Dans l’audiovisuel public, une structure commune à plusieurs CSE d'entreprises, le "CASCIE" (ex-"CI ORTF"), propose des activités sociales et culturelles au personnel (vacances, colonies, etc.), grâce notamment à huit centres de vacances en France. La direction de Radio France entend ne plus financer cette structure. Les CSE de la Maison de la radio, qui représentent plus de 4 000 salariés, envisagent d’agir en justice.
Le paradoxe serait drôle, si les enjeux sociaux n’étaient pas si importants : au moment où débute le débat parlementaire sur le projet de création d'une holding coiffant l’ensemble de l’audiovisuel public (*), la direction de Radio France (France Inter, France Info, France culture, etc.) projette de dénoncer le financement qu’elle accorde au "CASCIE ORTF", un comité inter-entreprises qui propose des activités sociales et culturelles pour le personnel de plusieurs entreprises publiques (Radio France, France Télévisions, INA). "Pour l'instant, notre comité interentreprises, qui existe depuis 50 ans, est le seul lieu qui rassemble les salariés des différentes entreprises de l'audiovisuel", souligne d'ailleurs la secrétaire du comité, Claudine Gilbert (SNJ-CGT), issue de France Télévisions.
Géré par des représentants des CSE des différentes sociétés, ce comité des activités sociales et culturelles interentreprises de l'ORTF (CASCIE-ORTF, la nouvelle "marque" du CIE ORTF depuis 2017 et le passage des CE en CSE) bénéficie d’un patrimoine important accumulé au fil des années avec plusieurs centres de vacances dans plusieurs régions (campagne, mer, montagne), le CASCIE organisant des séjours pour le personnel et leurs enfants en France comme à l'étranger.
A Radio France, la dotation versée par l'employeur pour le CASCIE transite par les deux CSE d'établissements, le CSE de Paris (qui couvre environ 2 500 salariés) et le CSE d'Ici (environ 1 500 personnes), "Ici" étant le nouveau nom du réseau d'antennes locales "France Bleu". Les deux établissements reversent cette dotation au comité inter-entreprises.
Ces deux CSE d’établissements ont été informés la semaine dernière par la direction de la radio publique de son intention de mettre fin à ce financement.
Dans un contexte de tensions tant sociales que budgétaires et politiques (l'audiovisuel public dépend de l'Etat et donc du vote du Parlement pour l'essentiel de son budget), l'enjeu est très important sur le plan financier et social, pour la direction comme pour les personnels.
Le versement de la "Maison ronde" (voir notre photo ci-dessus) représente en effet 1,4 % de la masse salariale brute, soit un budget de 3,9 M€ sur une dotation globale de 5,28M€ pour les activités sociales et culturelles des deux CSE de Radio France. Par exemple, pour le CSE de Paris, la subvention pour le CASCIE a représenté 2,6 M€ en 2024, sur 8,2M€ de produits d'exploitation (**).
La direction soutient, contrairement aux syndicats, que cette somme destinée aux ASC mutualisées ne résulte que d’un usage, fruit d'un engagement unilatéral. Un usage qui pourrait donc être dénoncé rapidement : "Aucun texte ne contraint Radio France à verser la subvention versée aux CSE d’établissements au bénéfice présumé du CASCIE ORT", a affirmé la direction aux élus du CSE de Paris le jeudi 19 juin (***).
Lors de cette réunion du CSE de l’établissement de Paris, la direction de Radio France a également communiqué son calendrier :
- fin août : fin de la consultation des deux comités sociaux et économiques d’établissement ;
- début septembre : consultation du CSE central ;
- dès le 12 septembre : information préalable donnée aux salariés bénéficiaires des ASC ;
- début septembre à fin décembre 2025 : délai de prévenance de dénonciation de l’usage.
Autrement dit, la dénonciation de l’usage de ce financement prendrait effet dès fin 2025.
Radio France serait donc déliée dès le début 2026 de son engagement à financer le comité interentreprises, alors que son apport représenterait un tiers du financement de la structure. "Sans la contribution de Radio France, comment pourrions-nous continuer notre activité ? s'interroge Claudine Gilbert. Nous avons 8 villages vacances dont un en location. Nous employons 50 salariés dont 35 à Paris, et nous faisons appel à plusieurs centaines de saisonniers par an. Et les employeurs bénéficient aussi de notre activité : les salariés qui travaillent peuvent envoyer leurs enfants en colo".
Avant de cesser son financement, la direction de Radio France souhaite cependant engager des négociations avec les organisations syndicales représentatives dès septembre 2025 pour "redéfinir et pérenniser tout ou ou partie du montant à destination plus directe des salariés".
