En dépit des critiques syndicales, le projet de loi El Khomri contient toujours une nouvelle définition du licenciement pour motif économique. Pour rassurer les employeurs, la réécriture du code du travail réduit en particulier le pouvoir d'appréciation du juge sur la réalité des difficultés économiques de l'entreprise.
Sécuriser les licenciements économiques pour réduire le contentieux. Lever les craintes des employeurs pour favoriser les embauches en CDI plutôt qu'en CDD. Tels sont les impacts économiques et sociaux positifs que produira, assure le gouvernement, la nouvelle définition du licenciement pour motif économique au sein du projet de loi Travail (article 30).
Cette réécriture de l'article L. 1233-3 du code du travail a cristallisé, avec le barème d'indemnités aux prud'hommes (notre encadré ci-dessous), les mécontentement lors des mobilisations syndicales ce mois. Or l'article 30 du projet de loi El Khomri n'a été que légèrement remanié à l'issue des récentes concertations entre le gouvernement et les organisations syndicales. Le texte présenté jeudi dernier en Conseil des ministres opte la rédaction suivante :
Article 30 du projet de loi, page 114 : "Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutive notamment : 1°) A des difficultés économiques, caractérisées soit par une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs en comparaison avec la même période de l'année précédente, soit par des pertes d'exploitation pendant plusieurs mois, soit par une importante dégradation de la trésorerie, soit par tout élément de nature à justifier de ces difficultés ; 2°) A des mutations technologiques ; 3°) A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité ; 4°) A la cessation d'activité de l'entreprise. La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise. L'appréciation des difficultés économiques, des mutations technologiques ou de la nécessité d'assurer la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise s'effectue au niveau de l'entreprise si cette dernière n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun aux entreprises implantées sur le territoire national du groupe auquel elle appartient. Ne peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif économique les difficultés créées artificiellement à la seule fin de procéder à des suppressions d'emplois." |
Que faut-il retenir de cette réécriture ? D'abord qu'il n'y a concrètement pas de nouvelle cause de licenciement pour motif économique. Les causes 1°) et 2°), à savoir les difficultés économiques et les mutations technologiques, sont déjà prévues par la loi. Les motifs 3°) et 4°) correspondent à la codification de règles dégagées par les juges : "La notion de "réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité" est reprise dans les termes exacts de la jurisprudence au mot près (ici), se défend le ministère du Travail dans l'étude d'impact. Et la notion de "cession d'activité de l'entreprise" est intégrée dans les termes de la jurisprudence de la Cour de cassation (ici) et du Conseil constitutionnel (ici)".
Mais l'absence de nouvelle cause de licenciement n'empêche pas le gouvernement de procéder à d'importants changements, comme la caractérisation beaucoup plus fine de la notion de "difficultés économiques". "L'absence de délimitation du champ des motifs valables de licenciement est une source d'insécurité juridique tant pour les salariés que pour les entreprises alors même que les difficultés économiques ont été invoquées dans 49% des PSE homologués ou validés depuis l'entrée en vigueur de la loi de sécurisation du 14 juin 2013, s'inquiète le gouvernement. De surcroît, en parcourant les jurisprudences, les mêmes critères sont parfois retenus, parfois écartés".
Pour davantage encadrer le travail du juge judiciaire, le projet de loi explique donc ce que l'on doit entendre par "difficultés économiques" :
- une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs avec la même période de l'année précédente (la négociation de branche ne pourra pas prévoir moins de deux trimestres consécutifs, et faute d'accord de branche cette période sera de quatre trimestres) ;
- des pertes d'exploitation pendant plusieurs mois (la négociation de branche ne pourra pas prévoir moins d'un trimestre, et à défaut d'accord collectif cette période sera d'un semestre) ;
- une importante dégradation de trésorerie ;
- tout élément de nature à justifier de ces difficultés.
