Quand les familles d’accueil sont préférées aux établissements : l’exemple des Etats-Unis

Quand les familles d’accueil sont préférées aux établissements : l’exemple des Etats-Unis

22.07.2016

Action sociale

En France, 39 % des enfants placés sont accueillis dans des hébergements. Cette solution est bien plus marginale aux Etats-Unis. La travailleuse sociale Lynda Dandridge, à Détroit, nous explique pourquoi - et comment - les familles d’accueil sont choisies pour accompagner les enfants protégés.

Aux Etats-Unis, à la fin 2014, parmi les 415 000 jeunes placés à travers le pays, seuls 8 % étaient hébergés dans des institutions, selon l’administration fédérale. C’est peu par rapport à la France, où ils étaient 39 % à vivre ainsi en établissement - parmi les 156 000 placés par l’Aide sociale à l’enfance, fin 2012, d’après le dernier calcul disponible de l'Oned. Et pour cause : outre-Atlantique, le placement en familles d’accueil est privilégié par les pouvoirs publics. Ainsi, en 2014, 75 % de ces jeunes vivaient dans ces « foster families » - qui pouvaient d’ailleurs avoir un lien familial avec les parents biologiques eux-mêmes. En France, ce taux atteint 52 %… Comment expliquer un tel choix de société ? Nous l’avons demandé à Lynda Dandridge, directrice de l’aide à l’enfance aux Community social services of Wayne County (CSSWC), une association d’action sociale basée à Détroit, dans la région des Grands Lacs. Elle nous décrit ici le travail social qui en découle, dans cette mégapole marquée par la pauvreté, mais aussi par la diversité culturelle (1).

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Quels sont les différents programmes d’aide sociale à l’enfance que vous dirigez ?

Le placement en famille d’accueil est notre principal mode d’intervention. Mais nous avons aussi un programme d’adoption, et nous proposons des logements semi-indépendants à certains adolescents. Ainsi nous suivons au total un peu plus de cent enfants chaque année, avec une équipe de six personnes - essentiellement grâce à des financements publics, notamment de l’Etat du Michigan et du Comté de Wayne.

 

On considère que réunir des enfants en établissements leur fait du mal
 © Valérie Vrel

 

Vous ne proposez donc aucun établissement pour les enfants protégés ?

Non, l’Etat du Michigan ne le souhaite pas du tout. Il se retire de ce type de programme. Il préfère placer les enfants dans un cadre familial. Et si un membre de la famille élargie, par exemple une grand-mère, peut héberger l’enfant placé, alors l’Etat le certifie volontiers comme famille d’accueil, afin de le rémunérer pour les frais engagés.

La tendance est la même dans l’ensemble des Etats-Unis. On considère que réunir des enfants en établissements leur fait du mal. Ils ont besoin d’être dans le cadre d’une maison, avec un papa, une maman, et d’aller à l’école, à l’église, comme tous les enfants normaux.

 

Comment vos travailleurs sociaux interviennent-ils auprès de ces familles d’accueil ?

En réalité notre principal travail est mené avec les parents biologiques, notamment pour que le lien avec l’enfant se maintienne. Mais nous devons aussi surveiller ce que font les familles d’accueil certifiées. Et leur engagement est très fort ! Si elles ont un animal domestique, il doit être déclar��. Si leur propre enfant devient majeur, il doit nous donner une copie de son casier judiciaire. Si elles veulent se déplacer, elles doivent nous prévenir, etc… Et ces familles d’accueil peuvent être appelées à tout moment, même la nuit, pour recueillir un enfant. Celui-ci peut d’ailleurs être difficile, avoir fait de la casse, ou encore volé, et parfois même ses parents biologiques vont vouloir venir sur place pour le récupérer… J’applaudis vraiment ces familles d’accueil ! Elles ne sont pas payées autant qu’elles le mériteraient.

Aux travailleurs sociaux qui interviennent chez elles, je demande d’abord de la confidentialité. Et je les appelle à ne pas juger les familles en fonction de leurs propres valeurs. L’important est qu’elles disposent du minimum : de l’eau courante, de la nourriture dans le frigo, un lit pour l’enfant… On ne va pas les critiquer s’il y avait du hot-dog à dîner plutôt que du poulet. Il faut être ouvert.

Et du reste l’Etat impose déjà de nombreuses règles aux familles pour qu’elles puissent être certifiées. Nous devons nous-mêmes lui rendre compte de tout ce que nous faisons ! Quant aux travailleurs sociaux, ils doivent respecter un code éthique. En outre, désormais, seuls les diplômés en travail social sont admis. Il leur est même demandé d’exercer un certain nombre d’heures, chaque année, pour pouvoir conserver leur permis de travail…  

 

 Certains demandent que leur enfant n’aille pas dans telle ou telle église
 © Valérie Vrel

 

A Détroit, la diversité culturelle des familles doit-elle être prise en compte ?

C’est un point vraiment crucial, qui, je pense, est encore en chantier ! Par exemple dans la communauté arabe, nombre de parents biologiques ne souhaitent pas que leur enfant mange du porc. Parmi les chrétiens, certains demandent que leur enfant n’aille pas dans telle ou telle église - par exemple baptiste, ou catholique. La famille d’accueil devra alors l’amener à l’église souhaitée - et parfois cela pose problème. De même les ménages caucasiens (2), souvent, ne savent pas prendre soin des cheveux des enfants afro-américains. Nous leur proposons donc des cours, ne serait-ce que pour leur montrer les lotions à utiliser. Certains travailleurs sociaux peuvent d’ailleurs le leur expliquer eux-mêmes.  

 

Détroit a le plus fort taux de crimes violents, parmi les mégapoles des Etats-Unis. Cela pèse-t-il sur votre travail ?

Oui, nos travailleurs sociaux sont fortement exposés à l’insécurité. Il m’est moi-même arrivé d’avoir peur dans certains quartiers. Je recommande donc à mes personnels de ne pas se déplacer seuls au domicile de parents biologiques. Ceci étant la situation sociale a évolué ces dernières années. Il y a une vingtaine d’années  nous étions confrontés à des abus de drogues, telles que le crack ou la cocaïne. Aujourd’hui c’est la santé mentale qui pose problème. Or l’Etat du Michigan a fermé de nombreux établissements dans ce secteur. Et ce qui est terrible est de voir aujourd’hui d’anciens enfants placés devenir, à leur tour, parents d’enfants à protéger. Ceci étant, nous avons également de beaux succès, notamment lorsque des parents biologiques récupèrent leurs enfants !

 

  1. L’interview a été réalisée en anglais, en octobre 2015
  2. Aux Etats-Unis le terme peut être utilisé pour désigner les blancs.
Olivier Bonnin
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