Ce 28 février, elle pétillait, Roselyne Bachelot, lors de son intervention devant une centaine de responsables de l'Uniopss, à l'occasion de sa journée de réflexion consacr��e au projet de société. Elle pétillait, comme ces élèves turbulents qui reviennent voir leurs anciens camarades avec qui ils ont gentiment bataillé. De ses échanges constructifs - ce qui n'empêchait l'expression de désaccords sérieux - avec le contre-pouvoir associatif qu'est l'Uniopss, l'ancienne ministre des gouvernements Raffarin et Fillon a gardé de bons souvenirs. En vertu de l'adage "qui aime bien, châtie bien", elle n'hésite pas dès lors à faire part de ses critiques et de ses conseils.
70 ans et un nouveau nom
Cette année 2017 est stratégique pour l'Uniopss : elle va devoir mettre en place la stratégie plus combative issue de son congrès de Montpellier (mars 2016), alors même que de nouvelles majorités présidentielle et législative (ce pourrait ne pas être les mêmes) devraient sortir des urnes printanières. Et en 2017, l'organisation issue des chantiers de la reconstruction de la France d'après-guerre, fête ses 70 ans. Elle devrait d'ailleurs en profiter, a annoncé son président Patrick Doutreligne (lire son portrait) pour changer de nom, sans doute en simplifiant un sigle interminable (1).
Au coeur des politiques sociales locales puis nationales
Revenons à l'ancienne ministre, devenue à l'aube de ses 70 ans, chroniqueuse radio (elle continue à siéger dans différents conseils d'administration associatifs, précise-t-elle). Celle qui a fait, au début des années 80, ses premiers pas en politique en devenant conseillère générale du Maine-et-Loire dans une assemblée composée alors de vieux notables ruraux a participé activement à la construction d'une compétence départementale en matière d'action sociale. "Au début, les responsables associatifs nous disaient, à juste titre, qu'ils savaient mieux que nous", glisse-t-elle. Deux décennies plus tard, elle a vécu de l'intérieur les mutations de l'Etat social. Roselyne Bachelot a d'ailleurs porté une loi de modernisation, la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoire), qui a notamment institué les agences régionales de santé (ARS). Interrogée par l'assistance, elle dit regretter leur "technocratisation".
"Ne vous enfermez pas dans un dialogue avec les politiques !"
Dans un climat politique tendu, Roselyne Bachelot voit poindre différents nuages pour le mouvement associatif : "Je perçois trois types de dangers. D'une part, le spontanéisme de la démocratie, avec l'omniprésence des réseaux sociaux, peut vous mettre en difficulté car vous faites partie du pouvoir", a-t-elle expliqué. D'autre part, elle s'inquiète de la financiarisation du secteur. Et de raconter que de nombreux footballeurs avec qui elle s'est entretenue, investissent leur fortune dans les... Ehpad lucratifs. Enfin, poursuit-elle, la montée du nationalisme et du racisme peut grandement fragiliser un tissu associatif associé aux strates du pouvoir. "Vous avez intérêt à ne pas vous enfermer dans un dialogue singulier avec les politiques", conseille l'ancienne ministre.
Affirmer des valeurs fortes
Pour sortir d'une posture défensive, l'Uniopss a choisi pour ce rendez-vous électoral de changer de fusil d'épaule. Fini les interminables listes de revendications, ces listes à la Prévert que plus personne ne lit ! L'organisation a choisi de définir un projet de société avec des valeurs fortes, et de demander aux candidats de se positionner par rapport à celui-ci. Quatre candidats, François Fillon, Emmanuel Macron, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, ont été invités à s'exprimer, Marine Le Pen n'ayant pas été conviée (lire l'encadré). Parmi les grands axes de ce projet de société estampillé Uniopss, on retiendra "la solidarité en actes" avec l'objectif de permettre "l'accès de tous aux droits de tous", "la participation de tous à un projet commun", le "refus des inégalités", "la prévention, pivot des politiques publiques", etc.
Fillon veut une loi de programmation anti-pauvreté...
En fait de candidats, les responsables de l'Uniopss ont eu droit à du second choix, avec leurs représentants (plus ou moins informés des enjeux du médico-social). Ouvrant le bal, la députée Isabelle Le Callenec - qui s'était déjà exprimée au nom de François Fillon devant la Fondation Abbé Pierre - a redit que la lutte contre la pauvreté supposait un retour au plein emploi. Le candidat des Républicains entend prolonger la dynamique de l'actuel gouvernement en faisant voter une loi de programmation sur cet axe. La députée bretonne reprend à son compte l'ensemble des desiderata des associations en matière de lutte contre la pauvreté : participation des publics, dossier social unique, extension de la loi Zéro chômage de longue durée (qui a fait l'objet d'un consensus à la tribune de l'Uniopss), etc.
... mais reste flou sur des points sensibles
Dans un souci réel de ne pas faire de vagues, la représentante de Fillon ne dit pas si le candidat compte généraliser l'idée (entre autres) du président du conseil départemental du Haut-Rhin d'assortir le versement de l'allocation sociale unique (qui, sur le modèle du rapport Sirugue, fusionne différents minima sociaux) à une contrepartie en heures de bénévolat obligatoire. Isabelle Le Callenec reste également très vague sur les moyens pour mettre en oeuvre l'objectif de réduire le nombre de fonctionnaires de 500 000 en 5 ans. Elle parle simplement de la possibilité d'obtenir "des gains de productivité via une réorganisation des services" et d'une "augmentation du temps de travail".
