Dans le Nord, les grèves et manifestations se multiplient parmi les travailleurs sociaux employés par le département. En cause, de nombreux postes non remplacés et le choix de la nouvelle majorité de supprimer 700 places en foyer.
« On a l’impression de contribuer à la maltraitance d’enfants que nous sommes censés protéger ». Citée par le journal La Croix, Soumia, assistante sociale de l’Unité territoriale de prévention et d’action sociale (Utpas) de Tourcoing-Roubaix, traduit bien la détresse de nombreux travailleurs sociaux du département du Nord, le plus peuplé de France.
Réduire le nombre de mesures judiciaires
Depuis l’arrivée aux affaires en 2015 du divers-droite Jean-René Lecerf, après des décennies de gestion socialiste, les services, sociaux notamment, du département sont en émoi. Pour remettre les finances départementales à flot, le nouveau président annonce clairement la couleur : serrage de ceinture via des réorientations vers le milieu ouvert. En matière de protection de l’enfance, la nouvelle majorité entend réduire le taux impressionnant de mesures judiciaires (94 % au lieu de 73 % à l’échelon national). Des chiffres contestés par les syndicats.
700 places transformées…
Dans cette optique, des familles d’accueil sont recrutées et formées. « Le département du Nord a lancé une vaste campagne de recrutement à l’été 2018 et 62 familles d’accueil sont agréées ou en cours d’agrément sur tout le territoire », explique le dossier de presse sur les politiques dédiées à l’enfance. Le département a fait le choix de transformer 700 places dévolues à l’accueil des enfants et adolescents en Mecs : la moitié est venue renforcer l’accueil des mineurs non accompagnés (MNA) et l’autre moitié est dévolue à des mesures de soutien éducatif à domicile.
…ou « accueil au rabais »
Cette présentation fait bondir Olivier Treneul, délégué syndical Sud. « Le département propose de plus en plus un accueil au rabais. Le prix quotidien d’une place en Mecs représente entre 180 et 220 euros alors que le prix de journée pour un MNA est de 63 €. Les jeunes étrangers sont placés à plusieurs dans des appartements sans présence permanente d’un éducateur. Dernièrement, une bagarre a éclaté dans un appartement entre jeunes et il a fallu l’intervention des voisins. » Sur le dossier des MNA, Jean-René Lecerf précise que 800 nouvelles places vont être ouvertes en 2019. « Je n’ai pas ménagé ma peine pour sensibiliser le gouvernement à la nécessité de modifier la clef de répartition nationale sur les MNA », explique-t-il dans un courrier aux agents départementaux.
Plus de transparence sur la mobilité
Sur le terrain, les choses se sont emballées ces dernières semaines. Cela a commencé début octobre quand dans une unité de Tourcoing, une promesse de titularisation d’un agent n’a pas été honorée, selon le délégué syndical. Une grève a lieu le 3 octobre dans cette unité. Cette affaire individuelle cristallise d’autres mécontentements. De nombreux postes ne sont plus pourvus sans que les agents sachent si c’est faute de candidat ou faute de volonté du département. « La nouvelle majorité a mis fin à la transparence dans la mobilité du personnel, déplore le syndicaliste. De plus en plus d’équipes ont été touchées par un turn-over important et par un non-remplacement. Rien que pour les unités de Roubaix et de Tourcoing, 70 postes ne sont pas pourvus. »
Élargissement du mouvement
La première grève va déboucher sur une assemblée générale plus large qui réunit 130 personnes. Une première manif a lieu le 9 octobre devant l’hôtel du département qui rassemble 150 personnes. Nouvelle manifestation le 16 octobre avec cette fois 400 personnes mobilisées. Les revendications du mouvement sont simples : la titularisation de cinq créations de poste à l’Utpas de Tourcoing et l’ouverture de négociations sur l’ensemble de la situation. Sur le deuxième point, le président Lecerf adresse une fin de non-recevoir aux agents. « Ce n’est pas un refus de négocier, se défend-il dans un courrier. Les élections professionnelles arrivent et, jusqu’au 6 décembre, la campagne des organisations syndicales, tout comme le choix des agents, doivent pouvoir se faire dans la plus grande sérénité. »
Maltraitances au quotidien
L’exaspération est à son comble : chacun a son histoire sur une maltraitance ou un mauvais accompagnement. C’est ce bébé qui patiente deux mois en maternité avant d’être placé. C’est cette jeune fille, menacée par la prostitution, à qui on ne trouve qu’une place dans une communauté Emmaüs, etc.
Nouveaux rendez-vous
Le mouvement prend de l’ampleur. Le 6 novembre, ce sont environ 800 personnes qui défilent dans les rues de Lille. D’autres rendez-vous sont d’ores et déjà pris : le 20 novembre, pour la journée internationale des droits de l’enfant, un rassemblement devrait se tenir devant l’Hôtel du département pour déposer 700 peluches (symbolisant les 700 places de foyer supprimées). Et le 11 décembre, une nouvelle mobilisation est prévue avec le renfort de délégations de travailleurs sociaux venus d’autres départements…
Soutien des magistrats
La question de la protection de l’enfance peut-elle s’inviter dans l’agenda politique ? Peut-être car la grogne est palpable dans d’autres départements, par exemple dans les Bouches-du-Rhône et la Seine-Saint-Denis. Les travailleurs sociaux du Nord enregistrent en tout cas un soutien de poids : les juges du Syndicat de la magistrature leur ont apporté leur soutien dans un communiqué : « Les décisions de placement sont exécutées avec retard faute de place ». De ce fait, poursuivent les magistrats, l’enfant revient très souvent dans son milieu familial « sans information ni autorisation préalable du juge ».