"Les petites et moyennes entreprises, du fait de services de ressources humaines limités, ne bénéficient pas toujours d'appui ou de conseils juridiques. Elles ne sont donc pas en mesure d'apprécier les contours jurisprudentiels du motif économique. Elles pourront ainsi s'appuyer sur des dispositions claires et immédiatement opérationnelles du code du travail", argumente le ministère du Travail dans l'étude d'impact.
Par ailleurs, le texte gouvernemental restreint le périmètre d'appréciation du motif du licenciement :
- le périmètre d'appréciation de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail est celui de l'entreprise ;
- dans un groupe, le périmètre d'appréciation de la réalité des difficultés économiques, des mutations technologiques ou de la nécessité d'assurer la sauvegarde de la compétitivité sera le secteur d'activité commun aux entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient implantées sur le territoire français (et non plus à l'échelle européenne ou mondiale).
Ce dernier point, que les manifestants ne manqueront pas de fustiger ce jeudi 31 mars, est justifié ainsi par le pouvoir exécutif : "Quand bien même le groupe aurait les ressources suffisantes à court et moyen termes pour appuyer sa filiale, in fine une telle logique de "perfusion" financière conduit à une aggravation des difficultés de l'entreprise qui n'aura pas pu procéder à la réorganisation nécessaire à la poursuite d'une activité autonome, voire à sa survie, est-il argué. C'est l'emploi qui peut être pénalisé par des ajustements trop différés". Aux yeux du gouvernement, il en va de la capacité des entreprises françaises à attirer les investisseurs étrangers.
Un geste est néanmoins consenti à l'égard des syndicats avec l'ajout d'un dernier alinéa : "Ne peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif économique les difficultés créées artificiellement à la seule fin de procéder à des suppressions d'emplois". Cette formule, réécrite par le Conseil d'Etat à l'occasion de sa saisine pour la recentrer sur l'abus de droit, pourra servir de point d'appui au comité d'entreprise et à son expert lors des débats avec l'employeur, soulignait récemment le ministère du Travail. "Il peut s'agir par exemple du transfert de la trésorerie d'une filiale française au profit d'une autre filiale, d'allocations de charges communes excessives ou de choix stratégiques qui, manifestement, cherchent à organiser l'insolvabilité d'un site français, illustre l'étude d'impact. Dans ces cas, le licenciement sera sans cause réelle et sérieuse".
Indemnités aux prud'hommes : le plafond est retiré |
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Le gouvernement a en revanche accédé à la demande, unanime des syndicats de salariés, de retirer le plafonnement des indemnités aux prud'hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le barème initialement prévu n'a plus rien d'impératif. Les magistrats auront simplement à leur disposition le référentiel indicatif prévu par la loi Macron du 6 août 2015 mais dont le décret d'application n'est jamais paru. |
Permettre de licencier avant le transfert d'entreprise |
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L'article 41 du projet de loi revient sur l'interdiction faite de licencier avant un transfert d'entreprise. "Du fait de la jurisprudence, dès lors qu'une entreprise entame un PSE, si un repreneur se manifeste dans le cadre d'un processus de recherche de repreneur lancé parallèlement, le PSE est interrompu puisqu'il appartiendra alors au repreneur d'engager les licenciements nécessaires une fois la reprise réalisée, explique le ministère. Cette situation peut décourager le repreneur potentiel. Alors même que l'article L. 1224-1 du code du travail (qui prévoit le transfert automatique des contrats en cas de cession) a comme objectif la préservation des salariés, la mise en oeuvre systématique et généralisée de ses dispositions joue parfois contre la possibilité de préserver une partie des emplois grâce à une offre de reprise partielle", est-il déploré. C'est pourquoi le texte prévoit la possibilité d'une reprise partielle (et donc un transfert partiel des contrats de travail), mais pour les seules entreprises d'au moins 1 000 salariés et uniquement pour un PSE en vue d'éviter la fermeture d'un site. L'information/consultation du comité d'entreprise dans le cadre du PSE mis en oeuvre dans ce cadre sera renforcée. |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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