Projet de loi Travail : le texte issu de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale

Projet de loi Travail : le texte issu de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale

05.07.2016

Représentants du personnel

Le texte du projet de loi Travail que l'Assemblée examine à partir d'aujourd'hui en nouvelle lecture comprend de nombreux changements : neutralité religieuse dans le règlement intérieur, jours de congés supplémentaires, possibilité de prévoir par accord la subvention des CE au prorata des effectifs, anonymisation des accords collectifs, contestation de l'avis du médecin du travail, instance de dialogue social dans la franchise revue à la baisse, etc. Le texte comprend aussi les modifications sur les branches souhaitées par le gouvernement.

Les députés de la commission des affaires sociales, qui ont examiné en deuxième lecture le projet de loi Travail jeudi 30 juin, ont renvoyé à la discussion en séance de l'Assemblée nationale, à partir du 5 juillet, un texte très proche de la précédente version adoptée en première lecture grâce au 49.3, fort de 54 articles courant sur 211 pages. Les députés sont en effet revenus sur la plupart des changements importants votés par les Sénateurs mais ils ont retenu certaines dispositions sénatoriales et en ont modifié d'autres. Voici un aperçu de principaux changements opérés par la commission.

►L'Assemblée examine en deuxième lecture le projet de loi à partir d'aujourd'hui jusqu'au vendredi 8 juillet, le gouvernement pouvant à nouveau recourir au 49.3 pour écourter les débats. Le texte reviendra ensuite au Sénat à partir du 18 juillet, avant une lecture définitive à l'Assemblée le 20 juillet.

Les députés ont supprimé la plupart des changements importants introduits par les sénateurs comme :

- la fin des 35 heures et le renvoi de la fixation de la durée légale du travail à la négociation collective;

- le plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif;

- le relèvement des seuils sociaux (11 à 20 salariés pour les DP, 50 à 100 pour le CHSCT, suppression du plafond de 300 salariés pour la mise en place d'une DUP, etc.);

- la possibilité de conclure des conventions de forfait jours par voie unilatérale dans les entreprises de moins de 50 salariés;

- la compétence confiée à la Direccte sur les autorisations de dépassement de la durée quotidienne du travail (l'inspection du travail restera compétente);

- la suppression de l'obligation d'une charte d'entreprise (à défaut d'accord collectif) sur le droit à la déconnexion des salariés et leur sensibilisation "à un usage raisonnable des outils numériques";

- la suppression du contrat de génération (soit le maintien du contrat);

- un assouplissement du nombre de congés payés (ceux au-delà de 24 au lieu de ceux au-delà de 30 jours comme actuellement) qu'un salarié peut utiliser au titre du compte épargne-temps pour augmenter sa rémunération;

- la suppression d'une durée minimale hebdomadaire de 24h pour le travail à temps partiel;

- la création d'un CDI à objet défini jusqu'à 48 mois;

- la suppression de l'augmentation de 20% du crédit d'heures du délégué syndical prévue par le projet de loi;

- la suppression des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) pour les TPE;

- la possibilité pour le CE d'affecter l'excédent de son budget de fonctionnement au budget des activités sociales et culturelles;

- la suppression par le Sénat des nouveaux 6 facteurs de pénibilité entrés en vigueur le 1er juillet dernier;

- la suppression par le Sénat de la généralisation de la garantie jeunes;

- l'abaissement du forfait social de 20% à 16% pour la participation et l'intéressement;

- la suppression de l'ouverture aux retraités du compte personnel d'activité (CPA);

- la suppression de la nouvelle instance de dialogue social prévue dans la franchise dont l'ambition initiale était forte : voir notre encadré.

 

►La commission rétablit l'instance de dialogue social dans la franchise, instance très contestée par les organisations patronales, mais en restreignant de façon drastique son champ et sa portée (article 29 bis A). Sa mise en place est uniquement prévue pour les réseaux d'au moins 300 salariés en France, au lieu de 50 salariés. Les caractéristiques de l'instance (nombre d'élus, heures de délégation) ne sont plus du tout définies dans le projet de loi mais renvoyées à la négociation ou par défaut à un décret. Il n'est plus du tout question d'ASC non plus, ni d'ailleurs de délégué syndical. Son rôle essentiel : "L'instance est informée des décisions du franchiseur de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle des salariés des franchisés". Elle peut, par ailleurs, formuler "toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d'emploi et de formation".