Parce que "le contexte budgétaire nous impose de réinterroger nos dépenses", Radio France envisagerait donc de consacrer une partie de l’argent économisé sur les ASC mutualisées en le redéployant directement auprès des deux CSE de Radio France pour leur budget ASC, mais aussi d’en affecter une partie aux commissions de suivi de carrière, autrement dit à des augmentations salariales.
Au passage, dans sa communication aux CSE, la direction de Radio France critique "l’efficacité du CASCIE par rapport à son objectif social".
L'employeur affirme que le financement du CASCIE représente 74 % du budget d'activités sociales et culturelles affectés aux CSE, alors qu'une "minorité de salariés" (Radio France évoque "12 % d'ouvrants droits") bénéficieraient de l'offre mutualisée. Radio France avance également que le nombre d’enfants et jeunes bénéficiaires de séjour a baissé depuis plusieurs années alors que le nombre de jours de vacances des retraités a augmenté. Une analyse rejetée par la secrétaire du comité interentreprises, qui rappelle avoir signé un contrat d'objectifs avec les employeurs : "Il faut prendre les chiffres sur plusieurs années, car nous faisons tourner afin de ne pas avoir toujours les mêmes bénéficiaires. La qualité de nos colonies de vacances est reconnue. D'autre part, faire venir des retraités hors saison participe aussi de l'équilibre financier de notre structure", dit Claudine Gilbert (SNJ-CGT).
Ces perspectives et ces données, vivement contestées par les représentants du personnel, font bondir le secrétaire du CSE Paris de Radio France : "Déjà, pour nous, ce financement n’est pas un usage mais résulte d’un accord, lance Bertrand Durand (élu CGT). Ensuite, une éventuelle sortie du CASCIE ne peut pas se faire sans un préavis de 6 mois. Et il signifierait, outre la fin de l'accès à ces activités pour le personnel de Radio France, que nous perdrions le patrimoine commun que nous avons progressivement financé. Enfin, l’employeur n’a pas à s’immiscer dans l’utilisation des crédits que peut faire un CSE pour ses activités sociales et culturelles, et encore moins les utiliser pour financer des hausses de salaires !"
Claudine Gilbert, la secrétaire du comité interentreprises, abonde dans le même sens : "Je ne vois pas comment Radio France pourrait unilatéralement cesser sa contribution au CIE. L'employeur verse une contribution au CSE qui choisit ensuite librement son affectation".
Lors de la réunion des CSE de Paris et d'Ici (ex-France Bleu), cette question faisant l'unanimité des syndicats, les élus ont voté une délibération autorisant leur secrétaire à agir en justice (lire ci-dessous). A suivre donc.
Pour l'instant, France Télévisions n'a pas engagé la même démarche que Radio France, mais certains redoutent de la voir prendre le même chemin. Il faut dire qu'une autre entreprise de l'audiovisuel, TDF (environ 1 300 salariés), est déjà sortie du comité interentreprises de l'audiovisuel public.
Sa situation était, il est vrai, un peu particulière. D'une part, la base légale rattachant TDF (devenue une entreprise privée) au CIE était fragile, d'autre part les syndicats étaient divisés sur l'intérêt du CIE lui-même pour une société moins importante que Radio France et France Télévisions. Et enfin l'entreprise possédait directement trois centres de vacances mis à dispostion du CI-ORTF mais dont TDF assurait l'entretien, une gestion coûteuse aux yeux de l'employeur.
L'entreprise a donc choisi de les vendre, en acceptant de le faire à un tarif permettant au comité de les racheter. "Nous avons obtenu en tout et pour tout une dotation exceptionnelle de 800 000€ pour le CSE de TDF", nous confie Gilles Blanchard, élu CGT, en ajoutant : "Mais nous avons perdu l'accès aux colonies de vacances et aux séjours de qualité que proposait le CIE".
Une situation vue différemment par Jérôme Delaunay, le secrétaire (CFDT) du CSE de TDF : "Le départ du CIE s'est fait au moment du passage au CSE (..) Au moment de la vente des centres, nous aurions pu tenter de revendiquer qu'il s'agissait d'une ASC à gérer, mais il nous a semblé plus prudent de négocier une dotation supplémentaire, que nous avons choisi d'utiliser sous forme de billetterie distribuée aux salariés". Et le secrétaire d'ajouter : "Nous avions déjà une offre alternative d'ASC, et nous l'avons développée depuis avec nos partenaires". Et l'élu de nous confier que cette histoire a laissé quand même un héritage : "Nous avons toujours deux restaurants, à Toulouse et Nancy, que nous gérons en commun avec France 3".
