PPL fraude sociale : le Sénat fait marche arrière

PPL fraude sociale : le Sénat fait marche arrière

02.06.2016

Action sociale

Finalement, la proposition de loi sur la fraude sociale présentée par le groupe des Républicains a été retirée de l'ordre du jour alors que son examen avait démarré. Cet événement inédit a été rendu possible par la fronde du groupe centriste, emmené par l'Auvergnat Gérard Roche, en désaccord avec la stigmatisation des allocataires du RSA.

Le Palais du Luxembourg a vécu un événement assez inédit dans la soirée du 31 mai. Alors que la proposition de loi (PPL) "visant à améliorer l'accès aux droits et à lutter contre la fraude sociale" (lire notre article de présentation) avait commencé à être examinée en séance publique, la suppression de son article 1 a provoqué son retrait de l'ordre du jour. Les services du Sénat que nous avons interrogés nous ont signalé deux propositions de loi de 2011 et de 2015 retirées définitivement de l'ordre du jour suite à des problèmes de constitutionnalité. Là, il s'agit d'un vrai problème politique, cette PPL n'ayant pas pu dégager une majorité sénatoriale.

"Le RSA, outil de solidarité"

Que s'est-il passé exactement ? Lors de l'examen en commission des affaires sociales, le 25 mai, la gauche s'était opposée, sans surprise, à ce texte ("profondément idéologique, répressif et inquisiteur", selon le sénateur Yves Daudigny), mais elle avait trouvé un soutien, pour le moins inattendu, en la personne de Gérard Roche, élu de la Haute-Loire, membre du groupe Union des démocrates et indépendants (UDI-UC). Devant ses pairs, l'ancien président du conseil général de Haute-Loire s'exclamait : "Des voix s'élèvent pour supprimer le RSA, récemment qualifié de « cancer de la société française » par une personnalité politique bien connue de mon département [Laurent Wauquiez, NDLR]... Or c'est un outil de solidarité qui honore notre pays".

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Trois points de blocage

Il avait déjà déposé, à titre personnel, des amendements de fond sur des dispositions qui le "choquaient". "D'abord, il n'est pas possible d'attendre huit à douze mois qu'un dossier de RSA soit complet pour que la personne puisse le toucher. Comment va faire la femme veuve ou divorcée avec enfants ?", explique cet ancien médecin de campagne de tradition démocrate-chrétienne. En effet, le texte déposé par Eric Doligé, au nom des Républicains, prévoyait de ne verser ce revenu que si toutes les conditions étaient réunies, afin d'éviter la difficulté pour les départements de récupérer des indus.

D'autre part, le parlementaire auvergnat s'indignait que la charte de la citoyenneté doive être signée par les seuls personnes en difficulté, ces "gens frappés par le destin", comme il dit. Et enfin, la volonté d'imposer du travail bénévole aux allocataires lui apparaissait comme une volonté de "punition", bien loin d'une démarche d'insertion. D'ailleurs, le terme de "travail d'intérêt général" n'est-il pas celui qui est utilisé pour les condamnés ? Mais ces amendements n'ont pas été retenus, la gauche ayant décidé de ne pas prendre part au vote.

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Morceaux choisis d'un texte aux multiples facettes

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Mobilisation des opposants au texte

Avant l'examen en séance, le 31 mai, les opposants au texte sont sortis du bois. Quatre poids-lourds de la solidarité (Emmaüs, Fnars, Secours catholique et ATD Quart monde) sont montés au créneau en expliquant que "le Sénat se trompait de combat". Le matin du vote, ces quatre associations ont organisé une conférence de presse au Sénat à l'invitation d'Aline Archimbaud (écologiste). Mais ce qui va être déterminant se passe lors de la réunion du groupe UDI-UC, quelques heures avant le vote définitif. "Pratiquement l'ensemble de mes collègues ont soutenu mes amendements", explique Gérard Roche. L'affaire était dès lors quasiment pliée : sans le soutien des 42 sénateurs centristes, le groupe des Républicains ne pouvait trouver une majorité sur son texte initial, l'ensemble des autres groupes (socialistes, communistes, écologistes et radicaux) y étant hostiles.

Chasse aux pauvres... ou pas

L'examen du texte a cependant débuté en séance plénière, chacun y allant de ses arguments bien connus. La rapporteur de la commission des affaires sociales, Catherine Imbert (LR) a pu ainsi expliquer que ce texte tente de relever deux défis : "la crise des finances départementales" et "la crise de la solidarité qui met en péril la cohésion sociale". La sénatrice de Charente-Maritime a refusé catégoriquement le procès fait sur "la chasse aux pauvres". Ce à quoi a répondu la secrétaire d'Etat Ségolène Neuville : "Cette proposition de loi, dans son titre, laisse croire qu’elle vise à améliorer l’accès aux droits et à lutter contre la fraude sociale. Il n’y est pourtant pas question d’accès au droit." La gauche a renchéri en expliquant que "les fraudes prétendues sont souvent dues à des erreurs ou des omissions" (Laurence Cohen, PC) et en s'étonnant qu'"il n’y a rien dans ce texte pour lutter contre le non-recours" (Evelyne Yonnet, PS).

"La fraude des pauvres est une pauvre fraude"

Aline Archimbaud, de son côté, a rappelé la formule du Conseil d'Etat : "La fraude des pauvres est une pauvre fraude". Le sénateur centriste Gérard Roche a donné le coup de grâce en concluant son intervention ainsi : "Ne voulant abandonner personne sur le bord de la route, la plupart de mes amis du groupe UDI-UC et moi-même ne voterons pas cette proposition de loi". Après le rejet de l'article 1 prévoyant que le paiement du RSA doit être conditionné à la fourniture de toutes les pièces, la commission des affaires sociales a donc décidé de retirer cette PPL.

"Ballon d'essai pour 2017"

Chez les associations, on se félicite que la mobilisation a payé. Pour autant, pas question de baisser la garde ! "Ce texte se voulait un ballon d'essai pour 2017, assure Florent Guéguen, le DG de la Fnars. Il s'agit là de politiser le sujet et d'instrumentaliser la situation des pauvres." Le responsable de la Fnars explique que sur le terrain, les associations sont confrontées à des démarches du même tonneau. "Dans le Haut-Rhin, par exemple, le conseil départemental leur demande de mettre en place le bénévolat forcé".

Quel avenir pour la PPL ?

Quant au texte du Sénat, rien n'indique qu'il est totalement abandonné. "Techniquement, il pourrait être représenté, nous assure le groupe Les Républicains. Mais rien n'a été décidé pour l'instant." De son côté, Gérard Roche n'a pas l'intention de céder. "Je suis en guerre contre certains élus qui vilipendent le "cancer de la société" que serait le RSA." Même s'il ne s'est pas fait que des amis à la droite de l'hémicycle en faisant échouer la PPL, il assume son positionnement qu'il qualifie de "centriste" : "Le rôle du politique, ce n'est pas de suivre l'opinion publique, mais de la guider."

Noël Bouttier
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