Réforme des retraites : la CFDT réclame des garanties de justice sociale avant de parler de solutions de financement

Réforme des retraites : la CFDT réclame des garanties de justice sociale avant de parler de solutions de financement

30.01.2020

Représentants du personnel

Alors que s'ouvre ce jeudi 30 janvier la conférence de financement des retraites, la CFDT exprime l'exigence de voir les projets de loi modifiés sur de nombreux points (pénibilité, minimum de pension, chômage, gouvernance du futur régime, etc.). Le syndicat demande aux parlementaires et au gouvernement de s'engager sur ces amendements, déjà remis aux groupes de l'Assemblée, et ceci en préalable à toute discussion sur le financement des régimes.

Le rapport de forces entre l'exécutif, la majorité et les organisations syndicales autour de la réforme des retraites se poursuit, à la fois par des manifestations de rue, comme hier lors de la huitième journée de l'intersyndicale CGT, FO, Solidaires (1), par la multiplication d'actions symboliques initiées par le désormais fameux "jeter de robes" des avocats (lire notre article), mais aussi désormais sur le terrain parlementaire et politique, les députés commençant à travailler en commission sur les projets de loi.

Suggérée par la CFDT pour sortir de la situation de blocage, acceptée par le Premier ministre qui exclut cependant toute augmentation du coût du travail, la conférence de financement des retraites s'ouvre aujourd'hui au conseil économique, social et environnemental (CESE). Ce n'est pas vraiment une négociation interprofessionnelle, au regard de la présence d'un facilitateur externe (le haut-fonctionnaire Jean-Jacques Marette), d'un représentant de l'Etat mais aussi d'un syndicat non représentatif, l'UNSA (lire notre article). "C'est plutôt la préfiguration de ce que serait la gouvernance du régime universel projeté par le gouvernement", acquiesce Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT.

Pas question de parler tout de suite économies ou recettes

Dans l'esprit du gouvernement, cette conférence doit dégager d'ici fin avril 2020 des solutions alternatives à l'âge pivot de 64 ans pour parvenir à ce que les régimes de retraites soient équilibrés dès 2027, avant la bascule dans le nouveau système universel. Mais pour la CFDT, qui a tenu mercredi 29 janvier dans son siège parisien une conférence de presse, c'est aller un peu vite en besogne.

Commençons d'abord par faire la transparence sur tous les chiffres qui sont sur la table 

 

Pas question pour le syndicat de discuter tout de suite de solutions de financement, a fortiori si cela ne devait reposer que sur un allongement de la durée de travail, "en faisant rentrer par la fenêtre une mesure d'âge", selon les mots de Laurent Berger. La CFDT ne veut donc pas parler pour l'heure d'âge d'équilibre. Ce dispositif, qui figure dans le projet de loi, est perçu comme intrinsèquement injuste : "L'idée de taux plein, c'est que lorsque vous avez individuellement assez travaillé, vous avez droit à une retraite entière. Mais l'idée d'âge d'équilibre, c'est une borne d'âge pour tous et qui se fonde, quelle que soit votre durée de travail, sur le nombre d'années de retraite qu'il faut financer", explique Frédéric Sève, en charge des retraites à la confédération.

Pour la CFDT, la conférence doit d'abord procéder à "un examen critique de tous les chiffres qui sont sur la table, ceux de l'étude d'impact comme ceux du Conseil d'orientation des retraites, notamment". Alors que le gouvernement semble avoir perdu selon lui le sens initial de la réforme, il faut "une totale transparence" pour rétablir la confiance, soutient le secrétaire général de la CFDT, inquiet de la détérioration du climat social dans le pays. Mais avant même cet examen critique des chiffres, la CFDT, qui souligne à foison que cette réforme est celle du gouvernement et pas la sienne, pose un préalable : la confédération réclame que le gouvernement et le Parlement lui donnent l'assurance que certains éléments vont être modifiés dans le projet de réforme, ce qui suppose que la majorité modifie les deux projets de loi et que la vingtaine des ordonnances qui suivront intègrent aussi ces changements.

La CFDT suggère une trentaine d'amendements aux projets de loi

"Nous proposons aux parlementaires de tous les groupes une trentaine d'amendements qui répondent à trois exigences : la solidarité (minimum de pension porté à 100% du Smic, meilleure prise compte du chômage avec des points acquis sur la base de la dernière période travaillée, etc.), la justice (avec une majoration par enfant qui soit forfaitaire et non calculée sur la rémunération, une meilleure prise en compte de la pénibilité, etc.) et la liberté de choix (retraite progressive, gouvernance plus autonome de la future caisse universelle)", énonce Laurent Berger.