(*) A l'occasion du débat parlementaire, les syndicats de Radio France (CFDT, CGT, FO, SNJ, Sud, UNSA) ont lancé un "préavis de grève illimitée", à partir du jeudi 26 juin, contre le projet de loi fusionnant radio et télévision dans une holding commune. Les organisations syndicales craignent que "ce montage bureaucratique et politique" ne menace l'indépendance de Radio France. Les syndicats de France Télévision (voir le communiqué de la CFDT, CGT, SNJ, FO, SUD) appellent eux-aussi à une grève illimitée, mais à partir du 30 juin, contre un projet "dont l'unique but est de réaliser des économies".
(**) Parallèlement aux ASC du CASCIE, le CSE de Paris, qui emploie 41 salariés dont 38 pour le restaurant d'entreprise, gère donc lui-même d'autres activités : la restauration, la billetterie (60 % de l'enveloppe consommée en 2024), des chèques-culture, le Noël des enfants, des événements, des voyages, etc.
(***) Rappel : si un accord existe qui traite de la contribution aux activités sociales et culturelles, sa dénonciation entraîne néanmoins pour l'employeur l'obligation de respecter un montant minimal de financement des ASC. Une fois l’accord dénoncé, le rapport de la contribution pour le budget ASC à la masse salariale brute ne pourra pas être inférieur au même rapport existant pour l'année précédente. En l'absence d'accord, dans le cas d'un usage, sa dénonciation ne peut pas conduire l'employeur à abaisser sa contribution en dessous des minima légaux ou conventionnels applicables (voir par exemple cet arrêt de 2007 de la Cour de cassation).
Dans leur délibération, les deux CSE évoquent une violation des accords passés et un risque de cessation de paiements dès janvier 2026
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Dans ce texte adopté le 19 juin à l'unanimité (20 voix pour), le CSE Paris de Radio France soutient que le financement mutualisé des activités sociales et culturelles (ASC) auquel participe Radio France découle d'un accord collectif non remis en question, un accord du 30 mai 1984 entre les employeurs du secteur public de l'audiovisuel et les organisations syndicales (repris par un accord du 22 septembre 2022), texte dans lequel les entreprises s'engagent à verser 1,4 % de la masse salariale de chaque comité d'entreprise, charge à ceux-ci de le reverser au comité interentreprises de l'ORTF (devenu le CASCIE) créé en 1976. La délibération dénonce la volonté de la direction de "s'immiscer dans la gestion des ASC dévolues aux seuls représentants du personnel" : "Le projet (..) de se soustraire à son obligation de verser la subvention au CASCIE est expressément motivé par son appréciation négative de l'action du CASCIE et sa volonté « d'optimiser » les dépenses d'activé sociale pour favoriser le «pouvoir d'achat », une volonté qualifiée "d'immixtion parfaitement illicite". La délibération dénonce également la brutalité des modalités de cessation du versement de la contribution qui aura pour effet "de déstabiliser la représentation du personnel" : "Sans le versement de la subvention pas des fonds lui permettant de remplir ses engagements vis-à-vis du CASCIE, les CSE de Radio France n'auront d'autre choix que de quitter le CASCIE. Or (..) le retrait ne peut intervenir qu'après la délibération du CSE, et moyennant un préavis de 6 mois". Le risque, poursuit le texte, est que le CSE se retrouve "en cessation de paiements dès janvier 2026". Également adoptée à l'unanimité des élus présents, la délibération du CSE d'Ici (ex-France Bleu) va dans le même sens en autorisant son secrétaire, Rodolphe Faure, à saisir la justice : "Après analyse approfondie des textes applicables, les élus du CSE France Bleu rappellent solennellement que ce versement résulte d’engagements conventionnels clairs, formalisés dans l’accord collectif interentreprises du 10 février 2022 et la convention de transfert du 16 mai 2022, signés par Radio France et les autres entreprises concernées. Ces accords, conclus pour une durée indéterminée, prévoient explicitement l’obligation pour chaque CSE d’établissement de reverser annuellement au CASCIE une somme équivalente à 1,4 % de la masse salariale brute de l’entité. La dénonciation de cette obligation ne saurait donc être assimilée à la dénonciation d’un usage, mais relève exclusivement de la procédure de dénonciation d’accord collectif prévue par l’article L.2261-9 du Code du travail. Les élus du CSE France Bleu soulignent que l’absence de versement des 1,4 % empêcherait l’application de l’article 6 de l’accord collectif et remettrait en cause la structure, la pérennité et le fonctionnement même du CASCIE, au détriment des activités sociales et culturelles offertes aux salariés et retraités du secteur". |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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