Réforme de 2007 : des espoirs déçus

31.08.2012

Action sociale

Le Sénat a rendu public le rapport que la Cour de comptes lui avait remis fin 2011 sur la réforme de la protection juridique des majeurs. Le bilan fait apparaître de sérieux écarts entre les ambitions affichés en 2007 et la mise en oeuvre des mesures.

En novembre 2011, la Cour des comptes remettait à la commission des finances du Sénat les conclusions de l'enquête qu'elle avait menée, à sa demande, sur la réforme des tutelles de 2007. On savait déjà que le tableau dressé par les magistrats était très mitigé. La lecture de l'intégralité du rapport, publié en août par le Sénat, permet de se faire une idée plus précise des écarts entre les ambitions affichés en 2007 et la réalité.

Evidemment, tout n'est pas joué. La Cour le reconnaît, l'appréciation de la mise en oeuvre de la loi, après seulement deux années d'application - la loi du 5 mars 2007 n'est entrée en vigueur qu'en janvier 2009 - s'est revélée "délicate" en raison de mesures souvent encore incomplètes et de l'hétérogénéité des situations observées. Elle est quand même parvenue à dégager de "grandes tendances". Et le moins qu'on puisse dire, c'est que tout ne se passe pas comme prévu, comme l'avait indiqué l'Assemblée nationale lors de l'examen du budget pour 2012.

Les tribunaux toujours débordés

L'économie de la réforme reposait sur une hypothèse forte : le trop grand nombre de mesures de protection juridique non justifiées. Hypothèse qui a légitimé la distinction entre le volet judiciaire des mesures de protection (tutelles, curatelles, sauvegardes de justice) et un nouveau volet social, avec l'instauration des Masp, confiées aux conseils généraux.

Or, premier constat de la Cour : le nombre de demandes de protection judiciaire a continué de progresser et la charge des tribunaux n'a pas décru. "La personnalisation des mesures, qui devait constituer un point fort de la réforme, est difficile à mettre en oeuvre. Les délais de traitement des demandes se sont accrus et les retards s'accumulent", poursuit la Cour. Qui pointe un risque juridique considérable : à ce rythme, près de la moitié des mesures de protection pourraient ne pas être révisées dans les temps impartis et être caduques au 1er janvier 2014, "ce qui laisserait de nombreux bénéficiaires sans protection".

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La professionnalisation des tuteurs encore perfectible

S'agissant de la professionnalisation des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM), le bilan est aussi en demi-teinte. 20 % des juges des tutelles interrogés par la Cour des comptes estiment que la formation et le niveau d'exigence requis pour la valider est de qualité inégale selon les établissements et qu'aucun véritable contrôle ne s'exerce sur le choix des méthodes ou celui des intervenants. Autres difficultés soulevées par le rapport : le coût assez elevé de cette formation (de 13 à 15 euros de l'heure), qui dissuade bon nombre de mandataires privés pour lesquels n'existe aucune financement ad hoc, et "la faiblesse du nombre de mandataires et leur inégale répartition sur le territoire", qui constituent une limite au suivi individualisé des mesures.

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Le contrôle  insuffisant

La Cour déplore par ailleurs un contrôle insuffisant de l'activité des mandataires, contrôle du reste dispersé entre différentes autorités apparemment peu coordonnées. Et si la loi de 2007 a interdit les comptes-pivots, l'ouverture de comptes annexes aux comptes courants des mandataires, autorisée pour faciliter la gestion, laisse ouverte la possibilité "d'indélicatesses". Et la Cour de citer les risques de détournements, de conflits d'intérêts ou de pression des banques.

Les biais du mode de financement

Les mandataires sont en principe rémunérés par le majeur et, de façon subsidiaire, par la collectivité publique. Mais là encore, la Cour regrette des biais. En particulier, le principe du prélèvement sur les ressources du majeur conduit certaines familles à demander le retrait de la mesure ou les dissuade d'en demander l'ouverture. Il conduit aussi "parfois à évaluer au plus bas le budget de fonctionnement courant pour le majeur, afin de ne pas empiéter sur la rémunération du mandataire".

Le volet social à la traîne

Pour les personnes qui ont besoin d'être aidées pour gérer leurs ressources mais qui ne présentent pas d'altération de leurs facultés physiques ou mentales - et n'ont donc pas à faire l'objet d'une mesure de protection juridique type tutelle -, la loi de 2007 a créé les mesures d'accompagnement social personnalisé (MASP), graduées selon trois niveaux (1,2,3) et les mesures d'accompagnement judiciaires (MAJ). Mais, note la Cour, "la mise en oeuvre du volet social de la MASP a connu des modalités et des calendriers très divers d'un département à l'autre. De manière générale, l'évolution attendue (en termes d'ouvertures de mesures) n'a pas été constatée, pas plus que les effets de bascule des dispositifs judiciaires vers les dispositifs sociaux".

Dans certains départements, les MASP, peu connues, conservent leur caractère subsidiaire parmi les aides en direction des personnes fragiles. Leur caractère gradué et temporaire est source de complexité et la MASP de niveau 3, plus contraignante, n'avait pas été mise en oeuvre sur la période observée par la Cour. Quant aux MAJ, elle n'en a dénombré que 1000 et leur mise en oeuvre demande une coordination plus active entre services sociaux et services judiciaires.

Entre les mailles du filet

Le rapport s'inquiète aussi d'une "lacune importante" du dispositif : de nombreuses personnes susceptibles d'avoir besoin d'un accompagnement budgétaire contractualisé en sont exclues, comme les jeunes de moins de 25 ans, les personnes touchant de petites retraites ou celles qui relevaient auparavant des "cas d'intempérence, d'oisiveté et de prodigalité" (catégories supprimées par la loi de 2007) et qui ne perçoivent pas de prestations sociales ou qui refusent de se soumettre à l'examen médical, précisément en raison de leur pathologie.

Le dérapage des dépenses

Enfin, l'objectif de limitation de la croissance des coûts ne semble pas non plus atteint. La disparition des TPSA (tutelle aux prestations sociales adulte), coûteuses, et la mise en place des MASP, réputées moins onéreuses, devaient entraîner des économies immédiates, rappelle la Cour. Hélas, il n'en est rien. Alors qu'en 2007, le coût d'une MASP avait été évalué à 150 euros par mois,  il se monterait finalement à 210 euros selon l'Assemblée des départements de France (ADF), voire 580 euros selon la Drees !

D'une manière générale, conclut la Cour, les dépenses relatives à la protection judiciaire et sociale des majeurs seront "très supérieures" à ce qui était attendu. Les finances publiques pourront-elles suivre ?

 

Florence Elguiz
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