Depuis février 2016, près d'un millier d'emplois ont été créés dans le cadre de Territoires zéro chômeur de longue durée. 2019 pourrait voir une extension de ce dispositif unanimement salué. Avant d'être des statistiques, le chômage est une réalité personnelle, presque intime, qui se glisse dans la vie des gens. Trois nouveaux salariés racontent la vie d'avant et d'après.
La fin de l'année a été marquée par l'émergence d'une figure nouvelle dans le débat public : le Gilet jaune. Par-delà les revendications nombreuses et parfois contradictoires, le mouvement a rendu visible dans le jeu médiatique et politique des catégories (travailleurs pauvres, habitants des espaces péri-urbains ou ruraux, précaires) dont on avait presque oublié l'existence. Tout d'un coup, des gens totalement étrangers aux codes dominants ont imposés leur présence, leur discours, bousculant l'ensemble des acteurs gouvernementaux, syndicaux, etc. Dans son exploration du mouvement des Gilets jaunes, la journaliste du Monde Florence Aubenas donne la parole à "Dorothée, 42 ans" : "ça faisait des années que je bouillais devant ma télé, à me dire : "Personne ne pense comme moi ou quoi ?" Quand j'ai entendu parler des gilets jaunes, j'ai dit à mon mari : c'est pour moi."

"Madame, vous cumulez plusieurs handicaps"
Depuis début 2017, une autre initiative, moins médiatisée, redonne confiance à des gens broyés par le chômage de longue durée. Elle les fait de nouveau exister, pas simplement parce qu'ils perçoivent un salaire, mais aussi parce qu'ils font désormais partie d'un collectif. Halima Zaghar a longtemps eu le sentiment qu'on ne voulait pas d'elle. Pour la simple raison qu'elle porte le foulard islamique par conviction religieuse. Cette diplômée en informatique, vivant à Villeurbanne, avait essuyé cette remarque d'un agent de Pôle emploi : "Madame, vous cumulez plusieurs handicaps."
On ne voulait pas d'elle
On ne voulait pas d'elle, dans le monde de l'entreprise alors Halima s'est occupée de ses enfants, s'est engagée dans le travail bénévole avec des associations pour du soutien scolaire. "Les maths, c'est ma deuxième vocation", glisse-t-elle. Puis elle a trouvé un travail dans la formation. Ensuite chômage pendant deux ans. "Une amie m'a parlé du projet d'entreprise Emerjean dans le cadre de Territoires zéro chômeur de longue durée. Je n'y croyais pas au départ. J'ai téléphoné, on m'a reçu". Cette fois-ci, son foulard n'est plus un élément de discrimination. Elle commence à travailler à Emerjean au printemps 2017 quand l'entreprise se constitue. Au début, y a dix personnes. Aujourd'hui, elles sont 85.
Avec bienveillance
Dans son entreprise à but d'emploi (EBE), Halima a fait des choses diversifiées : soutien scolaire, appui à l'administration, maintenance des ordinateurs... En ce moment, elle monte des projets de formation pour les salariés. "Ce n'est pas la routine", glisse-t-elle. Quand elle parle de son travail à Emerjean, elle a un discours politique : "On contribue à cette société, on aide les autres", dit-elle, très contente que de nombreux salariés aient repris confiance en eux. Et elle cite un point fort de toute cette démarche : la bienveillance.

Vingt ans au chômage
Tout au nord de l'hexagone, Nicolas Devaux est salarié de la Fabrique de l'emploi, une EBE créée sur deux quartiers (à Lomme et à Tourcoing) de la métropole lilloise. Au départ, c'était mal parti pour lui. "J'ai quitté l'école à 16 ans, fait des formations, me suis dirigé vers tout, vers rien." Nicolas est resté plus de vingt ans au chômage, avec simplement de courts contrats. Il avait dix ans de RMI au compteur. Forcément, le quotidien est fait de privations. "Je n'achetais que le nécessaire et l'obligatoire. Jamais de sortie."
Une épicerie et un garage solidaire
Alors quand on lui a parlé du projet d'entreprise à but d'emploi, Nicolas n'a pas caché son scepticisme : "Je demande à voir." Mais il se prend au jeu, s'implique à fond pour la création de l'EBE. Au départ, il est bénévole. "C'était intéressant car il y avait un débouché derrière", raconte-t-il. La démarche lui plait : partir des besoins non satisfaits d'un territoire. C'est ainsi que se constituent dans un quartier de Loos une épicerie (14 salariés) et ailleurs un garage réservé aux petits revenus.
S'offrir des petits plaisirs
Embauché depuis un an et demi, Nicolas travaille sur la communication de l'EBE. Il est heureux d'avoir créé du lien social lui qui vivait de façon très solitaire. Il s'est gardé un jour de libre pour des rendez-vous et des week-ends prolongés. Et sur le plan financier, il respire. "J'ai doublé mes revenus, je peux m'offrir des petits plaisirs", dit-il.

Notion de solidarité
Le dispositif Territoire zéro chômeur de longue durée concerne également des coins perdus des campagnes là où les services publics se sont fait la malle. C'est le cas dans la Nièvre, un des premiers territoires à s'être lancés dans l'aventure. Fabienne Paquet était arrivée voici peu dans la région : après un divorce dans le Var où elle avait travaillé dans le vin puis dans l'immobilier, elle s'était retrouvée dans sa maison d'enfance de la Nièvre. Mais les offres d'emploi n'étaient pas légion et lors des entretiens, souvent on lui trouvait "trop d'expérience". Elle est donc restée un an et demi au chômage. Elle rencontre l'une des responsables du projet d'EBE. "Ce projet m'a vraiment emballé. Il y avait une notion de solidarité", estime-t-elle.
"Cette partie de la France souffre"
Elle raconte sa rencontre avec la Nièvre. "Cette partie de la France souffre. Moi dans le Sud, je n'avais pas côtoyé la misère. Certains salariés ne savent pas lire ni écrire". Dans l'entreprise, elle prend des fonctions d'assistante de direction et participe au travail de communication. A 59 ans, elle aimerait à l'avenir avoir une autre activité, elle pense à la patine sur meuble. Avec son activité à l'EBE, elle arrive à s'en sortir un peu mieux d'autant qu'elle touche la prime d'activité. Mais sa joie, elle la trouve dans son sentiment d'être utile. Enfin.