Explication de l'auteur de ces changements, le rapporteur Christophe Sirugue, dans l'exposé des motifs de son amendement : "Cette instance, qui n'a pas vocation à se substituer aux IRP existantes (DP, CE, CPRI), aura pour mission de transmettre et d'échanger sur les décisions du franchiseur ayant un impact sur les conditions de travail du réseau. Au regard de la diversité des réseaux de franchise, la mise en place d'IRP dans ces réseaux fera l'objet d'un bilan 18 mois après la promulgation de la loi". Denys Robilliard, qui avait porté le texte initial au motif qu'il est "invraisemblable que les salariés ne soient ni consultés ni informés dans les réseaux structurés de franchise", dit avoir entendu les critiques formulées contre le texte initial jugé "trop brutal" par Christophe Sirugue. Le député s'est rallié à "cet amendement plus léger mais qui laisse beaucoup de place à un accord collectif".

 

Les députés ont en revanche maintenu quelques modifications du Sénat comme :

- La possibilité, par accord collectif, de répartir la subvention entre les comités d'établissement au prorata des effectifs au lieu de la masse salariale, pour plus d'équité (art.18 ter);

- 2 jours de congés supplémentaires pour les salariés apprenant le handicap d'un enfant (art. 2);

- 2 jours de congés pour les salariés ayant un enfant en situation de handicap (art. 3);

- 3 jours de congés au lieu de 2 en cas de décès d'un proche (concubin, conjoint, partenaire pacsé, frère ou soeur, père ou mère, beau père ou belle mère) (art. 2);

- l'exclusion des secteurs couverts par les caisses de congés payés de la possibilité de fixer leur propre période de référence par voie d'accord (art. 3);

- la fixation du délai de prévenance de 15 jours (à défaut d'accord) en matière d'astreintes (art. 2);

- la possibilité d'accorder une contrepartie sous forme de repos si le temps de travail entre le domicile et le lieu de travail est majoré du fait d'un handicap (art.2);

- la possibilité pour les demandeurs d'emplois, y compris les salariés inaptes et les travailleurs handicapés, de bénéficier du contrat de professionnalisation, à titre expérimental jusqu'au 31 décembre 2017 (art. 33);

- la possibilité pour tout salarié de solliciter une visite médicale "lorsqu'il anticipe un risque d'inaptitude dans l'objectif d'engager une démarche de maintien dans l'emploi" (art. 44);

- la possibilité (qui existe déjà aujourd'hui) pour l'employeur de recourir à des horaires individualisés si cela répond à la demande de certains salariés (art. 2) ;

- un suivi régulier de l'état de santé du travailleur de nuit, sa périodicité étant fixée par le médecin du travail (art. 44);

- lorsque le travail de nuit est incompatible avec des obligations familiales impérieuses, notamment avec la garde d’un enfant ou la prise en charge d’une personne malade chronique, handicapée ou dépendante, le refus du travail de nuit ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement (art. 44) ;

- la possibilité pour les négociateurs d'un accord emploi offensif de prévoir une clause de "retour à meilleure fortune", c'est à dire "les conditions dans lesquelles les salariés bénéficient d'une amélioration de la situation économique de l'entreprise à l'issue de l'accord" (art.11);

- l'obligation d'intégrer dans la base de données économiques et sociales (BDES) la part des femmes et des hommes dans les conseils d'administration ainsi que le rapport sur la RSE, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (art. 9);

- l'exclusion de la commande publique des personnes figurant sur la liste noire des entreprises condamnées pour travail illégal (art. 50 ter);

