En proposant de faire évoluer les minima sociaux vers une couverture unique, le rapport Sirugue lance une petite bombe. Les premières réactions des associations de solidarité, de personnes handicapées et des départements vont de l'opposition plus ou moins affirmée au soutien prudent. Revue de détail.
En lisant les premières réactions au rapport Sirugue remis ce 18 avril au Premier ministre, on sent un peu comme un décalage entre la somme de réflexions décapantes produites par le député et le caractère assez convenu des réactions. Sans doute, le contexte économique très incertain, les difficultés financières des uns et des autres et la proximité de l'échéance présidentielle n'aident pas à un débat serein.
La prudence de Matignon
On ne peut pas dire que le Premier ministre ait fait montre d'un enthousiasme débordant en réagissant au rapport du parlementaire socialiste. Manuel Valls s'engage à mettre en oeuvre "très rapidement" les mesures de simplification présentées dans l'hypothèse 1. Pour le reste, il demande à ce que "les propositions plus à long terme fassent l'objet d'un travail approfondi [...] qui permettra de s'engager dans cette réforme d'ampleur dans les prochains mois". Difficile de savoir si Matignon prévoit de s'engager dans une vraie réflexion sur l'évolution du système ou s'il s'agit d'un enterrement de première classe. Il sera intéressant d'observer quels sont les contours de ce "travail approfondi" annoncé par le Premier ministre et s'il démarre vraiment.
Manuel Valls profite de ce rapport pour jeter une pierre dans le jardin de l'assemblée des départements de France (ADF). S'inspirant d'une recommandation du député qui vise à porter à terme la part des politiques d'insertion à 17 % du budget global du RSA, il demande au groupe de travail constitué entre l'ADF et le gouvernement de se saisir de cette proposition.
Les inquiétudes des départements
L'ADF, justement, se demande si les départements ne vont pas, une nouvelle fois, faire les frais de cette réforme. Dans un communiqué, le président Dominique Bussereau remarque que le scénario de refondation totale du système prévoit la création d'un complément d'insertion de 100 euros à la charge des départements. Sans se prononcer sur l'intérêt de la mesure, l'abaissement à 18 ans de l'âge pour bénéficier du RSA n'est pas de nature à rassurer le président de l'ADF qui rappelle son coût estimé à 6,6 milliards d'euros par le Trésor. "L'éventuelle réforme des minima sociaux ne doit pas conduire à un nouvel alourdissement des charges pesant sur les départements", rappelle-t-il.
Le scénario "révolutionnaire" d'un élu local
La tonalité est assez différente chez Frédéric Bierry, président du conseil départemental du Bas-Rhin, par ailleurs responsable de la commission des affaires sociales de l'ADF. Avec ce titre "Pour une révolution des minima sociaux", on pourrait s'attendre à un soutien au rapport Sirugue. Raté ! L'élu alsacien y voit la perpétuation d'un "modèle de l'assistance qui prive les individus de leur dignité en les maintenant dans leurs situations". Il fustige notamment l'ouverture aux 18-25 ans des minima sociaux. Frédéric Bierry propose plutôt de "remplacer les dix allocations actuelles par deux nouveaux dispositifs : un tremplin vers l'emploi et un contrat d'engagement civique". Le premier serait destiné aux personnes "en capacité de travailler" et accompagné d'un programme de coaching intensif vers l'emploi. Le second serait un "revenu minimal d'existence et de solidarité destiné aux personnes qui ne sont pas en capacité de travailler ou en situation de chômage de longue durée", versé en contrepartie de la participation à des actions d'intérêt général. Ce qui nous renvoie au débat ouvert par son voisin du Haut-Rhin sur le volontariat obligatoire pour les allocataires du RSA...
La tonalité plus positive de la gauche de l'ADF
La gauche de l'ADF doit, de son côté, se réunir en séminaire à Nancy, la semaine prochaine, pour élaborer sa doctrine. La tonalité devrait être nettement plus positive. A titre personnel, André Viola, le président du groupe de gauche, se déclare favorable à l'élargissement aux 18-25 ans. Il pense qu'il faut aller dans le sens de la recentralisation du RSA combinée à un renforcement des politiques d'insertion dans les départements.
L'enthousiasme d'Alerte
"Des préconisations à mettre en oeuvre" : le collectif Alerte, associé à d'autres organisations (ATD Quart Monde, Emmaüs, APF, etc.), apparaît très satisfait de trois points forts du rapport Sirugue : l'ouverture du RSA dès 18 ans, la simplification des démarches administratives et la prévisibilité des minima sociaux versés. Le collectif souhaite que le gouvernement procède en deux étapes : mise en oeuvre rapide des préconisations de simplification pour contribuer à "l'amélioration des conditions de vie de millions de concitoyens vivant en situation de précarité" puis refonte des minima sociaux en reprenant le scénario 3 du rapport Sirugue.
La vigilance des organisations du handicap
Les organisations dans le champ du handicap sont plus nuancées. L'association des paralysés de France (APF) salue des mesures spécifiques comme l'attribution à titre définitif de l'AAH pour les personnes lourdement handicapées ou la perception de l'AAH pour certains bénéficiaires au-delà de l'âge légal de la retraite, tout en regrettant l'absence de propositions concernant la "revalorisation des minima sociaux dont les montants sont situés très en dessous du seuil de pauvreté". L'APF sera vigilante pour que les personnes handicapées ne perdent pas des plumes dans cette réforme "sous couvert de simplification et d'équité".
La tonalité est assez proche à l'Unapei. L'organisation se félicite aussi des mesures de simplification proposées par le député, notamment la possibilité de maintenir les droits à l'AAH au-delà de 62 ans. Elle demande leur mise en oeuvre rapide. Mais la refondation des minima sociaux préconisée par Christophe Sirugue ne lasse pas d'inquiéter l'Unapei. "Cette réforme en profondeur nous laisse craindre une complexification de l'accès aux droits, voire même une dégradation de leur niveau de leurs ressources".