Nous avons demandé séparément à deux élus du personnel de la même entreprise, TDA armements (320 salariés près d'Orléans), leurs réactions et analyses sur la situation sociale et syndicale française, marquée par le conflit social autour du projet de loi Travail. Voici leurs réponses.
Au niveau confédéral, la CFDT et la CGT ont des positions opposées concernant le projet de loi Travail. La CFDT revendique avoir obtenu des changements importants (retrait du barème prud'homal obligatoire, élargissement au périmètre international pour les licenciements économiques, par exemple). La confédération soutient désormais un texte jugé "équilibré", Laurent Berger ayant même qualifié "d'inacceptable" l'hypothèse d'un retrait du texte au motif qu'il comportait des avancées pour les salariés (compte personnel d'activité, instance de dialogue pour la franchise, par exemple).
Pour sa part, la CGT organise manifestations, grèves et blocages pour contraindre le gouvernement à retirer un texte jugé toujours dangereux pour l'avenir des droits des salariés. Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, dénonce notamment la prééminence donnée aux accords d'entreprise au motif que cela provoquera un moins disant social entre les entreprises. La CGT appelle d'ailleurs (avec FO, Solidaires, FSU, etc.) à une nouvelle journée d'action le 14 juin et compte faire voter les salariés, dans les entreprises et les administrations, sur le projet de loi Travail. On pourra vérifier l'étendue de ces divergences ce lundi soir en écoutant RTL, la station programmant un débat entre Laurent Berger et Philippe Martinez de 19h15 à 20h.
Mais ces différences se retrouvent-elles à la base ? Nous avons interrogé deux délégués syndicaux CFDT et CGT appartenant à la même entreprise, le site TDA Armements, filiale de Thalès, à la Ferté-Saint-Aubin, où la CFDT réalise 65% des voix et la CGT 35% (mais 50% dans le collège ouvrier). Il s'agit de Thibault Bonnefis, également DP et élu CE, et Armelle Bruant, également représentante syndicale au CE. Comment ces deux DS jugent-ils le projet de loi travail et que pensent-ils de la situation sociale, syndicale et politique ? Voici leurs réponses.
Ce qui nous semble important, à la base, c'est de voir les changements concrets que peut entraîner cette loi. Notre section syndicale a donc trouvé un peu précipitée la réaction très positive de la confédération dès la présentation de la deuxième mouture du projet. Notre section a jugé la position de la CFDT un peu précipitée
![]() Une majorité de la section a jugé que ce texte n'allait pas dans le bon sens et que ce n'était en tout cas pas une grande loi de progrès social. Nous avons fait remonter ces critiques et il y a eu des débats dans les instances. Après, il y a la position de la confédération que nous respectons. C'est vrai qu'il y a aussi du positif dans le projet avec l'augmentation du crédit d'heures pour les délégués syndicaux (*) et le CPA (compte personnel d'activité) mais il faudra regarder de près quelles en seront les modalités d'application. Regardez la BDES (base de données économiques et sociales), sur le papier, c'est une bonne idée mais elle n'est pas entrée dans les moeurs dans les entreprises. (*) Ndlr : le crédit d'heures mensuel du délégué syndical passerait, avec la loi Travail, de 10h à 12h de 50 à 150 salariés, de 15h à 18h de 151 à 499 salariés, et de 20h à 24h à partir de 500 salariés. |
Pour moi, ce projet réalise un retournement complet de la logique du droit du travail. Le code du travail ne serait plus là pour garantir un travail adapté à l'homme. Au contraire, son but serait d'adapter l'homme au travail ! On ne peut accepter une telle modification du droit du travail
![]() On ne peut pas accepter une telle modification. Au nom des intérêts économiques de l'entreprise, on accroît la précarité des salariés, que ce soit via les accords offensifs de l'emploi, l'augmentation du temps de travail ou le changement de rémunération des heures supplémentaires. Ce projet ne fait d'ailleurs que répondre aux demandes de l'Europe qui veut voir les Etats aller vers davantage de flexibilité du marché du travail, ce qui signifie une remise en cause des droits des salariés. |