Le syndicat veut également des garanties pour les transitions entre les régimes actuels et le futur régime universel, une question qui sera traitée par de nombreuses ordonnances, et une meilleure règle pour les personnes qui cumuleront les droits de l'ancien système avec ceux du nouveau. Pour ces générations nées entre 1975 et 2004, la CFDT observe qu'il est prévu de calculer leurs pensions au prorata du temps passé dans chacun des deux systèmes. Pour Frédéric Sève, il faudrait continuer de prendre en compte pour les fonctionnaires le dernier salaire de fin de carrière et pour les salariés du privé et les contractuels les 25 meilleures années sur l'ensemble de la carrière au lieu de ne prendre en compte que la situation au 31 décembre 2024, date de la mise en oeuvre du nouveau régime.

Les propositions sur la pénibilité

Concernant la pénibilité, et alors que la concertation au ministère du Travail sur ce thème pourrait s'achever la semaine prochaine, la centrale de Belleville prend acte du refus de l'Etat et des organisations patronales de revenir à une traçabilité pour les critères supprimés en 2017 : port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et risques chimiques, quatre critères pourtant associés à plus de 80% des maladies professionnelles. Mais pour Marylise Léon, secrétaire adjointe de la CFDT, il serait tout à fait réalisable de mieux prendre en compte ces facteurs et donc permettre aux salariés concernés d'obtenir des droits leur permettant soit une retraite anticipée, soit une formation en vue d'une reconversion soit une retraite progressive.

On a compris que la traçabilité n'était pas à l'ordre du jour. Mais l'identification des métiers pénibles reste possible pour ouvrir des droits aux travailleurs 

 

 

Par quel moyen autre que la mesure des expositions ? "Une reconnaissance collective des salariés exposés est possible avec l'identification des métiers. Cette responsabilité serait confiée aux branches, avec l'appui des données statistiques de sinistralité de la branche accidents du travail et maladies professionnelle, car ces données existent !", détaille Marylise Léon. Sachant qu'en cas d'échec de la négociation de branche, une disposition supplétive permettrait d'attribuer de facto des points C2P (compte professionnel de prévention) aux travailleurs concernés". Cette disposition supplétive inciterait les branches à négocier tout en évitant l'absence de mesure en cas d'absence ou d'échec de négociation. 

La gouvernance de la future caisse universelle et le réseau des Carsat

Enfin, les revendications portent également sur la gouvernance du futur système. Celui-ci devrait être "piloté de façon collective et autonome, avec de réelles marges de manoeuvre", insiste Frédéric Sève. La CFDT réclame que le directeur général de la future caisse de retraite universelle (CNRU) soit nommé sur proposition du conseil d'administration de la caisse, que ce conseil ne soit pas contraint dans la fixation des paramètres du régime par la référence à l'espérance de vie (Ndlr : dans le projet, l'âge d'équilibre doit évoluer "à raison des deux tiers d'espérance de vie à la retraite"), que la règle d'or (équilibre financier par période de 5 ans) passe à 10 ans ou encore que les établissements composant le réseau territorial de la CNRU, et qui englobera les actuelles caisse d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat) gardent leur personnalité morale, ce qui préserverait leur gestion paritaire (lire notre article). 

Si l'on en croit Frédéric Sève, en charge des retraites à la confédération, l'accueil des parlementaires à ces propositions serait "plutôt bon". La CFDT peut-elle espérer écarter définitivement toute mesure d'âge de court terme et obtenir gain de cause sur ces nouvelles demandes ? La bataille d'opinion et d'influence se poursuit donc, alors que la majorité, au grand dam de l'opposition, persiste à vouloir faire adopter ses textes en procédure accélérée.

(1) Jugeant que le projet de réforme des retraites "n'a jamais été aussi fragile", la CGT, FO, FSU et Solidaires appellent à une nouvelle journée interprofessionnelle de grève et de manifestations à l'occasion du début des travaux de la commission spéciale de l'Assemblée Nationale, qui a déjà commencé ses auditions (lire ci-dessous).

