Le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) vient d'écrire au Premier ministre pour recevoir des assurances sur la poursuite de son travail engagé voici 6 mois. Le CNPE plaide pour un vrai engagement interministériel et sera vigilant sur le suivi de certains engagements. Les explications de Michèle Créoff, vice-présidente du CNPE.
tsa : Le Conseil national de la protection de l'enfance a souhaité s'adresser directement et très rapidement au Premier ministre. Pour quelles raisons ?
Michèle Créoff : Cette initiative s'explique directement par la jeunesse et l'originalité de notre instance. Le CNPE rassemble depuis six mois tous les acteurs de la protection de l'enfance. Cette politique est complexe et peu lisible pour le grand public dans la mesure où elle combine trois volets : c'est une politique décentralisée (avec le rôle central des départements), judiciaire (80 % des mesures sont prononcées par les juges pour enfant) et de santé publique. Pour qu'elle soit cohérente, cette politique doit avoir un pilotage national. Et elle ne peut s'inscrire que dans un cadre interministériel. C'est le sens de notre courrier à Edouard Philippe.
Votre courrier ne fait pas état de la suppression, jugée regrettable par de nombreux acteurs, de toute référence à l'enfance et la famille dans la composition du gouvernement. Pourquoi?
Le CNPE est composé de 82 membres venant de tous les horizons. En son sein, il n'existait pas de consensus pour réclamer un ministère ou un secrétariat d'Etat de plein exercice. Sur le plan symbolique, il est vrai, la disparition de toute référence à la jeunesse et à l'enfance peut apparaître gênante. Reste que l'important pour le CNPE, c'est vraiment de poursuivre cette dynamique interministérielle, avec ou sans ministre attitré. Sinon, le déni, le sentiment d'impuissance, la mise en avant des difficultés financières des uns et des autres ressurgiront.
Six mois après la création de ce conseil, le contexte vous semble-t-il favorable pour faire progresser la politique de protection de l'enfance ?
J'ai l'habitude de de dire que nous sommes dans un bon alignement des planètes. D'une part, nous avons une loi ambitieuse, celle du 14 mars 2016, qui favorise un repositionnement des dispositifs autour des besoins de l'enfant. D'autre part, nous avons participé à une démarche de consensus, la première dans notre secteur au niveau national, qui a permis justement de définir les besoins fondamentaux des enfants et les modes de prise en charge adaptés. S'ajoute à cela la création de notre conseil qui, de façon tout à fait nouvelle, couvre l'ensemble du champ de la protection de l'enfance. Dans un autre ordre d'idée, le contexte est également favorable sur le plan scientifique : aujourd'hui, on connaît beaucoup mieux les conséquences de la maltraitance de très jeunes enfants sur la constitution de leur cerveau. Le CNPE a donc des tas d'atouts pour réussir sa mission.
Et justement, où en êtes-vous dans la mise en place de ce conseil national ?
En six mois, nous n'avons pas perdu notre temps. Le bureau est en place et les cinq commissions de travail se réunissent régulièrement. La commission "connaissances et recherche" vise à créer des statistiques fiables, par exemple sur les décès d'enfants maltraités. Une seconde porte sur la prévention et le repérage précoce : plus on intervient rapidement, plus on a des chances d'éviter le pire. La troisième commission s'intéresse aux modalités d'adaptation des interventions aux besoins des enfants. Enfin, les questions de formation et d'adoption (nationale et internationale) sont au menu des deux dernières commissions. L'objectif, c'est de produire des recommandations et de les présenter aux pouvoirs publics pour la fin de l'année.
Votre lettre a-t-elle déjà suscité une réaction ?
Le Premier ministre n'a pas encore répondu, mais le cabinet de la ministre des solidarités et de la santé nous a assuré qu'Agnès Buzyn souhaitait poursuivre les travaux du CNPE et que la dimension interministérielle serait réaffirmée. Cela nous a plutôt rassuré.
Cela vous suffit comme engagements ?
Evidemment, nous allons regarder de très près si le pouvoir actuel passe de la parole aux actes. Par exemple, le plan de lutte contre les violences faites aux enfants, présenté en mars par Laurence Rossignol, doit se traduire par des mesures concrètes prises sur un plan interministériel. Seront-elles au rendez-vous ? Nous allons rechercher des preuves opérationnelles du soutien du gouvernement.
Des preuves opérationnelles... que voulez-vous dire ?
Prenons un exemple. on sait que la question des soins psychiques et des soins post-traumatiques pour les enfants maltraités est insuffisamment prise en compte par la santé publique. On sait également, via le rapport du Défenseur des enfants, que sur les 300 000 enfants suivis par la protection de l'enfance, 70 000 sont porteurs de handicap. Va-t-on faire un effort pour améliorer leur suivi ? C'est ce que nous attendons de la ministre Agnès Buzyn qui, de par son expérience, connaît bien la complexité et le côté multiforme de la santé publique.