Sans aucun doute. Il y a deux ans, un accord signé par la CFDT et la CFE-CGC (Ndlr : le syndicat n'est plus représentatif dans l'entreprise) a augmenté le temps de travail pendant 18 mois. Mais au moment de la renégociation de cet accord, en mai 2015, une grève des salariés a empêché sa reconduction. Avec la loi Travail, on pourrait nous imposer un accord du groupe
![]() Avec le projet de loi Travail, notre groupe, Thales, pourrait négocier directement avec les délégués syndicaux centraux un accord groupe qui s'appliquerait à notre entreprise même si les salariés y sont défavorables. On peut aussi imaginer dans l'entreprise qu'un autre syndicat signe complaisamment un accord moins favorable pour les salariés sur les heures supplémentaires. On nous dit que ce ne serait pas l'intérêt d'un syndicat de signer un tel texte. Mais regardez ce qui se passe au niveau politique : malgré une opinion majoritairement hostile au projet de loi Travail, le gouvernement veut quand même faire passer ce texte ! |
Dans notre société, la CFDT est majoritaire (65% des voix) et donc nous ne signerons pas d'accord rétrograde pour les salariés. Nous ne signerons pas d'accord rétrograde pour les salariés
![]() C'est pourquoi l'importance donnée à la négociation d'entreprise ne nous gène pas. Dans notre groupe, le dialogue social est institutionnalisé et nous avons l'habitude de négocier, mais ce n'est pas la même chose dans les PME. En revanche, le dispositif prévu pour la médecine du travail nous inquiète car il nous paraît plus léger que ce qui existe actuellement et on risque de passer à côté de personnes en souffrance au travail. Par ailleurs, notre section est contre l'idée de référendum dans l'entreprise pour valider un accord collectif, même si ce référendum est demandé par des organisations syndicales, car cela signifie une perte d'influence des élus. . |
Je trouve que la situation actuelle apporte de la clarté sur les différences entre les organisations syndicales. D'un côté, il y a les syndicats comme FO, la CGT, la FSU, etc. qui défendent les droits des salariés. De l'autre, il y a des organisations, comme la CFDT, qui viennent en renfort du gouvernement pour l'aider à faire passer son projet de loi. La CFDT vient en renfort du gouvernement !
![]() On nous parle de négociation collective en disant que le texte va apporter un peu plus d'heures aux délégués syndicaux pour négocier (*). Cela intéresse peut être les délégués syndicaux qui considèrent que leur mission est d'abord de discuter avec le patron. Mais moi, en tant que DS CGT, je considère que ma première mission est de savoir comment vivent les salariés au travail. C'est deux conceptions différentes du syndicalisme. Je crois que le conflit ne se résoudra qu'avec le retrait du texte. La mobilisation va s'amplifier car les salariés dans les entreprises commencent à être outrés par ce gouvernement qui n'écoute pas l'opinion majoritaire du pays. |
C'est un jeu à plusieurs bandes. La CGT joue son avenir, elle essaie de montrer sa capacité à mobiliser. C'est un peu comme si elle faisait déjà campagne pour les élections de fin 2016 dans les TPE (très petites entreprises). Si elle ne réalise pas un bon score à ces élections (*), elle risque de perdre sa place de première organisation syndicale française en 2017. La CGT est déjà en campagne pour les élections TPE
![]() Si elle obtient du gouvernement le retrait du texte, la CGT aura gagné et la CFDT sera mise en porte-à-faux pour avoir soutenu le texte au côté du gouvernement. Maintenant, vu la période de fin du quinquennat de Hollande, si le gouvernement cède, les 12 mois qui restent à vivre avant les élections de 2017 vont être très pénibles. Personnellement, je ne crois pas trop à l'argument : "Si la loi El Khomri est retirée, nous aurons bien pire en 2017 avec l'alternance". Je crois que de toutes façons, quand on regarde les propositions des candidats à la primaire de droite, nous aurons un projet allant bien au-delà de l'actuel projet de loi. C'est sans doute en 2017 qu'il faudra se mobiliser. (*) Ndlr : en 2012, la CGT avait réalisé 29,54% des voix aux élections TPE, contre 19,26% pour la CFDT (voir notre article) |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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