons à perdre de la sécurité énergétique (qualité et garantie d'approvisionnement du réseau), on l'a vu à plusieurs reprises récemment. La force d'EDF était justement d'avoir assuré l'indépendance énergétique de la France, et nous sommes en train de la perdre.

 Demain, les 8 000 emplois des plateaux clientèle vont-ils rester en France ?

 

 

Enfin, EDF a encore aujourd'hui ses plateaux clientèle basés en France, alors que tous nos concurrents ont installé leurs centres à Madagascar ou d'autres pays à faible coût de main d'oeuvre. Si demain on coupe de la production notre activité commerciale qui emploie 8 000 salariés, on va plonger aussi dans ce dumping social.

Quelle action conduisez-vous, en tant que secrétaire du CSE central d'EDF, pour tenter d'éviter l'application de ce projet ?

Nous lançons ce mercredi 27 janvier une campagne médiatique qui a pour titre "pour une énergie publique" (1). Dans 30 grandes villes de France et dans de nombreuses villes moyennes, nous faisons une campagne d'affichage que l'on retrouvera également cette semaine dans des encarts de presse publiés dans une soixantaine de titres.

Nous menons une grande campagne de communication 

 

Nous allons relayer ces messages sur les réseaux sociaux et nous créons également un site internet spécifique (energie-public.fr). Il s'agit d'informer le public et d'amener les citoyens à signer une pétition demandant le maintien d'EDF dans la sphère publique. Nous menons également une campagne de communication interne. Nous sommes plutôt dans une action préventive car pour l'instant, nous ne connaissons pas le détail d'Hercule. Il nécessite un projet de loi, mais ce texte n'est pas connu, hormis quelques ébauches présentées aux fédérations syndicales. Ce projet n'a par ailleurs fait l'objet d'aucun processus d'information-consultation au sein du CSE central. Si nous en arrivions là, il est évident que le comité utiliserait alors tous les outils à sa disposition contre ce projet. Mais nous n'en sommes pas là. Nous exerçons une veille médiatique et politique sur cette affaire et nous échangeons avec des parlementaires. 

Vous mobilisez donc des moyens importants...

Cette campagne est payée par le CSEC car nous estimons que cette action rentre dans les prérogatives de l'instance, et nous verrouillons toutes nos décisions avec un cabinet d'avocat.

Nous avons voté un budget de 500 000 euros 

 

Nous avons voté à l'unanimité des membres et des organisations syndicales un budget de 500 000€, sachant que les dépenses engagées n'atteignent pas ce montant. Je précise que nous avons au sein du comité une commission des moyens qui a débattu de tout cela. Il est clair que nous "tapons" sur notre trésor de guerre. Depuis dix ans, nous gérons le comité en ayant en tête qu'un jour ou l'autre, vu les attaques que nous subissons et vu les projets de privatisation, nous devrions disposer de moyens pour nous défendre. Nous prévoyons toujours deux exercices comptables d'avance pour ne pas être pris de court. 

Qu'attendez-vous de votre campagne ?

Nous souhaitons sensibiliser les citoyens à l'avenir du service public de l'énergie en France, de les amener à refuser le projet Hercule et de les convaincre d'agir en signant notre pétition en vue d'un référendum d'initiative populaire. Nous voulons mener une action plus forte encore que celle suscitée par le projet de privatisation d'Aéroports de Paris, car l'électricité concerne vraiment tout un chacun. 

Ce projet est-il rendu nécessaire par l'exigence d'ouverture à la concurrence des barrages formulée par la commission européenne ?

Depuis 2015, la commission européenne demande en effet aux Etats d'ouvrir à la concurrence leurs barrages hydroélectriques. Le gouvernement dit que son projet Hercule pourrait préserver les concessions hydrauliques d'EDF. Mais nous estimons qu'il ne faut pas marchander avec la commission européenne.