- la possibilité pour le règlement intérieur de l'entreprise de prévoir "des dispositions intégrant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ce restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché" (art. 1er bis A). Les députés ont supprimé la référence des sénateurs à l'accord d'entreprise au motif que "le règlement intérieur est un acte unilatéral" et qu'il est déjà soumis à l'avis du CE;

- la contestation par le salarié ou l'employeur de l'avis du médecin de travail sur une aptitude ou non du salarié ne se fait plus comme aujourd'hui devant l'inspection du travail ni devant le conseil de prud'hommes comme le prévoyait d'abord le texte, mais devant une commission régionale composée de 3 médecins du travail (art. 44);

- l'extension aux entreprises de moins de 50 salariés (au lieu de 10) de la déduction fiscale prévue pour la constitution de réserves destinées à régler d'éventuelles indemnités prud'homales (art. 29 bis);

- faute d'avoir déjà pris l'ordonnance prévue par la loi de simplification des entreprises de décembre 2014, le gouvernement devra dans les 9 mois suivant la promulgation de la loi Travail présenter au Parlement un rapport sur "la redéfinition, l'utilisation et l'harmonisation de notions de jours" en droit du travail (art. 5 bis).

Les députés ont intégré les amendements du gouvernement concernant les art. 1 et 13 :

- Art.13 : deux nouvelles matières (égalité professionnelle femmes-hommes et pénibilité) sont ajoutés aux quatre thèmes (salaires minima, qualifications, protection sociale complémentaire, contributions de la formation professionnelle) pour lesquels la loi prévoit que les accords d'entreprise ne pourront pas être moins favorables que les accords de branche;

- art.13 : les partenaires sociaux doivent engager dans les branches avant le 31 décembre 2017 une négociation portant sur la définition de l'ordre public conventionnel applicable dans leur branche. Un premier état des négociations doit être fait d'ici le 30 juin 2018. Cette négociation doit définir expressément :

- les thèmes sur lesquels les accords d'entreprise peuvent être moins favorables que les accords conclus au niveau de la branche. ;

- comment la commission paritaire de branche est informée des accords d'entreprise.

- art. 1 : la commission d'experts chargée de proposer d'ici 2 ans au gouvernement une réécriture d'ensemble du code du travail associera à ses travaux les partenaires sociaux "à travers des auditions et en s'appuyant sur les travaux du haut conseil du dialogue social". Ce dernier devra organiser "en son sein une réflexion collective sur la refondation du code du travail" et pourra s'appuyer pour cela sur l'expertise juridique de l'Etat. Objet de cette modification introduite par le gouvernement : garantir aux partenaires sociaux "qu'ils participeront à toutes les évolutions à venir du droit du travail" (lire notre article à ce sujet).

► Ces articles ne modifient donc pas les dispositions prévues à l'article 2 visant à donner la primauté à l'accord d'entreprise pour la rémunération des heures supplémentaires et pour l'organisation du temps de travail au-delà d'une année (jusqu'à 3 ans). L'article 2A, adopté en 1ère lecture à l'Assemblée, visant à ce que les commissions paritaires de branche dressent chaque année un bilan des accords conclus sur le temps de travail quant à l'impact sur les conditions de travail des salariés et la concurrence entre les entreprises d'une même branche, est même supprimé. Les députés considèrent que ce rôle est déjà confié aux branches par l'article 13. La majorité de la commission a par ailleurs refusé de suivre les députés qui considéraient qu'il fallait ajouter l'organisation et le temps de travail aux thèmes pour lesquels les branches doivent définir leur ordre conventionnel, c'est à dire ce à quoi il est possible de déroger par accord d'entreprise.

