Hier a débuté à l'Assemblée nationale l'examen du projet de loi Travail. Si la CFE-CGC fait pression sur les députés dans l'espoir d'infléchir le contenu du texte, la CGT, FO et Solidaires continuent d'appeler les salariés à se mobiliser pour obtenir son retrait. Hier, les deux stratégies ont cohabité, sans se mêler, sur l'esplanade des Invalides.
Scène inhabituelle hier à midi sur l'esplanade des Invalides à Paris, non loin de l'Assemblée nationale où, quelques heures plus tard débutera l'examen en séance publique du projet de loi Travail : d'un côté, la CFE-CGC mobilise quelques centaines de militants pour un rassemblement prévu depuis plusieurs semaines; de l'autre, les syndicats CGT, FO, Solidaires, FSU ou encore l'UNEF réunissent ici plusieurs milliers de personnes, auxquelles se joignent des participants de Nuit Debout, le choix du lieu ayant visiblement étant imposé par la préfecture pour des questions de sécurité.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
Côté CFE-CGC, une confédération qui n'était pas descendue dans la rue depuis la réforme des retraites de Fillon de 2010, le meeting prend les allures d'un rassemblement très sage, malgré la sono, avec de petits groupes de personnes, toutes revêtant un dossard blanc, discutant tranquillement dans un espace encadré par un cordon. Côté CGT-FO, une ambiance plus tonique et disparate avec un groupe musical monté sur scène et jouant le "So What?" de Miles Davis avec fougue, quelques camionnettes et ballons syndicaux. Une ambiance bon enfant qui n'empêche pas les sifflets et huées lancés par les jeunes et certains participants de Nuit Debout lorsque Philippe Martinez (CGT) prend la parole, certains criant "grève générale", ou lorsque le représentant d'un syndicat étudiant peine à couvrir les "Unef-Medef, même combat" dont l'abreuvent des lycéens.

D'un côté donc, des militants CFE-CGC venus dans le but de marquer les esprits et faire pression sur les parlementaires non pas pour le retrait du texte mais pour sa modification sur plusieurs points : "Nous faisons le pari du débat parlementaire", résume Carole Couvert qui assume haut et fort une stratégie de "la pédagogie". La présidente de la confédération (qui devra laisser sa place en juin prochain), a d'ailleurs confié hier qu'elle rencontrerait les responsables des groupes politiques PS, LR (Les Républicains) et UDI (centristes) avant le début de l'examen du projet de loi afin de soumettre ses idées d'évolution et d'amendements. Carole Couvert demande notamment le retrait de la nouvelle définition des licenciements économiques, le retrait du référendum, un mécanisme garantissant le respect de la hiérarchie des normes, l'idée de Christophe Sirugue d'une mission confiée en ce sens aux commissions paritaires de branches allant selon elle "dans le bon sens tout en n'étant pas suffisante". Et la CFE-CGC d'appeler de ses voeux un modèle de dialogue social à l'allemande.
En face, le ton est tout autre. Face aux sifflets de quelques jeunes -"c'est le jeu" nous glisse un syndicaliste aguerri- Philippe Martinez, récemment réélu secrétaire général de la CGT, a durci le ton. Tout en disant qu'il appartenait aux seuls salariés de décider une grève, le syndicaliste a évoqué la nouvelle journée d'action intersyndicale prévue le 12 mai et une possible "grève reconductible" pour obtenir le retrait du texte. Eric Beynel, pour Solidaires, s'est montré plus lyrique en appelant à la désormais fameuse "convergence des luttes", une convergence de nature selon lui à restaurer le crédit des organisations syndicales. Il a également vilipendé "la violence policière qui confirme la volonté du gouvernement de criminaliser l'action syndicale" et demandé à ce sujet une commission d'enquête indépendante sur les méthodes de maintien de l'ordre employées lors des manifestations.

Enfin, Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, a voulu dissiper la volonté que lui prêtait hier un article des Echos de trouver une porte de sortie au conflit sur le projet El Khomri, ce qui expliquerait qu'il n'appelle plus explicitement au retrait du texte. C'est pourtant ce qu'il a fait hier à la tribune en appelant à la poursuite de la mobilisation pour obtenir le retrait du texte. "Vous voyez", m'a alors glissé une militante FO interrogé quelques instants auparavant sur la stratégie de la confédération. Le leader de Force ouvrière a également sorti les griffes à l'égard du gouvernement qui célébrait ces jours-ci les 80 ans du gouvernement du Front populaire : "C'est une façon schizophrène de commémorer cet anniversaire car l'un des acquis du Front populaire, c'est bien le principe de faveur, à travers la loi du 24 juin 1936, un principe que le projet de loi El Khomri remet en cause".
Reste que les syndicats qui s'opposent au projet de loi Travail se posent la question de la poursuite de leur mouvement. Philippe Martinez a ainsi incité les salariés, "dans les entreprises", à envisager des grèves. Jean-Claude Mailly a évoqué d'autres rassemblements. So What ? Pour Ghislaine, déléguée CGT du CIC de Paris, il faut au minimum un retrait temporaire "afin de reprendre à zéro les négociations pour un nouveau texte". Cette hypothèse, elle y croit : "Ce projet n'est pas populaire dans l'opinion. Dans la banque, les salariés ne se mobilisent pas mais ils sont contre. On le voit bien à leurs réactions et à leurs questions quand nous distribuons des tracts dans les agences".

Nicolas Buatois, responsable CGT à la plateforme d'Orly des Aéroports de Paris, veut lui aussi croire à un abandon de la réforme : "C'est comme pour le CPE (contrat nouvelle embauche). Si nous continuons à nous battre, ils pourront peut-être faire adopter le texte mais ils ne pourront pas l'appliquer". Deux stratégies syndicales continuent donc de vivre séparément leur bonhomme de chemin. D'un côté, la CFE-CGC, comme la CFDT, la CFTC ou l'UNSA, misent sur les discussions politiques avec les parlementaires pour infléchir le texte, d'autant que la majorité politique semble loin d'être acquise. "En 2017, il y aura des élections législatives. Nous n'oublierons pas quelles auront été les positions des parlementaires sur ce projet", a averti hier Carole Couvert. De l'autre, CGT, FO, FSU et Solidaires jouent la mobilisation de rue pour tenter de faire échec au gouvernement, une mobilisation confrontée, en période d'état d'urgence, à une volonté de contrôle de la part des pouvoirs publics, d'autant que différents incidents ont émaillé certains cortèges. Le débat parlementaire se poursuit jusqu'au 17 mai, date du vote solennel à l'Assemblée nationale. Ensuite, le texte arrivera début juin au Sénat en commission des affaires sociales. Le gouvernement avait dit souhaiter une adoption en juillet de son projet.
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