La dérèglementation a poussé à la hausse le prix de l'électricité 

 

Celle-ci ne cesse de vouloir dérèglementer le marché de l'électricité et de l'énergie, et EDF est l'antithèse de ce que prône la commission dans le sens où c'est justement parce qu'elle est une entreprise intégrée qu'EDF génère des flux financiers permettant de mener à bien des investissements. Depuis le temps que la commission promeut cette dérèglementation, il serait temps d'en faire le bilan. Cette politique a-t-elle profité aux usagers ? Non car le coût de l'électricité a augmenté ! Aux salariés ? Non car le dumping social s'est installé ! A la collectivité ? Non car les milliards d'euros dépensés en fusions-acquisitions entre énergéticiens n'ont produit aucun mégawatt supplémentaire ! Il n'y a que les traders qui sont satisfaits de ce nouveau marché. Il faudrait avoir le courage de s'opposer à la commission.

Mais la France n'est-elle pas tenue de se mettre en conformité par rapport aux textes européens sur l'hydraulique ?

Non, certains pays comme l'Espagne ont considéré que la gestion de l'eau (assurer le niveau des étiages pour garantir l'alimentation en eau potable et les différents usages de l'eau, veiller au refroidissement des centrales, etc.) devait être à l'abri du marché et ils ont pris des législations protectrices. C'est une carte à jouer, de même que les SIEG, les services d'intérêt économique général.

Comment vivez-vous, en tant que secrétaire d'un CSE et militant syndical, cette période de crise sanitaire ? 

Le dialogue social se poursuit, les instances représentatives du personnel font leur job, mais dans des conditions très difficiles. Lors du déconfinement, pour la réunion du CSE central, nous n'avons pas pu siéger à Saint-Ouen car la salle est trop petite pour permettre une distanciation entre les membres. 

Les instances et les élus font le job, mais les conditions sont difficiles 

 

 

Nous avons dû tenir cette réunion à Saclay, qui est le centre de formation d'EDF, où nous avons pu siéger avec des distances énormes entre les personnes. Personnellement, cela fait 8 mois que je n'ai pas mis les pieds à ma fédération ! En temps normal, la vie militante passe par des échanges, notamment entre les réunions, et cette fluidité est essentielle pour le débat d'idées dans le monde syndical. Là, nous menons des réunions en télétravail à un rythme effréné mais nous perdons toute cette fluidité.

 Malgré la crise sanitaire et le télétravail, les salariés se mobilisent

 

La bonne surprise compte tenu de ces conditions, c'est de voir que les agents ont répondu au pari que nous avions fait de relancer une mobilisation des personnels dans cette période contre le projet Hercule. Nous avons enregistré des niveaux de mobilisation supérieurs à ceux d'avant la crise sanitaire. Des dizaines de milliers de salariés d'EDF sont en télétravail et pourtant, ils s'inscrivent dans un mouvement de grève. C'est historique dans la mesure où la grève est une démarche collective et une dynamique avec des ateliers ou des collectifs de travail qui débrayent tous ensemble. 

(1) Un mouvement intersyndical est prévu le 10 février. Avant cette date, la CGT a aussi appelé pour sa part à une grève le jeudi 28 janvier.

 

Trois EDF au lieu d'une ?

Baptisé du nom du demi-dieu romain Hercule, le projet du PDG d'EDF Jean-Bernard Levy, qui nécessite l'adoption d'un projet de loi dont le texte n'est pas encore finalisé ou du moins connu, s'inscrit dans le contexte de l'ouverture à la concurrence de l'énergie voulue par la commission européenne. Ce projet, conçu en 2019 pour être lancé début 2022, prévoit la scission du groupe EDF en trois entités :

  • un EDF "Bleu" qui comprendrait les activités nucléaires et le réseau de transport de l'électricité (RTE) et qui serait détenu à 100% par l'Etat;
  • un EDF "Vert" qui inclurait les forces commerciales, le réseau de distribution Enedis ainsi que les énergies renouvelables, une société contrôlée par l'Etat mais dont 35% du capital serait privé;
  • un EDF "Azur" logeant les activités hydrauliques (barrages par ex.).

Pour les défenseurs du projet, cette réorganisation permettra d'apporter de nouveaux capitaux à EDF, très endettée, alors que l'entreprise doit mener d'importants travaux de rénovation de son parc nucléaire. Ces changements supposent pour être conduits que soit revu le système de fixation du prix de vente de l'électricité issu du nucléaire, afin qu'EDF puisse vendre cette énergie à d'autres fournisseurs.

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
Bernard Domergue
Vous aimerez aussi