Les députés ont introduit notamment les modifications suivantes :

- A la demande d'un signataire d'un accord collectif (établissement, entreprise, groupe, branche), cet accord sera publié de façon anonyme dans la base de données en ligne (art. 7);

- si un accord de méthode est conclu au niveau du groupe prévoit que les négociations obligatoires se tiennent au niveau du groupe, les obligations de négocier des entreprises appartenant à ce groupe sont présumées remplies. C'est le cas aussi lorsqu'un accord conclu au niveau du groupe porte sur un thème de négociation obligatoire (art. 12);

- sur l'expertise CHSCT, les députés réintroduisent la possibilité pour le CE de prendre en charge les frais d'une expertise annulée en justice. Ils maintiennent une précision du Sénat prévoyant la suspension des délais de consultation du CE et du CHSCT jusqu'à la notification du jugement concernant la validité ou non d'une expertise (art. 17);

- la responsabilité sociale des plateformes numériques est affirmée. Leurs travailleurs doivent bénéficier d'une assurance en matière d'accidents du travail, d'un droit à la formation professionnelle et à la VAE (validation des acquis), "à la cessation concertée d'activité" et au droit de constituer un syndicat pour défendre leurs intérêts. En revanche, la nouvelle rédaction ne se prononce plus sur la nature juridique du lien entre la plateforme et les travailleurs, alors que la première version adoptée par l'Assemblée écartait tout lien de subordination entre la plateforme et le travailleur. "Il reviendra au juge de se prononcer lorsqu'il est saisi sur la nature de ce lien",  justifie l'auteur de l'amendement, Christophe Sirugue, dans son exposé des motifs (art. 27 bis);

- le droit d'alerte du médecin du travail est renforcé avec un article lui permettant de solliciter l'employeur pour que le CHSCT ou les DP soient saisis, le médecin pouvant saisir l'inspection du travail si l'employeur ne répond pas. L'amendement vise à renforcer la prévention collective pour entraver l'augmentation des TMS (troubles musculosquelettique) et des risques psychosociaux (art.44);

- la référence au rapport annuel d'activité établi par le médecin du travail pour les entreprises qu'il suit est rétablie dans la partie législative du code du travail car son absence "risque de créer une incompréhension pour les professionnels de la santé au travail, les entreprises et les représentants du personnel" (art. 44); 

- l'article 30 bis A, adopté en première lecture à l'Assembl��e, est supprimé. Il visait à permettre au bureau de conciliation et d'orientation des prud'hommes ou au bureau de jugement de fixer par ordonnance la clôture de l'instruction.

►Signalons à titre anecdotique l'adoption par la commission d'un nouveau titre pour le projet de loi. Ce texte ne s'appellerait donc plus "Nouvelles libertés et protections pour les entreprises et les actifs", mais : "Projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels". Un changement destiné, selon le rapporteur, "à mettre en adéquation l'intitulé du projet de loi avec le texte tel qu'il résulte des travaux de la commission".

 

Dialogue social : le projet reprend les idées du CESE

Les suggestions du CESE (conseil économique, social et environnemental), déjà reprises par les Sénateurs, sont maintenues dans la version de la commission des affaires sociales des députés. Il s'agit de :

- l'inclusion dans le rapport présenté au conseil d'administration des accords collectifs conclus dans l'entreprise et de leur impacts sur la performance économique et sur les conditions de travail des salariés (art. 20 ter);

- la remise d'un rapport fin 2016 sur "les voies de valorisation et de promotion du dialogue social" intégrant "une réflexion permettant une meilleure articulation des instances consultatives, une meilleure définition de leurs missions ainsi que l'amélioration du cadre et de la méthode de la négociation interprofessionnelle" (art. 7D);

- la remise tous les 5 ans, par le gouvernement au Parlement, d'un rapport, sur la base des travaux du CESE, sur l'état du dialogue social en France "et de sa dimension culturelle" (art. 20 quater);

-d'un enrichissement des accords sur la méthodologie de la négociation : ces accords devront définir les principales étapes du déroulement des négociations et pourront attribuer des moyens spécifiques (crédit d'heures ou expertise) aux représentants syndicaux (art. 7);

- la réalisation d'un bilan, d'ici un an, de la mise en oeuvre de la base de données économiques et sociales (BDES) et sur son articulation avec les autres documents d'information obligatoires sur l'information économique et sociale de l'entreprise (art. 9 ter );

- de la remise d'un rapport, dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi, sur les discriminations syndicales en France sur la base des travaux du Défenseur des droits (art. 16 ter.).

 

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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