Un professionnel pour représenter Macron
Pour porter la voix d'Emmanuel Macron, le candidat En marche a délégué Christophe Itier (lire son interview réalisée en 2016), l'actuel directeur général de la Sauvegarde du Nord, fer de lance des si controversés contrats à impact social. Le propos est charpenté, nourri de l'expérience de cet acteur important de l'ESS, mais il se perd parfois dans des considérations techniques de professionnels du secteur, quelque peu éloignées des enjeux plus larges des politiques publiques. Le représentant d'Emmanuel Macron souligne la "schizophrénie" ambiante : "On nous dit partout que nous sommes des piliers de la République, mais nous nous retrouvons avec des coupes budgétaires et des retards dans le versement des subventions."
Priorité aux innovations...
En marche préconise dès lors de sécuriser "l'écosystème" du secteur, en refondant les relations entre les financeurs et les organismes gestionnaires. Il s'agit de donner plus de latitude aux managers et aux équipes pour déployer des trésors d'inventivité afin de répondre aux nouveaux défis. Mesure-phare d'En marche pour le champ médico-social : créer un accélérateur national d'innovations sociales pour améliorer les financements et faciliter leur essaimage.
... et à la lutte contre les inégalités territoriales
Face aux inégalités territoriales qui s'accélèrent, Emmanuel Macron préconise de doubler le nombre de maisons médicales et de d'accorder 15 milliards d'euros à cette dimension d'aménagement du territoire, par exemple en luttant contre la fracture numérique. Il propose également d'instaurer des coffres-forts numériques, ce qui, selon le comptage de Christophe Itier, économiserait 20 % de temps de travail aux travailleurs sociaux.
Hamon veut élargir le périmètre de la Sécu...
Jérôme Guedj représentant de Benoît Hamon affirme clairement que la priorité donnée par son candidat au social permet de mettre en second plan les questions identitaires qui gangrènent la société française. Même s'il ne cache pas avoir eu des réserves par rapport au revenu universel (lire notre enquête) promu par Benoît Hamon (2), il estime que cette proposition a permis de mettre au centre des débats la question sociale. Pour Benoît Hamon, explique l'ancien président du conseil départemental de l'Essonne, l'enjeu est d'élargir "le périmètre de la sécurité sociale". Il propose dès lors d'aller vers une automaticité des droits sociaux : "Les outils qui ont été mis en place pour lutter contre la fraude sociale peuvent servir à verser automatiquement les allocations."
... et créer un bouclier des services publics
Critiquant le "concours Lépine de la réduction de la dépense publique" entre François Fillon et Emmanuel Macron, Benoît Hamon entend s'engager sur un bouclier des services publics : personne ne devra être à plus de 30 mn d'un service public essentiel (CAF, Pôle emploi, hôpital, etc.). Il insiste sur le fait que l'ambition environnementale (interdiction des pesticides, des perturbateurs endocriniens, du diesel) est le meilleur moyen d'aller vers des politiques sociales plus préventives.
Priorité absolue à la lutte contre la pauvreté pour Mélenchon...
Restait ensuite au représentant de Jean-Luc Mélenchon de s'exprimer. Malgré les envolées lyriques dignes du leader des Insoumis, Alexis Corbière peine à sortir des généralités. Dénonçant l'augmentation de la pauvreté et la mort de plus de 500 personnes dans la rue, le porte-parole de Mélenchon estime que la politique de son mentor vise à faire de la lutte contre la pauvreté la priorité absolue. Sur les 100 milliards d'euros que le candidat compte débloquer pour financer son programme, il souhaite en affecter un tiers dans ce combat. Il préconise la création d'une 5e branche de la Sécurité sociale.
... avec une approche très étatiste
Assumant une vision assez étatiste de la solidarité, le représentant de J.-L. Mélenchon entend défendre le retour de l'Etat, y compris dans les politiques d'action sociale. Au point de minimiser le rôle que jouent les associations pour secouer les routines administratives et imposer de nouvelles façons de faire. "Vous savez que vous êtes devant l'Uniopss ?", a ironisé Philippe Frémeaux, ancien directeur de la rédaction du mensuel Alternatives économiques, qui questionnait les candidats, ou du moins leurs représentants.
(1) Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux
(2) Jérôme Guedj a soutenu, pendant la campagne des primaires, Arnaud Montebourg qui a multiplié les attaques contre cette proposition de Hamon.
L'Uniopss face au FN |
La représentante du Front national n'a pas été invitée à s'exprimer devant l'Uniopss (comme cela a été le cas lors du congrès de la Fédération des acteurs de la solidarité ou de la grande manifestation de la Fondation Abbé Pierre). Patrick Doutreligne a expliqué que le débat avait été réel au sein des instances de l'Uniopss sur cette question, certains membres considérant qu'il valait mieux inviter le FN pour démonter l'indigence et la dangerosité de ses propositions. Finalement, l'idée de ne pas donner de tribunes à ce parti extrémiste l'a emportée, mais de justesse.
Et que fera l'Uniopss si Marine Le Pen devient présidente de la République. "Nous sommes des républicains donc nous accepterons le choix des Français", assure son président. Mais il ajoute : "Nous ne serons lu dans la co-construction des politiques publiques. Et dès qu'une mesure sera contraire à nos valeurs, nous entrerons en résistance."
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