 

Les positions des organisations syndicales auditionnées hier
par la commission spéciale de l'Assemblée

David Meyer,

CGT

► Lire et voir le reportage sur la manifestation du 17/12

 

Appréciation de la réforme : "Depuis le 5 décembre, notre pays vit au rythme des mobilisations populaires contre ce projet de réforme, une opposition qui rassemble des syndicats représentant 60% des salariés (...) Ce projet est rétrograde. S'il était mis en oeuvre, ses conséquences seraient catastrophiques (...) La remise en cause des 25 meilleures années aura pour effet de ne pas neutraliser les périodes difficiles, et les femmes seront les plus touchées (...) Nous avons fait des propositions structurées et chiffrées mais qui n'ont jamais été prises en compte (...) En tant que députés, vous allez devoir vous prononcer dans des délais très restreints (....) Il faut reprendre tout à zéro et négocier l'amélioration du système actuel. Nous demandons des départs à 60 ans avec une pension égale à 75% du revenu d'activité". 

Conférence de financement : "Nous proposerons une taxation des revenus du capital, l'augmentation des salaires, l'augmentation du nombre d'emplois, la mise en oeuvre de l'égalité entre les femmes et les hommes".

 

Michel Beaugas,

FO

lire l'interview de Yves Veyrier

 

Appréciation de la réforme : "C'est une réforme paramétrique permanente à la main des gouvernements (..) C'est l'achèvement du processus de l'étatisation de la Sécurité sociale entamée par le plan Juppé (...) L'ensemble des caisses qui ont reçu le projet ont toutes rendu un avis négatif (...) La réforme conduira dans les faits à un relèvement de l'âge de départ réel, l'étude d'impact se basant d'ailleurs sur un âge d'équilibre de 65 ans (...) La baisse des cotisations entraînera une baisse de 3,5 milliards des recettes chaque année (...). Ce projet est dangereux, nous en demandons l'abandon et l'ouverture de véritables négociations". 

 

Pierre Roger,

CFE-CGC

lire son interview

 

Appréciation de la réforme : "Ce projet est un vrai choix de société, avec un budget consacré aux retraites prévu en baisse avec un objectif de 12% du PIB au lieu de 14%. On nous propose à côté de valoriser l'effort individuel, avec des salariés au-delà de 3 plafonds de sécurité sociale qui ne seront plus soumis à l'effort commun de cotisation. Est-ce un système universel ? (...) On fait le choix de l'équilibre par l'âge, ce n'est pas raisonnable". 

 

Cyril Chabanier,

CFTC

► voir son interview vidéo

 

Appréciation de la réforme : "Ce nouveau système doit être plus juste et plus adapté au monde actuel. La CFTC est favorable à un système à points, qui a le mérite de comptabiliser les points pour toute période travaillée, ce qui n'est pas le cas avec les trimestres. Actuellement, 80% des personnes qui travaillent jusqu'à 67 ans font partie des plus précaires (..) Des droits familiaux rénovés pourront bénéficier à plus de familles (..) Parler d'âge d'équilibre n'est pas un problème en soi mais que tout, dans le texte, s'articule autour de cet âge d'équilibre, cela nous pose problème. Car cela tire vers le bas les mécanismes de solidarité comme les carrières longues, avec un départ repoussé de 2 ans, ou la pension minimum (..) La future caisse doit disposer de plus de marges de manoeuvre".

 

Dominique Corona, 

UNSA

► voir notre article

 

Appréciation de la réforme : "L'UNSA s'est inscrite dès le début dans la concertation pour améliorer le texte (...) La référence explicite à l'espérance de vie pour l'âge d'équilibre nous rapproche dangereusement des comptes notionnels. Nous n'y sommes pas favorables. Car ceux qui exercent des métiers pénibles auront l'obligation de partir plus tard, c'est injuste. Nous demandons pour ces travailleurs que l'âge d'équilibre soit abaissé à l'âge de départ légal (...) Nous sommes inquiets sur la question de la réparation de la pénibilité. Il faut revoir les seuils de critères de pénibilité et réintégrer les 4 critères supprimés en 2017. Il n'y a pas de raison que nous puissions mesurer les décibels et pas les charges lourdes (...)  La représentativité public-privé est un progrès démocratique et devrait être élargie aux caisses actuelles (...) Le recours à 29 ordonnances ne doit pas exonérer le gouvernement de concertations sur les dispositions". 

 

 

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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